vendredi 10 mars 2017

LA PROBLEMATIQUE DE LA DELIBERATION ET DU MAL CHYEZ BERNARD LONERGAN, SOCRATE, PLATON T ARISTOTE



INTRODUCTION      
De façon unanime, tout le monde s’accorde sur un certain nombre d’expressions qui caractérisent à proprement l’homme, comme par exemple : « L’homme est un être rationnel », « l’homme est naturellement capable de distinguer le vrai du faux, le mal du bien, le beau du laid », « l’homme est… ». Ces expressions héritées et enracinées dans les grandes écoles de l’anthropologie philosophique valent pour toutes les cultures humaines. Loin d’être simplement des dogmes, il s’agit là des vérités apodictiques et assertoriques sur la nature de l’homme. Preuve : l’expérience de la vie en société nous le prouve chaque jour que l’homme, en dépit de ses inclinations, se conduit de manière rationnelle.
Mais, paradoxalement, pendant que plusieurs anthropologues exaltent ainsi l’homme, l’histoire humaine nous met en contact des expériences qui contredisent cette nature tant louée. Le nazisme, le racisme,… Bref le MAL s’affirme. Serait-ce la raison qui justifierait qu’il existe en l’homme des dualismes littéralemlt opposés, renversant toutes les tentatives de définition de l’homme ? Il est à la fois dans sa nature mâle et femelle (animus et anima quant à sa manière de faire), à la fois sapiens et demens (rationnel et folie), à la fois oeconomicus et ludens (champions de ses propres intérêts et capable de désintéressement), à la fois prosaïque et poétique (il a les devoirs et la liberté)… Bref, l’homme est à chaque fois tiraillé. Son être à lui-même semble lui faire problème, car il est conflictuel de l’intérieur.
De ce constat, nous croyons utile de questionner à nouveau frais ce paradoxe humain : Pourquoi dans ce monde, certaines personnes constituent-elles des véritables modèles en actes pendant qu’à certaines autres l’histoire et le monde ne semblent pas leur pardonner les inconséquences de leurs actes ? Le choix du bien pourrait-il constituer un privilège réservé à certains hommes et refusé à d’autres ? Pourquoi l’homme, en dépit des potentialités humaines (parce que nous partageons l’idée de l’universalité humaine de la raison), peut-il agir mal et le regretter ?
Comme cela apparaît dans cet ensemble des questionnements,  nous accordons de l’importance au processus qui conduit l’homme à opérer un choix. Bien mieux, nous entendons analyser  ce qui influence l’homme à opérer un choix pour une action à entreprendre. Ce processus, nous retrouvons dans l’étude de la DELIBERATION. Cette petite recherche  contribuera certainement à créer en l’homme la responsabilité et diminuer l’inauthenticité après les actes.
Nous voudrions subdiviser ce travail en trois parties. La première cherchera à définir, à travers l’exploration des thèses de Bernard LONERGAN et d’Aristote, ce qui constitue les contours du problème de la délibération. La deuxième partie, se donnera d’analyser ce qu’on appelle Jugement de valeurs, élément très essentiel qui concourt à l’action. Et la dernière partie voudra expliquer finalement ce qu’est le mal, en voulant savoir si c'est la liberté qui l'engendre.

Première Partie : QU’EST-CE QUE LA DELIBERATION ?
 Bernard LONERGAN cherche à définir la délibération en partant des considérations épistémologiques. Définir la délibération est avant tout savoir comment nous formulons les jugements de valeurs, c’est-à-dire comment nous parvenons à dire que ceci est bon et cela est mauvais. La délibération prend sa base dans le processus de la formation d’un jugement de valeur « qu’est-ce qui nous permet de dire que ceci est bon ou mauvais ? » Bernard LONERGAN distingue trois aspects qui entrent en jeu dans le processus de la délibération : l’aspect cognitif (la raison), l’aspect affectif (le sentiment) et l’aspect volitionnel (la volonté). Il s’agit ici de la même chose qu’Aristote affirme : « Or il y a dans l’âme trois facteurs prédominants qui qui déterminent l’action et la vérité : sensation, intellect et désir »[1]
A.   L’ASPECT COGNITIF
D’après cette perspective, la raison a une place de choix dans le processus de délibération. Et il faut ici se rappeler de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote où celui nous fait part de la nature de la délibération. Avec ARISTOTE, la délibération n’apparaît pas comme un souhait, c’est un acte qui dépend du sujet. D’où il écrit : « … nous délibérons sur les choses qui dépensent de nous et que nous pouvons réaliser… »[2]Ce passage veut simplement renforcer l’idée selon laquelle la délibération est une opération de l’intelligence qui atteste la possibilité ou l’impossibilité du choix. Il continue plus loin : « …sont possibles les choses qui peuvent être réalisées par nous… »[3]Et pour renchérir, il conclut : « Nous délibérons non pas sur les fins elles-mêmes, mais sur les moyens d’atteindre les fins. »[4]. Voici de façon succincte la nature du délibérable. L’idée de la délibération apparaît donc le plus claire. Elle est la phronesis (la sagacité). Et celle-ci n’est rien d’autre que l’art de bien faire les choses, au bon moment, pour une bonne cause et dans des bonnes proportions. C’est la question de la vigilance intellectuelle et alors commence à apparaître plus clairement la notion aristotélicienne de la vertu comme juste milieu. Le trop et le moins ne conduisent toujours pas au bien.
Cet aspect de traduit chez Bernard LONERGAN par ce qu’il appelle insight délibératif, la perspicacité intellectuelle, discursive, rationnel. Ce n’est point l’intuition. Compris dans ce sens, la délibération est une activité heuristique, c’est-à-dire la recherche de la vérité.
B.   L’ASPECT AFFECTIF
Il s’agit de trouver le rôle du sentiment dans le processus de la délibération. Il faut se rendre à l’évidence que l’homme n’est pas seulement un être rationnel tel que présenté plus haut, mais il est aussi un être sentimental. En effet, l’homme n’agit pas toujours en fonction de la raison, mais il est aussi foncièrement guidé par les passions, les feelings. Plus précisément, il est habité par un sentiment très profond : l’amour. D’où, l’on pourrait, à la suite de Max Scheler, définir l’homme comme un ens amans, un être amant (un cœur amant, selon  Jésus le Christ). Dorénavant en matière de l’analyse de la délibération, le sentiment doit être pris au sérieux et non pas relégué au dernier plan.
D’abord, qu’est-ce que le sentiment ?
-      Chez ARISTOTE, il y a une indication sur l’idée du sentiment : le sentiment n’est pas une « superstructure » ajoutée à l’homme, mais il fait partie de la nature de l’homme. Son rôle : les sentiments jouent un rôle important dans la recherche du bonheur. Il sied pourtant de signaler le risque d’exagération, le risque  de passion. En effet, lorsque l’on fait de  l’amour une passion (et donc un amour excessif), il peut l’homme déséquilibré. Démocrite quelque part dans ses Fragments : Désirer violemment une chose, c’est rendre son âme aveugle pour le reste. 
-      David HUME, lui, découvre dans les sentiments le fondement par excellence de la réalisation du bien ou du mal. Car, estime-t-il, ce sont les sentiments qui poussent l’homme à agir ou à ne pas agir. Pour lui, la raison doit être esclave des sentiments. Point de vue que nous retrouvons également dans les systèmes utilitariste, pragmatiste, intuitionniste, épicuriste, hédoniste,… où l’homme apparaît comme étant fondamentalement sentiment, désir.

Bernard LONERGAN veut trouver l’essence du sentiment. Il la découvre dans l’idée du « désir de ». D’où le parallélisme qu’il établit entre sentiment et désir. Dans cette optique, le sentiment est toujours et déjà là come intention. Bien mieux, sentiment et intentionnalité (Husserl). Et dans le domaine moral, le sentiment est l’équivalent du désir (vouloir) du bien. Et dans le domaine épistémologique, c’est le désir de connaître la vérité. Ce désir est pur et désintéressé. Mise en garde : il est important de ne pas confondre sentiments et penchants (en Anglais biais). Les penchants, c’est l’ensemble des inclinations qui nous donnent la tendance à agir toujours de la même manière. Inconvénients : les penchants déforment, désorientent et bloquent la réalisation du bien.
 Bernard LONERGAN dresse une typologie des penchants :
1.       Les inclinations dramatiques : c’est l’ensemble des images non voulues (surtout dans le domaine de la sexualité) qui envahissent l’esprit et déforment le jugement. Ils plongent dans des émotions que nous n’arrivons plus à contrôler (névrose) où on n’est plus soi-même.
2.       Les inclinations individuelles : la tendance à l’égoïsme (le souci excessif pour ses propres intérêts)
3.       Les inclinations par rapport au groupe : une forte tendance à s’identifier à un groupe, un parti politique, à une tribu, à une race,…
4.       Les inclinations générales : c’est la tendance à mettre l’accent sur les solutions pratiques avec grand avantage des résultats pratiques, mais éphémères.
A partir de cette distinction des penchants ou inclinations, distinction qui permet de bien comprendre le risque de déformation du jugement dans le processus délibératif, Bernard LONERGAN présente, à la suite de Max SCHELER[5], la typologie des sentiments divisés en trois groupes.  
-      Les sentiments non intentionnels : ce sont les états qui n’impliquent de valeur morale : la faim, la soif, la fatigue, la colère, la peur… Ces sentiments sont provoqués par le désir de satisfaction biologique qui crée la sensation du bien-être.
-      Les sentiments intentionnels à l’agréable et au désagréable : ce sont les sentiments liés aux sens, à la partie sensitive de l’homme. Autrement, ce sont les sentiments ayant trait au désir charnel. Ils arrivent par stimulis et sont passagers. Ces sentiments, nous les partageons avec les animaux. 
-      Les sentiments intentionnels aux valeurs : c’est l’ensemble des sentiments (psychiques) d’approbation. Ces sentiments nous font ressentir le besoin de faire le bien. LONERGAN appelle ces sentiments les impératifs sentimentaux, les préceptes transcendantaux, et les voici :
1.    Sois attentif : le sentiment d’être éveillé, de ne pas être distrait, égoïste, être conscient de ce qui se passe autour de soi.
2.    Sois intelligent : le désir des réponses aux questions
3.    Sois raisonnable : ne pas être excessif, être réaliste, avoir l’ouverture
4.    Sois responsable : être heureux de s’assumer
5.    Sois amoureux : au niveau de la relation
Ce parcours dans l’étude des sentiments nous permet d’affirmer qu’ils jouent un rôle très important dans le processus de la délibération. Le sentiment est un désir pur, désintéressé ; il est peut être corrompu lorsque nous en faisons un penchant. D’où la nécessité de l’éducation car tous les sentiments, tels que nous venons de le voir, ne sont toujours pas bons.
C.   L’ASPECT VOLITIONNEL 
Dans la volonté, on trouve un moment crucial ; le moment de la décision. Elle nous pousse à dire oui ou non, à être d’accord ou à ne l’être pas. Mais qu’est-ce que décider selon Bernard LONERGAN ?
Tout d’abord, disons ce que décider n’est pas : la décision n’est pas un jugement de valeur. La décision n’est pas une délibération. La décision n’est pas non plus une exécution. Elle n’est nullement le désir, ni encore moins une imagination. Positivement donc, la décision est le fait de dire oui ou non à une action à entreprendre ; la décision est un acte de liberté ; la décision implique la connaissance des faits (car il n’existe pas de décision sans connaissance). Bref, l’essence de la décision est dans la liberté et la responsabilité.
D’où, le mal peut donc être défini comme l’échec de la liberté à choisir le bien. C’est le fait de dire oui à la place de non, de dire non à la place de oui. Le bien, c’est la liberté qui opte de choisir les valeurs, le vrai… C’est le résultat de la liberté à suivre les impératifs sentimentaux.
Deuxième parie : LE JUGEMENT DE VALEURS
Nous venons n’analyser les différents aspects qui impliquent une bonne délibération. D’où nous avons cette définition : la délibération est un processus holistique qui implique l’aspect cognitif, l’aspect affectif et l’aspect volitionnel. Alors qu’est-ce qu’un jugement de valeurs ? Tout jugement qui prend en compte toutes ces dimensions est digne d’être appelé jugement de valeurs. Et c’est seulement de cette façon que l’on sera véritablement en mesure de faire le bien et d’éviter le mal. Comment intégrer ces différents aspects qui semblent s’opposer les uns aux autres ? En partant de la théorie aristotélicienne de causalité[6],  à savoir la cause matérielle, la cause formelle, la cause efficiente et la cause finale. En morale, il y a en premier l’existence du désir du bien, ensuite il y a la validation par la raison, et la volonté s’y mêle suivie de l’exécution.
Mais comment du jugement des valeurs, on peut passer à la réalisation du bien ou du mal? Qu'est-ce que finalement la liberté veut dire dans le processus qui mène à l'action ?

                                              Troisième Partie
LES PARADOXES DE LA DELIBERATION
Socrate, Platon et Aristote
Nous voudrions chercher à répondre aux questions suivantes : la délibération conduit-elle nécessairement au choix du bien? Pourquoi pas ? Pourquoi le choix du mal ? Qu'implique vraiment la liberté en morale?
a.    Socrate
           Les premiers philosophes avaient l’idée que la nature est une, et que ses lois sont constantes, nul ne peut les changer. Voilà que Socrate dans le Phédon, cherchait lui aussi la véritable cause, non ce sans quoi la cause ne serait pas cause. Mais comment ? « Supposant toujours que la raison me paraît être la meilleure, toutes les explications qui me paraissent s’accorder avec elle, je les prends pour vraies, et celles qui ne lui sont pas conformes, je les rejette comme fausses. »[7] Expliquer une chose est, selon Socrate, en rendre la raison, la rapporter à la raison comme à sa source. Or la raison ne se trouve point dans les moyens, mais dans la fin. La fin est en effet la seule et la véritable cause ; elle ne peut se réaliser qu’en étant présente à une intelligence qui pense, organise et ordonne les moyens. La cause finale n’est qu’une cause pensée. Socrate distingue deux ordres : l’ordre idéal et l’ordre réel. Dans le premier, l’acte est d’abord pensé, puis les moyens. La fin y est la cause des moyens. Mais dans l’ordre réel, les moyens se réalisent et l’acte en dernier. La fin est l’effet des moyens. La fin est une vraie cause quand elle est pensée. Toutefois, il faut savoir que l’ordre idéal est la cause de l’ordre réel. Quelle implication de tout ceci pour la morale ? Et plus précisément, le paradoxe du mal ?
Les actes humains s’expliquent par la pensée qui les règle, par le but qui les attire. Ceci implique que tout homme qui agit avec intelligence doit rendre raison de ses actes selon le principe que la fin, le but est la raison des actions. Plus loin, il affirme que les hommes choisissent parmi les choses possibles, celles qui leur sont utiles. Mais par le fait d’être doué de raison, l’homme doit agir en vue de l’utilité la plus élevée (le degré le plus élevé de l’utile). Quelle conséquence de tout ceci ?
Parce que l’homme va au bien, le cherche et y aspire naturellement, la fin de ses actes il ne la choisit pas ; il la reçoit toute faite. La fin est de la nature des choses, les actes de l’homme devront donc aussi l’être.  Paradoxe : si l’homme cherche naturellement le bien, ne jouit-il pas de la liberté de  choisir les voies et moyens qui l’y conduisent ?
Pour Socrate, la réponse est non. Toute action doit s’expliquer par la pensée qui la règle et la dirige. Par le fait que la fin est nécessairement imposée, tous les moyens le sont aussi. Et donc la délibération n’a pas son sens pour Socrate, car on ne peut être indéterminé en face du bien. Et donc, faire le mal en connaissant le bien, ce n’être ni sage, ni raisonnable. On ne peut rendre raison de cet acte parce qu’on agit contrairement à la raison. Il refuse alors que l’on connaisse le bien quand fait le pire. D’où « nous faisons le mal par ignorance ».
Socrate a un principe inexorable: connaître la justice implique selon lui être juste. Si le désordre existe dans le monde, estime-t-il, s’il y a encore tant de méchants, c’est que le bien n’est pas encore connu. Il faut donc s’instruire pour éviter le mal. Socrate considère la maîtrise de soi (affranchissement des passions) comme la vertu excellente. Mais n’y a-t-il pas un principe qui doit y conduire, ce qui serait la volonté?
b.   Platon
Dans le monde intelligible, l’Idée du Bien est principe de toute action. Là, l’hésitation n’est pas au pouvoir de l’homme car l’intelligence domine et commande la volonté. Dans le monde sensible (de l’opinion), nous ne contemplons pas les choses en elles-mêmes ; nous ne voyons que les images, les fantômes, les apparences qui créent des doutes. Dans ce monde, « nous ne pouvons dire que nous savons, mais il nous semble, il nous paraît[8] Les actes ne sont ni bons, ni meilleurs, mais ils nous semblent bons, meilleurs. Dans le monde des apparences souvent trompeuses, il arrive malheureusement que l’homme choisisse; il choisit l’apparent du bon ou du meilleur. Quelle leçon morale tirer de cette théorie des deux mondes ?
Platon reconnaît trois parties de l’âme : la raison (située dans la tête, son objet est le monde idéal, le Bien suprême), le cœur (dans la poitrine, il est le principe des affections désintéressées et des aspirations supérieures) et l’appétit sensitif (dans le bas-ventre, il est le principe des inclinations inférieures). La raison tend invinciblement au vrai et au bien ; l’appétit sensitif vers le mal, le faux.  « De même entre le monde sensible et le monde intelligible se trouve le monde de l’opinion,  de même entre la raison et l’appétit il y a le cœur. »[9] C’est dans cette région moyenne (entre l’infaillibilité du bien et du mal) que Platon place le libre arbitre (l’indétermination), la liberté, ce qui dépend de nous. Pour Platon, posséder la liberté n’est pas une perfection, mais une imperfection ; ce n’est point une puissance, mais une impuissance. La puissance de choisir est d’après Platon le privilège d’une classe d’hommes intermédiaires entre les bons et les méchants, entre les avants et les ignorants.
c.    Aristote
Aristote croit à l’indétermination des actes de l’homme, à un libre arbitre. Le pouvoir de l’homme vient du choix qu’il a sur ses actions.
Premièrement, il trouve en l’homme la spontanéité (ce qui s’oppose à la force). Mais ce n’est pas le privilège de l’homme adulte qui possède un pouvoir sur ses actions, elle appartient aux enfants et aux animaux. La spontanéité est l’absence de la volonté ; pourtant la puissance de l’homme se rencontre dans la volonté. Celle-ci a pour objet la fin. La volonté se définit selon lui comme l’appétit de l’intelligence ; elle échappe en la puissance de l’homme.
Deuxièmement, la seule chose qui est en la puissance de l’homme est le choix. Ce qui conduit au choix est la délibération. Le choix est appétit qui vient après la délibération et la réflexion, un appétit réfléchi. D’où il écrit quelque part qu’on ne délibère que sur les choses possibles et contingentes : « Le passé ne peut jamais être l’objet de choix() La délibération, en effet, porte non sur le passé, mais sur le futur et le contingent. »[10] Possibles et contingentes par rapport à nous. Pour les animaux, ils obéissent à une spontanéité qui s’accomplit avec une nécessité d’un syllogisme : l’appétit est la majeure, le sens est la mineure et l’action est la conclusion. L’appétit dit qu’il faut boire ; les sens : voici la boisson ; aussitôt l’animal se met à boire. Chez l’homme, la raison est au-dessus de la sensation. Il ya la sensation, l’esprit (qui opère un choix : contingence) et la conclusion participe à cette contingence.[11] Cette permet à Aristote d’affirmer que l’homme est le principe de ses actes. Le vice dépend de nous comme la vertu. Comme on peut le lire dans Ethique à Nicomaque : « la vertu et le vice sont volontaires. » [12] Le choix constitue donc la cause efficiente de l’acte. Comme l’action n’arrive pas toujours avec la nécessité d’un syllogisme catégorique, il y l’incertitude dans l’avenir. Le principe de certaines actions dans le futur se trouve dans la délibération.
CONCLUSION
Socrate, Platon et Aristote croient tous à la tendance générale de l’homme au bien. Cette tendance s’impose à nous, nous l’acceptons. Aristote donne à cette tendance le nom de volonté. Aristote croit à la puissance de l’homme sur ses actions, à un libre choix impossible à déterminer et à prévoir. La volonté, on ne délibère point sur son existence ; nous l’acceptons. Ce quin’est pas possible pour Socrate : le bien ne peut faire objet de choix, car on ne peut être indéterminé face au bien. Et pour Platon, le libre choix est une imperfection, car elle appartient aux hommes de classe intermédiaire entre les savants et les ignorants. Pour Aristote, l’homme est souvent séduit par l’attrait du plaisir, sollicité par les biens inférieurs. C’est notre libre choix qui donne aux biens inférieurs la force de surpasser les biens supérieurs. Il n’est plus question comme chez Socrate et Platon que nous faisons le mal par ignorance, mais nous sommes nous-mêmes les auteurs du vice comme de la vertu ; nous préférons les avantages du vice que ceux de la vertu.
Ce point de vue est également celui de Bernard LONERGAN lorsqu’il parlede la méthode intentionnelle qui implique l'appropriation de soi. Le mal est l’échec de la liberté à choisir le bien. Il n’y a pas là à s’étonner parce qu’il est disciple avéré de Saint Thomas d’Aquin, disciple fidèle d’Aristote. La délibération est un processus qui conduit au choix du bien ou du mal. L’homme étant défini en tant qu’un tout, il est dangereux de le définir à partir d’une seule capacité la raison. Il est aussi un être sentimental. D’où, selon Bernard LONERGAN, le mal (le choix du bien apparent) peut l’emporter sur le bien véritable. Le défi moral consiste justement à ce que l’homme choisisse le bien quoique sollicité par les avantages du vice. Quant à la solution, Socrate, Platon, Aristote et Bernard LONERGAN sont unanimes : l’éducation.
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
-      MANWELO Paulin, Notes du cours des Questions approfondies de Morale en deuxième licence, Université de Kinshasa, 2016-2017, inédit
-      ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, traduction de TRICOt, Paris, Vrin, 2002
-      FONSEGRIVE George, Le libre arbitre, Paris, Felix Alcan, 1887.


[1] ARISTOTE, Ethique a Nicomaque, 1139a15
[2] ARISTOTE, Idem, 1112a30.
[3] ARISTOTE, Idem, 1112b25.
[4] ARISTOTE, Idem, 1112b10
[5] Max SCHELER qui a abondamment écrit sur le thème ayant trait aux sentiments (sympathie, empathie, apathie…) a fini par définir l’homme comme étant fondamentalement un être amant.
[6] ARISTOTE, La Physique.
[7] FONSEGRIVE George, Le libre arbitre, Paris, Felix Alcan, 1887, p. 14.
[8] GONSEGRIVE George, Op. cit., p. 21.
[9] GONSEGRIVE Georges, Op. cit., p. 22.
[10] Ethique à Nicomaque, VI, 2, 1139b5.
[11] GONSEGRIVE Georges, op. cit., p. 28.
[12] ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, III,7, 1113b5.

vendredi 16 octobre 2015

Le Dasein dans l'horizon de la question de l'être. Dans Être et Temps de Martin HEIDEGGER. Mon travail de fin de cycle de Graduat à l'Université de Kinshasa ,2014-2015

EPIGRAPHE








 « Rien n’est plus important que l’homme. L’homme est toujours plus grand que ce qu’il fait et ce qu’il ne fait pas ; plus beau que son apparence »
                     (Jean-Louis AKPOA)










REMERCIEMENTS

Un travail produit personnellement est toujours une histoire. Et l’on ne peut pas faire l’histoire seul. Ce travail est donc l’expression du concours de plusieurs personnes de bonne volonté. Le nôtre ne fait aucune exception de cette articulation.
Le Maître de l’histoire, celui qui a forcé et force les choses à se passer telle qu’elles arrivent mérite en premier notre gratitude. Notre remerciement s’adresse aussi de façon particulière aux autorités académiques de l’Université de Kinshasa qui se soucient de guider nos pas vers un idéal scientifique élevé.
Nous resterons indéfiniment reconnaissants envers  la chorale, aux amis, aux lecteurs et aux bienfaiteurs.
Merci à la présence à nos parents qui, vivant dans les coins les plus oubliés et souvent confrontés à la difficulté de fournir tous les moyens financiers adéquats pour nos études, sont des véritables martyrs de la société pour notre cause. Merci aux amis, au lecteur et à ceux qui nous aidés de loin ou de près.










INTRODUCTION GENERALE

1.    Problématique
    De tous les temps, les hommes ont pensé et perpétuent cette recherche. Plus passionnément, les philosophes se sont approprié cette activité. Que cherchent-ils donc? Ils sont certainement à la quête du sens et de la vérité. Rien d’autre que la vérité. En effet, la vérité est le lieu où l’homme se réalise comme tel. Nous cherchons nous aussi la vérité ; même dans nos occupations les plus banales, nous avons besoin de la vérité et nous la désirons ardemment. Quand bien même que nous puissions la voiler, elle exige toujours à se faire dévoiler. Le voilement et le dévoilement, c’est le propre de la vérité. Mais il convient aussi de se questionner sur l’essence même de la vérité.  La vérité est-elle vérité de quoi?  Nous disons souvent que la vérité est vérité de quelque chose. Le quelque chose se dit de plusieurs choses. Mais l'idée commune que nous avons, c'est vouloir exprimer la réalité, ce qui est là, ce qui est. Et ce qui est, voilà l'être!  Au service de la question sur l'essence de la vérité, la recherche s'engage dans les voies de la métaphysique. C'est donc ainsi que nous ouvrons la requête sur le sens de l’être.
    Mais qu’importe une recherche sur le sens de l’être à ce moment où les hommes recherchent, par-dessus tout, le bonheur matériel ? En effet, la question « pourquoi y a-t-il l’étant plutôt que rien »  mérite d’être posée. La question avec la formule du pourquoi ne peut être comparée à aucune autre. Le pourquoi caractérise foncièrement la philosophie dans son essence. Malheureusement, cette investigation paraît être une vaine spéculation prétentieuse et vide sur les significations verbales. A coup sûr, les choses paraissent ainsi ; même pour la philosophie. Mais si nous ne voulons pas être victimes des banales évidences à bon marché, il se révélera que cette question philosophique et métaphysique nous amène à tout autre chose qu’à jouer avec des mots. « La philosophie vise toujours les fondements premiers et derniers de l’étant, et ceci de façon que l’homme y trouve une interprétation(…) concernant l’homme. »   Mais que vient faire ici ce que nous appelons avec notre auteur Dasein ? Et qui est au clair ce Dasein ? Que nous offre-t-il vraiment dans l’intention métaphysique déjà expliquée ? Tout ceci a besoin d’être mieux analysé
2.    Hypothèse du sujet
    La question sur l’être est une question traditionnelle. « En tant que thème et question d’une recherche véritable, »  Platon  et Aristote s’y sont investis ; tous deux quêtant le sens de l’être. La métaphysique est pour eux l’interprétation de ce qui se tient au-delà des apparences. Elle, est, si l’on s’accorde sur l’arbre philosophique de Descartes, la racine même de la philosophie. Aussi longtemps que l’homme se comprend comme le vivant doué de raison, la métaphysique appartient, selon les dires de Kant, à la nature de l’homme. 
    Partant des idées de la tradition et considérant la métaphysique comme une activité essentiellement humaine, il nous semble évident avec Martin Heidegger que la question du sens de l’être ne peut mieux s’éclaircir que si celle de la réalité humaine (Dasein) est préalablement tirée au clair parce que l’être n’est saisi qu’avec le Dasein. Au service de la question ouverte sur le sens, ou même, sur la vérité de l’être, une réflexion sur l’être de l’homme devient nécessaire parce que « la relation de l’être à l’homme appartient bel et bien à l’être lui-même.»  L’existence humaine donne accès à l’être. Cette manière de penser la métaphysique distingue Heidegger de la tradition ontologique.  La métaphysique devient un problème de l’essence de la vérité. Mais comment procède-t-il ?
    La vérité de l’être n’est possible qu’au moment où le décèlement de l’être est réussi. Pour y parvenir, il faut se rappeler que l’être est étroitement conditionné par un étant capable de rendre compte de l’être. Et cet étant ouvert pour l’ouverture de son être est le Dasein. Celui-ci doit être éprouvé comme lieu et champ de la vérité de l’être.
3.    Intérêt du travail
    Que serait l’homme sans recherche de sens ? Que serait la philosophie sans recherche de sens ? Que serait la vie sans recherche de sens ? Ces questionnements justifient notre intérêt. Mais de façon serrée, nous avons une ambition qui, au fond, est aussi une prétention : analyser le sens de l’être qui nous amène à la problématique de la vérité de l’être. Ce travail qui, par sa manière de procéder, plonge notre pensée sur le Dasein (l’étant que nous sommes chaque fois) est une forte motivation.
4.    Méthode de travail
    L’être n’est pas démontrable, mais se fait connaître parce qu’il se montre. En métaphysique, il n’y pas une méthode de démonstration comme en mathématique parce qu’elle n’est pas une science exacte. La révélation d’une chose, c’est que nous nommons vérité. Et être, il n’y a que si la révélation (la vérité) a lieu. Pourtant il n’y a de révélation que s'il existe aussi ce qui met au jour, c’est-à-dire ce qui révèle. Nous sommes nous-mêmes l’étant de ce genre.
            La méthode utilisée dans ce travail est celle qui nous permettra de manifester le sens de l’être en analysant les grands thèmes de l’étant qui comprend l’être. Elle est analytico-dialectique. Nous procédons par une analyse du texte en lui appliquant une vieille dialectique pour obtenir des réponses à nos préoccupations. La technique est essentiellement une relecture progressive de la pensée contenue dans l’ouvrage de base*. 
5.    Subdivision du travail
    La pensée contenue dans Être et Temps est pleine d’originalités et de nouveautés. Voilà pourquoi cela requiert une stratégie de travail adaptée au style du développement de notre auteur. Coincé par cette exigence, nous avons cru subdiviser notre travail en trois chapitres.
    Le premier chapitre, que nous surnommons l’univers métaphysique de Martin Heidegger, s’évertuera de baliser la voie de façon à offrir le cadre général du développement de la métaphysique heideggérienne. Ce chapitre est une entrée dans la pensée du livre.
    Les grands thèmes de l’analytique du « Dasein » est notre deuxième chapitre. Il est le point fort de notre travail parce qu’il contient les développements détaillés des grands thèmes de ce qui sera nommé analytique du « Dasein ».
      Le troisième et le dernier, est une tentative de l’appropriation de la pensée heideggérienne dans le contexte congolais et africain. Nous voudrions y trouver une solution à la préoccupation suivante : Quel est l’apport de la pensée heideggérienne dans la résolution de la crise identitaire dont souffrent le Congolais en particulier, et l’Africain en général ?


















CHAP. I. L’UNIVERS METAPHYSIQUE DE MARTIN HEIDEGGER

Il y a nécessité d’approfondir, dès les débuts de cette réflexion, les motifs qui nous ont poussés, à la suite de notre auteur, à considérer la question de l’être comme essentielle en philosophie. En effet, la philosophie reste pour tous les philosophes la science de l’être ; « …l’être est le véritable et unique thème de la philosophie.  » Cette prise de position thématique a été tranchée et décidée depuis le début de la philosophie.
De toute évidence, il n’est pas moins vrai que c’est la thématique de l’être qui spécifie l’objet de la philosophie par rapport aux autres sciences qui ne s’occupent, pour l’essentiel de leurs travaux, que des étants. L’être est intelligibilité ; la philosophie est une science de l’esprit, elle n’est pas en priorité empirique, mais procède de l’empirique pour s’en détacher petit à petit. C’est pour cette raison que Hegel soutient ceci : « la philosophie est par nature quelque chose d’ésotérique qui n’est pas fait pour le vulgaire, ni fait pour être mis à la portée du vulgaire ; elle n’est philosophie qu’autant qu’elle s’oppose précisément à l’entendement et du même coup, bien d’avantage au sens commun, qui comprend la limitation dans l’espace et dans le temps  d’une race des hommes; pour ce sens commun, le monde de la philosophie est en soi et pour soi un monde renversé. »
Les prétentions, tout comme les critères du sens commun, ne peuvent revendiquer la moindre validité, ni représenter une quelconque instance relativement à ce qu’est la philosophie et à ce qu’elle n’est pas, dit Martin Heidegger. De telles conceptions ne datent pas d’aujourd’hui, mais depuis que la philosophie existe comme science, elles accompagnent le développement de la philosophie. Et, de toute évidence, la réponse à la question de savoir ce que doit être la philosophie est une affaire confiée à la philosophie et c’est à elle-même d’en décider.
Ce point de vue par rapport à l’objet de la philosophie est vrai. Il ne s’agit pas ici d’une invention personnelle. Cette conception prend naissance dès les commencements de la philosophie dans l’Antiquité. Le simple fait d’être point de vue enraciné depuis les travaux fondateurs des Physiologues ne veut pas dire pour nous philosophes un ça va de soi. Bien au contraire, il y a moins de trivialité parce que la proposition « la philosophie reste la science de l’être »   est au départ une simple affirmation qu’il faut chercher  à comprendre et à approuver, non en se limitant aux rumeurs –comme le feraient le commun des mortels avec la conscience commune- mais en scrutant ensuite les derniers bastions d’une telle affirmation.
En effet, la question de l'être n’est pas nouvelle; nous nous sommes bien souvent familiarisés avec les expressions accompagnant le mot être. Il nous  semble légitime de nous demander, à la suite du professeur de Marbourg : « Mais qu’en est-il de l’être (objet de la philosophie) ?» 
Notre recherche s’inscrit donc dans la tradition des discussions métaphysiques par son intéressement incessant à la question de l’être sans négliger pour autant le condensé herméneutique qui y est essentiellement consacré.  Et ce premier point qui marque notre trouvaille de Heidegger veut simplement déblayer le terrain sur lequel nous nous étendrons tout au long de notre travail. Dans ce tout premier chapitre que nous subdivisons en deux points, nous voudrions nous appesantir sur l’actualité de l’exposition du sens de l’être en général, en offrant en même temps le cadre nouveau du développement de notre auteur par rapport au sens de l’être en général.

1.    NÉCESSITÉ DE LA REPETITION ET PRIMAUTÉ DE LA QUESTION DE L'ÊTRE

a.    La nécessité de la répétition de la question de l’être
La  nécessité de la répétition de la question de l’être tient essentiellement de la forte accoutumance qui a curieusement engendré trivialité de la question. Que comprenons-nous de l’être ? Ne nous sommes-nous donc pas tous familiarisés avec la question de l’être à telle enseigne que toute tentative d’explication de cette structure reste enveloppée d’obscurité ? Chacun (de nous) en fait constamment usage et entend déjà aussi ce qu’il veut dire par là.  Le mot être s’impose dans toutes nos expressions: je suis malade ;  il est parti ; tu es beau… Que comprenons-nous de la copule ? Serait-ce même nécessaire ? Il nous semble.
Notre époque manifeste donc un grand intérêt de tenir à nouveau la métaphysique. Mais, hélas,  il y a, en même temps, un évident relâchement  par rapport à la rigueur et à la puissance qu’exige cette question. Les efforts de Platon et d'Aristote ont été remarquables. Ils ont malheureusement  jeté un dogme qui déclare désormais obscure toute explication autour de la question de l’être. Cette route tracée par les premiers philosophes est aujourd’hui devenue pour nous un lieu commun et clair. Et tout celui qui questionne encore en ce sens se voit reprocher une erreur de méthode .
Mais que dire de l’être ? Qu’est-ce que l’être ? De façon préliminaire, disons que de l’être, on l’entend de différentes manières. Et l’être est quelque chose de différent que l’étant (c’est la question de la différence ontologique).
Ayant montré que la question qui devrait porter sur l’être est resté purement chômé pour l’avoir posée en termes d’être, mais d’y avoir consacré une réponse de l’étant, Martin Heidegger veut ressusciter de plus profond un questionnement sur l’être en tant que tel. Mais les prétextes qui barricadent la voie à une telle investigation sont au nombre de trois, eux-mêmes enracinés dans l’ontologie traditionnelle méritent un détail particulier.         
Les préjugés métaphysiques sont à comprendre, dans leur intégrité, dans l’histoire même de la question ontologique avec des soubassements traditionnels : l’être (le Sein) est le concept le plus général, le concept indéfinissable et le concept qui va de soi.
D’abord, le concept « être » s’est d’abord révélé général  parce qu’applicable à toutes les formes de réalités (il est garçon, la journée est  belle, la route est rocailleuse, Dieu est bon…). Et cette généralité du concept ne veut aucunement dire que le concept d’être soit le plus clair de tous les concepts ; au contraire, il est enveloppé d’obscurité. Telle est la première nécessité de la répétition de la question sur l’être.  S’agit-il d’une répétition au sens courant et ennuyant de recommencer la même chose par rapport à la tradition sclérosée? C’est ce que nous voulons découvrir.  
Ensuite, le concept de « être » s’est révélé dans l’ontologie traditionnelle comme indéfinissable . Ceci est une conséquence de sa généralité. Il est indéfinissable en ceci que, différent de tous les étants,  l’on ne peut adéquatement le définir par rapport ou avec des mots qui désignent des étants. Étant concept supérieur, il n’est pas présentable par les concepts inférieurs. Autrement, les concepts inférieurs n’offrent pas du crédit à présenter adéquatement le concept supérieur sans l’amoindrir. « Mais s’ensuit-il que l’être ne peut plus offrir aucun problème ? Pas du tout. » . Ce qui est foncièrement vrai, c’est que l’être veut dire quelque chose, une chose intelligible.  Et lorsque nous prononçons être, nous ne voulons absolument pas désigner un étant. Par ailleurs, l’impossibilité d’une définition de l’être n’exclut pas au moins de questionner son sens ! Parce que  être, c’est avoir un sens pour « nous » lorsque « nous » l’utilisons. Et peu importe s’il s’agit d’une idée embrouillée sur sa nature. Tout cela offre un début d’explication. L’aporie de l’indéfinissabilité n’est donc pas une excuse suffisante pour considérer la question de l’être comme dispensée. Il y a lieu de s’échapper et de contourner le problème en examinant le sens de l’être sans tomber dans le dogmatisme ontologique de la définition aristotélicienne. Ce que nous voulons dire c’est que l’indéfinissabilité n’est pas synonyme de parfaite (in)compréhension du sens.
Enfin, dans l’ontologie antique,  le concept « être » va de soi . Après l’élucidation de deux préjugés précédents, il est un procédé douteux de croire à un ca-va-de-soi philosophique quant au concept d’être.
Il s’avère que la question de l’être doit à nouveau être posée, mais seulement avec une limpidité particulière. Aussi nous semble-t-il nécessaire de circonscrire ce qui appartient ou non à la recherche.
En tant que questionnement  sérieux, Heidegger construit un système référentiel qui permette la compréhension du problème.   Heidegger estime que dans toute recherche, il faut qu’il y ait, outre une question, un questionné et un interrogé. Cette manière structuraliste de procéder nous aidera à donner une direction bien circonscrite en évitant les digressions du champ d’investigation.  
La question à poser est celle du sens de l’être comme dit plus haut. Il a été aussi dit que nous avons une certaine entente de l’être ; celle qui est souvent à notre disposition lorsque nous prononçons ce mot. « Nous ne savons pas ce que être veut dire. Mais dès l’instant où nous posons la question  ‘Qu’est-ce que l’être ?’, nous nous tenons dans une entente de ‘est’ sans aussi fixer conceptuellement ce que signifie le ‘est’. Cette entente courante et vague de l’être est un fait ».  Et alors, il apparaît clair que le questionné dans notre recherche est l’être et l’interrogé n’est rien d’autre  que l’étant de cet être « qui a, en quelque sorte,  à répondre de son être » ; et donc le Dasein, l'étant que nous sommes nous-mêmes.  Mais ce n'est pas tout! Il faut aussi s’assurer un bon moyen d’accès à cet étant. Mais d’abord, quel est cet étant ? Soit avant même de le nommer, qu’est-ce qu’un  étant ?
Un étant, nous le disons  de beaucoup de choses et en des sens différents. « Est étant ce dont nous parlons, tout ce que nous pensons, tout ce à l’égard de quoi nous nous comportons de telle ou de telle façon ; ce que nous sommes et comment nous le sommes, c’est encore un étant » . Tout ceci pour dire que l’étant désigne le « il y a », l’existence (ici comprise dans son sens courant), la réalité, le là. La conclusion qui peut être tirée est de dire que l’être se trouve dans la réalité, dans l’être-là-devant, dans le « il y a ». Mais au finish, sur quel étant le sens d’être s’inscrit-il ? Quel est cet étant ouvert naturellement à la question de l’être ?
De toute évidence, tous les étants sont et sont quelque chose sans doute, mais un seul est spécial ; il a la parole, il a toujours et déjà une compréhension, une précompréhension (il comprend toujours quelque chose avant les explications)… c’est l’homme. De plus, à l’homme, le verbe être  est devenu si banal au point de n’apparaître plus comme une question. Heidegger en déduit que l’homme, en existant et en ayant des activités avec d’autres étants, a nécessairement une précompréhension spontanée et naturelle de quelque chose comme être. Il faut donc partir de l’existence concrète et de l’interprétation de l’homme pour trouver le sens de « être ». Cela suppose une herméneutique qui soit en quelque manière une auto-interprétation de Dasein par lui-même.
Martin Heidegger dénomme alors Dasein l’homme dont l’être consiste, contrairement aux autres étants, à avoir une entente (ou plus exactement une précompréhension) de l’être. De façon plus sérieuse, pouvons-nous dire que le sens du concept Dasein soit alors apparu clair ?  N’en pouvons-nous plus rien dire pour expliciter davantage ?
b.    Dasein et Etre : nature de relation
            Les activités rationnelles sont exclusivement les comportements de l’homme. L'homme, cet étant que nous sommes chaque fois et existant parmi tant d’autres, le fils de Marbourg lui donne le nom de Dasein.
             Nous avons commencé plus haut à montrer que la question  du sens de l’être s’enquérait ou, pour dire mieux, aurait dû s’enquérir une remarquable réciprocité de rapport entre la question (le sens de l’être), le questionné  (l’être) et l’interrogé (le Dasein).  Et nous avons choisi le Dasein de la multitude des étants par sa primauté dans la manière de se rapporter à la question de l’être. En effet, l’homme est l’étant où l’être se manifeste, y trouvant la place (Da, du verbe latin dare) dont il (l’être,  Sein en Allemand) a rigoureusement besoin d’être. Un va-et-vient entre la question (le sens de l’être), le questionné (l’être) et l’interrogé (le Dasein) avait déjà esquissé une sorte de rapport privilégié et moins négligeable qui puisse guider les recherches dans la voie d’accès à la recherche de l’ontologie fondamentale. 
        De tout ce qui précède, il nous semble que la première question et le problème qui se posent simultanément au niveau  où nous en sommes est d’en savoir plus sur le caractère de ce Dasein -l’étant que nous sommes chaque fois.
         L’être de cet étant est le mien. Et l’étant est tout ce qui existe là devant nous de façon simple : homme objet, plante, machette, animal,… toutes ces apparitions calmes sont des étants et nous disons qu’ils existent, qu’ils sont.  Mais l’homme, en tant qu’étant, est doté d’un statut particulier dans son étance ; il se distingue de tous les étants en accédant à l’être par la métaphysique. Et « le Dasein est de telle manière qu’étant, il entend quelque chose tel que être. »   Il ajoute encore en disant ceci : «  Cet étant que nous sommes chaque fois nous-mêmes et qui a, entre autres possibilités d’être, celle de questionner, nous lui faisons place dans notre terminologie sous le nom de Dasein. »  Le Dasein est donc en termes simples, l’homme dont la manière se rapporte à un éveil perpétuel sur le questionnement de son être et de l’être des choses.
               Il ressort à présent que le Dasein a toujours une compréhension de l’être, sinon il ne se serait jamais même posé la question : « qu’est-ce que l’être » dans toute sa rigueur. Par le fait de se la poser souvent, le Dasein inscrit en son compte le caractère de compréhension. Le Dasein est compréhension.
             Tous nos efforts d'explication de l'être a pris une direction inattendue. La question de l'être a débouché sur une réflexion sur l'être du Dasein et celui-ci se voit conféré une double primauté : une primauté ontologique et une primauté ontique. Il a une primauté ontologique de façon apriorique ; c’est-à-dire que s’il veut que toutes les investigations sérieuses puissent atteindre un but clair et le tirer au clair, la question du sens de l’être doit être tenue comme tâche fondamentale.  Sa primauté ontique vient par le simple fait qu’à partir de son existence parmi d’autres étants, « le Dasein s’entend (d’emblée) à partir de soi-même. » 
              Au fait, l’existence désigne d’abord le Dasein ; et l’ontologie fondamentale ne saura désormais que faire river la question sur les structures fondamentales  de l’ensemble de l’existence du Dasein. Ce tout de l'existence, Heidegger l’appelle existentialité. Celle-ci n’est rien que « l’être de l’étant qui existe. »  L’analytique existentiale est son étude. Dans l’analytique existentiale, il y a bel et bien l’idée de l’être dans la mesure où elle constitue elle-même l’ontologie fondamentale. Et son élaboration ne peut que dépendre de celle de l’être. La primauté ontique du Dasein peut se résumer de la façon suivante : cet étant est déterminé en son être par son existence.
             A partir des primautés étudiées, le Dasein s’est déjà révélé comme étant l’étant qui doit d’abord être élaboré ontologiquement de façon suffisante pour que le questionnement sur l’être se fasse en toute clarté. Mais l’auteur ne lâche pas là ; il continue en effet: « Or, il est maintenant apparu que c’est en somme l’analytique ontologique du Dasein qui constitue l’ontologie fondamentale, de même que c’est le Dasein qui… est l’étant à interroger sur son être »
             Il appert que, quand s’impose la tâche de l’interprétation du sens de l’être, le Dasein n’est pas seulement le premier étant qui, souvent, se rapporte à son être  par son questionnement sur l’être, mais aussi celui qui doit être abordé en premier.  « La question de l’être n’est rien d’autre que la radicalisation de l’entente pré-ontologique de l’être. »  Voici donc de manière préliminaire, ce qu’il en est du Dasein.
La nécessité de nous fixer l’objectif de prendre l’analytique existentiale  du Dasein comme fil directeur en vue de l’interprétation du sens de l’être s’est déjà montrée de façon évidente, mais ce n’est pas tout ! Les analyses qui suivent nous permettront de mieux en savoir à partir du jalon jeté. Mais jusqu’à présent, il nous semble avoir inquiété le lecteur en énonçant un problème : Dasein et Être, autrement « étant et être » dans une imbrication. Quand nous voulons parler de l'être, l'étant s'y associe forcement et prend le centre de réflexion. Ne s’agit-il pas là d’un produit issu du mariage de contre-nature ? En effet, il est difficile de séparer les deux. Est-il que la nécessité d'une union des deux est devenue immanquable. Mais, est-ce que le problème est-il donc définitivement résolu en présentant le Dasein (un étant) comme centre de réflexion ontologique ? N’y aurait-il pas plutôt une manière particulière permettant le mieux d’accéder à ce Dasein? Toute manière de l’approcher serait-elle fructueuse ? Par ci ou par là, est-ce la même chose comme se le dirait Parménide ? Quelle méthode et quelle structure de base nous faut-il ?  N'avons-nous pas vraiment besoin d'une méthode?
2.    L’ANALYTIQUE ONTOLOGIQUE DU DASEIN COMME HORIZON DU SENS DE L’ÊTRE EN GENERAL : EXIGENCE PHENOMENOLOGIQUE
« Être », c’est avoir un sens, un sens pour l’homme ; parce que l’homme est le seul à pouvoir se poser la question sur l’être et à  en avoir une précompréhension.  Et l’homme est un étant parmi les autres. Il se comprend d’abord dans son être avant de s’élancer dans les activités avec les autres. Seul parmi les autres, il est doué du pouvoir de faire irruption de soi-même par l’existence (ex-ister) ; cette structure qui le caractérise plus profondément comme homme (son essence). Aussi Heidegger ne cesse-t-il pas de répéter que l’essence du Dasein est dans son existence.  Si nous voulons trouver l’horizon nécessaire pour l’explicitation et la compréhension de l’être en général, nous voici donc invités à l’analyse de l’être de l’homme, de son mode d’être, de son être-là, sa manière simple et ou moins simple mais régulier d’être dans la quotidienneté et la banalité courante.
Les primautés du Dasein risquent de nous  amener facilement à croire qu’il (le Dasein) présente une saisissabilité immédiate. Martin dit que certainement nous sommes les plus proches de nous-mêmes ontiquement, mais ontologiquement les plus éloignés. Nous avons en effet une entente de nous-mêmes, mais préontologique. Ceci parce le Dasein « a tendance à entendre son être en partant de cet étant avec lequel il lui est essentiel d’être d’emblée et constamment en rapport en partant du monde. »  Certes pour lui, cette entente confuse n’est pas négatif, c’est déjà un riche acquis. Ni la psychologie philosophique, ni l’anthropologie, ni l’éthique, ni la politique, ni la poésie, ni la biographie … n’ont atteint une précision plus ou moins correcte de l’originalité existentiale. Elles ont peut-être cherché l’originalité du point de vue existentiel. La justification existentiale doit impliquer le problème de l’être en passant par une explicitation philosophique du Dasein.
« L’analytique existentiale doit donc rester ce qu’il y a de plus désirable quand la question porte sur l’être. »  N’importe quelle idée pour accéder au Dasein n’est pas applicable pour une étude sérieuse. Le mode d’accès et la manière de l’explicitation à choisir doivent permettre que cet étant puisse se montrer en lui-même à partir de lui-même. « Et ils doivent justement montrer l’étant en ce qu’il est d’abord et le plus souvent, en sa quotidienneté moyenne. »  Mais cette manière de procéder demeure axée sur la tâche essentielle : élaborer la question de l’être. Il ne s’agit pas d’une ontologie exhaustive du Dasein, (tâche d’une anthropologie philosophique rigoureuse). Le rôle est tout simplement de préparer l’explicitation le sens de l’être en général.  Et alors le sens de cet être se révélera être la Temporalité.  . L’explicitation du temps est donc l’horizon de l’entente de l’être.
La désobstruction de l’histoire de l’ontologie est pour ainsi dire la prise en compte de l’historialité dans la question  de l’être. L’historialité, c’est enfin la dimension temporelle de l’être. La temporalité doit ici quitter son usage courant. Le Dasein temporel ne désignera pas ici « l’être dans le temps », mais l’aventure. La compréhension de l’être du Dasein doit être rendu explicite par le Temps ; pour dire autrement que l’ontologie ne doit désormais qu’être historique (dans un sens positif) et non des ensembles des condensés doctrinaux constituant des dogmes éparpillés.  « Il importe à la question de l’être elle-même d’arriver à voir clair dans sa propre histoire, il faut alors rendre à la tradition sclérosée sa fraicheur et décaper les revêtements qu’elle a accumulés avec le temps. C’est cette tâche à accomplir dans la perspective de la question de l’être que nous entendons par la désobstruction du fond traditionnel provenant de l’ontologie antique pour renouer avec les expériences originales dans lesquelles avaient été atteintes les premières et désormais directrices déterminations de l’être. »  Bien loin d’enfoncer le passé dans le nul, la désobstruction est un nouvel apport positif.
Comment procéder ? Phénoménologiquement. Mais d’abord, que vient faire la phénoménologie ici ?
La phénoménologie est science des phénomènes. Et l’être est n’est pas objet d’une démonstration. Il est visible par voie de monstration par des phénomènes. Nous allons saisir l’être par voie des phénomènes. C’est pourquoi notre analyse voudra saisir l’être dans sa monstration par le Dasein, mais le Dasein qui se montre tel qu’il est le plus souvent dans la quotidienneté, sans être voilé. C’est dire donc que la phénoménologie est la science de l’être de l’étant . « La phénoménologie du Dasein est l’herméneutique (…) d’après laquelle elle désigne la tâche de l’explicitation. » 















CHAPITRE II. LES GRANDS THEMES DE L’ANALYTIQUE EXITENTIALE DU DASEIN
Introduction
L’analytique du Dasein est décidément prise pour notre fil conducteur. Le Dasein, c’est avant tout une constitution ontologique, une épreuve de l’être. Son être est ce pour lequel il est livré, c’est « ce dont il y va pour cet étant chaque fois lui-même. »  Martin Heidegger relève deux conséquences de cette caractérisation :
    L’essence du Dasein tient dans son existence  : autrement, la quiddité du Dasein tient à son à-être (avoir), son existence, sa projection. L’existence a ici une connotation existentiale d’être du Dasein et à lui seul. L’existence exprime les « manières possibles d’être »   et non des qualités. Le Dasein se voit présenté comme un être (au sens spontané) des possibilités ; il se projette vers des possibilités. Le concept Dasein exprime plutôt des possibilités d’être et n’épuise pas des questions comme le feraient d’autres concepts tels que arbre, maison, table…parce qu'ils sont dénudés de possibilité.
    L’être du Dasein implique toujours soi-même ; je le suis moi-même. Toute recherche sur le Dasein tient compte du caractère personnel  « d’être-chaque-fois-à-moi. »  Le pronom personnel est impliqué : je suis, tu es… Le Dasein est toujours disposé en possibilités ; « il peut en son être se choisir, se trouver lui-même » . Il est alors soi-même propre ; notion de propriété. « Il peut se perdre (…), soit ne se jamais trouver, soit ne se trouver que pour le semblant ». Notion  de l’impropriété. Propriété et impropriété n’ont rien de négatif, ils désignent le Dasein dans ses modes d’être ; ils déterminent le Dasein « dans ce qu’il a de plus concret, dans son activité, son émotivité, l’intérêt qu’il prend aux choses, ce dans quoi il trouve du plaisir. » 
Il y a prééminence de l'existence par rapport à l'essence, et le caractère d’être-chaque-fois-à-moi du Dasein. Celui-ci n’est pas un simple étant là-devant pour que toute connaissance à son sujet soit aisée ; il n’est pas à trouver comme de l’or, l’arbre…parce que le Dasein est possibilité à partir de ce qu’il est déjà ; « le Dasein s’entend d’une certaine façon… »  Cette phrase montre la constitution d’existence du Dasein. L’existentialité de l’existence donne à développer la problématique de son entente de l’être. Et pour aborder de façon sûre une telle étude, il faut chercher le Dasein dans les modes où il est moins dévoilé ; c’est le côté indifférencié de la quotidienneté, l’être-dans-la-moyenne . Le Dasein dans sa quotidienneté est le mode de se mouvoir « dans une culture hautement développée et différenciée »  Il faut, envisager le Dasein dans sa primitivité, parce qu’il a sa quotidienneté spécifique, il est plus direct dans ses phénomènes. Il parle plus directement et de façon moins compliquée.  Ce mode d’être inclut la propriété et l’impropriété. Elles expriment toutes le sens de l’être.
L’analytique du Dasein n’est-elle pas même chose que ce que font la biologie, la psychologie et l’anthropologie ?
Dans l’analytique du Dasein, le Dasein, ciblé, n’est absolument pas le but ; le véritable problème, le problème philosophique poursuivi est le sens de l’être. L’anthropologie se limite à déterminer l’homme, avec toute dérivation,  comme dualité de corps et de l’esprit. L’anthropologie ne pose le problème qu’avec orientation sur la vie ; la psychologie a une visée vitale aussi, et surtout la biologie parce qu’elle est science de la vie. L'être du Dasein ne peut être saisi comme vie. Ce qui égare ces sciences sur la question de l’être, ce que lorsqu’elles étudient l'homme, elles « s’orientent généralement sur l’anthropologie d’origine antique et chrétienne »  L’anthropologie traditionnelle interprète l’homme comme l’animal doué de raison. L’anthropologie chrétienne, elle, postule que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Mais la religion n’a jamais fait de l’être de l’homme un problème.  Ces sciences, apparemment identiques à l’analytique du Dasein, n’offrent pas un crédit pour une visée ontologique fondamentale.
Ayant éclairé et distingué les analogies, il faut libérer nos chances pour le progrès. Ceci ne peut commencer que si est répétée et purifiée ce qui n’a pas été dévoilée : l’idée du monde.
Thème I : L’ETRE-AU-MONDE: UNE CONSTITUTION FONDAMENTALE DU
                  DASEIN

                  Dans une telle énonciation, il y a de prime abord à saisir une idée d’appartenance. Ce qui n'est pas interdit. Mais, l’expression voudra communiquer dans un autre sens  une notion de familiarité, de cohabitation. Ce c'est qui nous intéresse.  Il n’y a pas à comprendre comme une juxtaposition d’un étant « Dasein » avec un autre étant monde.  L’être-au exprime une constitution fondamentale de sorte que le Dasein se comprend en étant déjà-là ; c’est ce que Heidegger appelle la factivité ; un état « … d’être là-devant à l’état de fait.  Le Dasein se comprend pour ainsi dire déjà dans l’embarquement de son destin. Cette structure s’accompagne toujours de la préoccupation. Le Dasein est toujours dans la préoccupation, il l’est essentiellement dans la mesure où son être se révélera être le souci. Son état de déchéance le conduit au « Care » (le soin)
La connaissance que le Dasein a du monde ne se réduit pas à une contemplation passive du monde, au contraire, il est d’abord accaparé par le monde dont il se préoccupe. Le Dasein, comme être-au, est un genre d’un étant qui connaît ; celui qui tourne sa compréhension vers les choses étants se rencontrant au sein du monde. Le phénomène « monde » est-il déjà clair ? Pas tout à fait.

La mondéité du monde

D’où partir pour trouver une idée de la mondéité du monde en général ? se demande Martin Heidegger. La première idée, c’est le décrire  en énumérant les étants à l’intérieur du monde. Non ! Il s’agit là d’une activité préphénoménologique, dit Heidegger. « La description reste rivée à l’étant. Elle est ontique. »  Et ce qui est clair, c’est que l’étant n’est  pas notre but bien qu’il s’associe à la thématique. Ce que nous cherchons,  c’est saisir phénoménologiquement le monde ; autrement, c’est mettre au clair les  étants intérieurs au monde (les choses).

A l’intérieur du monde, il y a des choses naturelles et des choses pourvues de valeur . Leur être-chose pose alors problème. Il faut alors nous tourner vers les choses pourvues de valeur parce que c’est auprès d’elle que le Dasein séjourne d’abord et le plus souvent. Cette attitude nous donnera certainement de bien concevoir le monde dans lequel le Dasein vit ; mais ne s’agit-il pas là de chercher à concevoir le monde personnel? A quel monde devons-nous penser en posant la question du monde ?
    Heidegger nous répond en disant que c’est la mondéité en général. Mondéité est un concept ontologique et désigne une structure de l’être-au-monde (détermination existentiale du Dasein).  « Le monde est un caractère du Dasein lui-même »  Mais comment pouvons-nous parvenir à une idée de mondéité en général ?  Heidegger nous dit ceci : « C’est à partir de l’être-au-monde quotidien qu’il faut s’attacher et en prenant (…) sur lui que (…) le monde doit se présenter en vue. »  La recherche partira donc de l’être-au-monde-moyen vers l’idée de monde en général.
Mondéité ambiante et mondéité en général
    L’être-au-monde, taxé de commerce avec le monde, manifeste une variété d’occupations. Le commerce avec le monde ne se limite guère à un connaître théorique du monde, mais à l’activité issue de la précompréhension. L’étants se rencontrant dans le commerce avec le monde s’appelle « util » , ce qui est fait pour. L’util se caractérise par le renvoi à autre chose. Une maison, par exemple, n’est pas perçue en soi, mais par rapport à son genre d’être, l’utilisabilité qui est l’habitation. L’util dévoile toujours une utillerie. Toute utilisabilité tient compte de l’activité ; c’est la discernation. Et il faut du coup se rendre compte que « le comportement pratique n’est pas athéorique. »  Mais comment, du monde ambiant, peut-on déboucher sur le monde en général ?
    Le renvoi aboutit toujours à dévoiler le monde public, commun. L’util comporte tout un réseau de renvois. Un ouvrage de cordonnerie contient des matériaux : clous, cuir, fil… le cuir est extrait des peaux d’animaux. Les peaux sont prises des animaux que d’autres élèvent. Ainsi de suite… l’ouvrage fini est produit pour être utilisable dans les préoccupations ; ainsi le monde des utilisateurs, le monde public est dévoilé. Alors, que veut dire ontologiquement le monde ?
    « Le monde n’est pas lui-même un étant au sein du monde.»  Le Dasein a une certaine entente préontologique du monde à partir de ses activités. Dans la préoccupation, le Dasein est ‘surpris’ par certains utils devenus inemployables. C’est la surprenance. L’util devient, à cet état, simplement là-devant. L’util peut aussi venir se présenter au Dasein quand celui-ci n’en a pas besoin ; c'est l’importunance. Un util, dont le Dasein n’a pas le temps, peut réclamer le soin du Dasein ; c’est la récalcitrance . Ces trois modes dévoilent l’être de ce qui est intérieur au monde. Ils montrent que l’aspect du renvoi est dérangé. Mais jusqu’à présent, « c’est le monde ambiant qui se signale à l’attention. » 
Quand l’utilisable ne surprend pas, le monde non plus ne se signale à l’attention. Pendant que l’utilisable est accessible à la préoccupation, c’est le monde qui s’y trouve découvert comme « quelque chose dans quoi le Dasein est chaque fois. »  Le monde apparaît alors comme ce avec quoi le Dasein est toujours en familiarité ; il peut se perdre par les étants intérieurs au monde. La familiarité avec le monde se trahit avec la conjointure et la significativité. L’utilisable se trouve au monde, il lui est joint. La nature de l’utilisable est la jointure au monde. La caractéristique essentielle du monde est le réseau des renvois et signes. Ces deux notions marquent l’idée de mise en relation ; mise en relation avec autre chose.
En bref, nous avons indiqué l’horizon à l’intérieur duquel quelque chose tel que monde et mondéité sont à rechercher. Le monde a été caractérisé comme une constitution de l’être du Dasein ; il est familiarité du Dasein ; « la mondéité est l’intégralité des renvois de la significativité. »  La significativité est ce pour quoi le monde est découvert.

Thème II : DASEIN COMME MITTSEIN* ET ÊTRE-SOI-MÊME   

Le Dasein est présenté jusqu’alors non comme étant en un monde, mais comme se rapportant au monde dans sa quotidienneté. « Mais qu’est-ce qui est dans la quotidienneté du Dasein ? »  Il est plongé dans le monde ; il a la structure de l’être-au. Cela est à la base de l’être-avec et la coexistence. C’est sur ce mode que se fonde le sujet de la quotidienneté, l’être-soi-même quotidien ; le « on ».
a.    Dasein comme Mittsein
Le Dasein quotidien est un étant là-devant. Ce Dasein, je le suis. « Il se pourrait aussi que je ne sois justement pas chaque fois moi-même le qui du Dasein quotidien.»  Et là, il s’agit d’un « être-soi-même perdu.»  Le contenu de l’énoncé « je » trouve sens dans l’exister. Et donc, « la substance de l’homme n’est pas l’esprit en tant que une synthèse d’âme et du corps, mais bien l’existence.»  Mais comment se fait-il possible la coexistence des autres ?
Dans la rencontre avec les utilisables, l’ensemble des renvois révélait un réseau de rencontre. Le fait-pour… d’un livre renvoie au lecteur, le champ au propriétaire… L’autre est un étant qui « n’est ni (simplement) là-devant, ni utilisable mais il est tout comme le Dasein.»  Les autres, ce n’est pas ce qui m’isole ou ce qui est différent de moi, au contraire « ce sont plutôt ceux dont la plupart du temps on ne se distingue pas, parmi lesquels on est aussi.»  C’est dire que les autres ne sont pas rencontrés par auto-distinction, mais à partir de la préoccupation dans le monde. L’être-avec détermine toujours le Dasein, même quand l’autre n’est pas là. « L’être-seul est un mode déficient de l’être-avec.»  Le Dasein ne doit que rencontrer le Dasein, peu importe sur quel mode (indifférence, étranger…). Le souci mutuel caractérise de fond le Dasein. La mutualité est fondée sur l’être-avec. Le Dasein est le plus souvent dans les modes déficients du souci mutuel. « Avoir égard à l’autre, être contre lui, être sans lui, (…), ne rien demander à personne… »
 Le mode positif du souci mutuel se révèle par l’aide (le souci à agir à la place de l’autre), le conseil (aider l’autre à voir clair dans son propre souci et à être libre pour lui). L’être-en-compagnie est un autre mode d’être-avec mais découlant d’une ‘préoccupation commune.  Le Dasein est toujours ouvert à la coexistence des autres parce qu’il en a une certaine entente. Cette entente est suscitée par la préoccupation (dans le monde ambiant) culminant au souci mutuel. Les modes déficients ont des répercussions sur le soi-même : l’intropathie, l’hypocrisie, la dissimulation, les arrière-pensées... Les modes positifs engendrent l’ouverture. S’ouvrir, se renfermer se fondent sur de modes déficients ou positifs. Rencontrant les autres dans l’immersion de la préoccupation, l’être-avec se transforme l’être par rapport aux autres ; à ce moment le Dasein n’est pas lui-même, même les autres ; « les autres sont l’activité qu’ils exercent.»
b.    Dasein comme être-soi-même
De l’immersion dans l’être-en-compagnie, comment l’être-soi-même peut–il se révéler ? Dans l’être-en-compagnie, l’avec, le pour et le contre des autres montrent qu’il y a constamment le souci d’une différence avec les autres. « (…) l’être- en-compagnie est –à son insu- tenaillé par le souci de distance.»  Le Dasein a le caractère de la distantialité. Bien qu’ayant cette caractéristique, le Dasein reste sous l’empire des autres (et les autres ne sont pas déterminés), il n’est pas lui-même ; il n’est même pas responsable de ses propres actes dans la quotidienneté. « Qui » donc est celui qui en est responsable ? Martin Heidegger dit que « ce n’est ni celui-ci, ni celui-là, ni nous autres, ni quelques-uns, ni la somme de tous. Le ‘qui’ est le neutre, le ‘on’.»  La formule est « nous on.. .». Chaque autre équivaut l’autre.  L’être-en-compagnie, caractérisé par la distantialité, est toujours préoccupé par l’être-dans-la-moyenne.»  Être-dans-la-moyenne, c’est  l’empire de la dictature du « on ». Il « surveille toute exception tendant à se faire jour.»  Zarathoustra n’a-t-il pas déprécié cette tendance où tout secret perd sa force ? Tout passe pour archiconnu de tous (on). C’est  ce qu’appelle Heidegger « la publicité. »  Le on a toujours raison ; il a tout le monopole de toute interprétation ; il refuse toute remise en question. « (…) le on fournit d’avance tout jugement et toute décision, il ne laisse plus aucune responsabilité au Dasein. »  Le on peut être finalement être identifié à personne ; il est énigmatique parce que plus il se manifeste, plus il devient confus. 
    Distantialité, être-dans-la-moyenne, égalisation, publicité, dispense d’être sont les caractères affectant le Dasein quotidien en tant qu’être-avec. Le Dasein est le on et la plupart du temps il le demeure.  Dans notre lecture de l’être-avec et l’être-soi-même, le on s’est révélé être la réponse à la question de savoir qui est le responsable de la quotidienneté de l’être-en-compagnie. Martin affirme avec véhémence ceci :
« L’être véritablement soi-même ne se repose pas sur un état d’exception où le sujet et le on seraient dissociés ;   au contraire, c’est une modification existentielle du on en tant qu’existential essentiel. »
Thème III : DERELICTION DU DASEIN

    Jusqu’à présent, l’être-au-monde a caractérisé le moment structural du monde et ce qu’est le Dasein en sa quotidienneté (on). De façon sommaire, l’analyse  de l’être après le monde a engendré la préoccupation ; l’être-avec a révélé le souci mutuel et l’être-soi-même a abouti à connaître le qui de la quotidienneté. Le présent thème (constitué de plusieurs thèmes) nous aidera à mieux voir encore de plus près ce qu’est le Dasein dans sa constitution du là, de l’ouvertude (dévoilement) de son installation en plein air, l’être ouvert au là, à l’ek-sistence où il est livré à lui-même, voire abandonné..
a.    Dasein comme disposibilité
La disposibilité –l’état d’humeur- est aussi un existential fondamental ; il est vu ici autrement qu’en psychologie. En effet, l’homme est toujours porté par des virements d’humeur : tantôt de bon moral, tantôt de mauvais moral jusqu’à ne plus en pouvoir de lui-même. La cause en est souvent inconnue.
L’humeur se révèle comme le fardeau (le fardeau est toujours à porter) ; mais ici un fardeau intérieur. L’humeur montre que l’homme est livré au Da-sein ; il assume la charge de son appartenance à l’être. Le Dasein se trouve voilé dans sa provenance et dans sa direction, c’est l’être-jeté  ; celui-ci est une remise du Dasein à lui-même, « il est et a à être. » 
Dans la disposibilité, le Dasein se découvre toujours déjà placé face à lui-même ; il se trouve là en telle disposition. Il se découvre en même temps livré à son être. L’indisposition aveugle le Dasein ; car indisposé, il ne sait plus rien de lui-même. C’est toujours la constitution du là qui est ainsi dévoilé. Prenons-en un exemple traité par l’auteur.  
La peur
Qu’est-ce qui fait peur ? C’est le « redoutable, »  un étant qui se présente avec le genre de l’utilisable. Celui-ci a caractère menaçant, nocif et bien situé à l’intérieur d’un  système bien précis, se rapprochant de plus en plus. « A mesure qu’il gagne en proximité, le nocif menace (…) ça fait peur.»  L’avoir-peur est cette sensation d’être concerné par la présence imminente du redoutable. Le pour-quoi de la peur est le Dasein lui-même : il a peur pour lui-même. « La peur découvre cet étant dans son être-en-danger où il se retrouve sans recours que lui-même.»  L’auteur ajoute que la peur « met toujours le Dasein à nu (…) à son là.»  Elle délocalise le Dasein dans sa spatialité au monde, il perd sa tête, se désoriente.
L’avoir-peur-pour est une sorte de disposibilité partagée. C’est l’être-avec en compagnie de l’autre qui est en danger. La peur est un mode de la disposibilité. Il existe plusieurs degrés de peur : frayeur, horreur, terreur, craintivité,  timidité, anxiété, stupeur…  Le Dasein est cet étant ayant la possibilité d’avoir peur (et ce n’est pas l’unique possibilité).
b.    Dasein comme entendre*
Pour Heidegger, l’entendre se conçoit de pair avec l’expliquer. L’entendre du Dasein prend racine à partir de la conjointure d’où est découvert le monde. L’entendre, c’est « ce en vue de quoi le monde comme tel est découvert.»   Ceci veut dire que le Dasein découvre le monde à cause de ses occupations. Le Dasein comprend quelque chose parce qu’il est aussi capable quelque chose.  Cela fonde aussi son être : « le Dasein est chaque fois ce qu’il peut être et même la manière d’être cette possibilité »  La possibilité d’être du Dasein caractérise ce qui est seulement possible.
Etant toujours disposé, le Dasein se voit être un étant étant dans des possibilités autres d’autres. Il se risque pour ainsi dire dans la projection ; il se projette vers des possibilités parce qu’il est « être possible livré à lui-même(…) il est la possibilité d’être libre en vue du pouvoir-être le plus propre. »  Par cette nature, il peut se fourvoyer ou se méprendre ! Mais il est son là. Le Dasein, livré à lui-même, veut se retrouver en ses possibilités. La compréhension permet au Dasein  de savoir où il en est avec lui-même.
Mais pourquoi est-ce que dans cette constitution d’entendre, la possibilité s’y est-elle infiltrée pour prendre le fil de l’interprétation ? L’auteur nous répond : « Parce que l’entendre a en lui-même la structure de la projection. »  Cette projection n’est pas d’avance très bien conçue, « elle se jette (se projette) loin en avant la possibilité comme possibilité pour la faire être telle.»  Le Dasein s’entend toujours à partir du monde parce que celui-ci fait partie de son être. L’auto-tromperie peut avoir son soubassement de l’ignorance de l’idée du monde. 
Mais que veut dire possibilité dans le jargon heideggérien ? Et que vient-elle faire ici ? Au fait, le Dasein est chaque ce qu’il peut être, et sa manière d’être cette possibilité. La possibilité c’est « ce qui n’est pas encore réel et qui n’est jamais nécessaire.»  C’est d’elle que se fonde le caractère de la projection de l’entendre. Mais comment, à partir de l’ouvertude du projeter de l’entendre, y a-t-il être en général ?  « Dans la projection sur des possibilités est déjà anticipée l’entente de l’être.»  Mais comment ? « L’être est entendu en projection sans être conçu ontologiquement.»  Disposibilité et entendre caractérisent le là du Dasein. « Disposé, le Dasein voit des possibilité à partir desquelles il est.» 
Entendre et explicitation
    L’entendre a le caractère de la projection vers des possibilités. Cet être ententif est pouvoir-être. L’entendre, quand il se développe, se nomme explicitation. C’est le stade de l’appropriation de l’entendre.  « L’explicitation ne consiste pas à prendre connaissance de ce qui est entendu, mais travaille à développer des possibilités projetées dans l’entendre. »  Pour comprendre ce phénomène de l’explicitation, il faut se laisser, une fois de plus, embarquer par l’analyse en partant du monde.
Le Dasein, plongé dans les préoccupations, comprend les choses grâce au réseau des renvois. Par cette structure, il comprend encore quelque chose en tant que fait-pour. Le Dasein comprend toujours les choses comme fait-pour… « ‘L’en-tan-que’ constitue la structure dans laquelle une chose entendue trouve son expression.»  Là où manque l’en-tant-que, il n’y a que simple perception. C’est dire que sans l’en-tant-que le Dasein est dans une impasse de compréhension. L’entendre, et en celui-ci, se découvre l’entente du monde qui est dégagée par l’explicitation. « L’explicitation se fonde chaque fois sur un acquis préalable »  L’acquis préalable est « une entièreté de conjointure. » . « L’explicitation se fonde chaque fois sur une visée préalable »  qui ajuste ce qui a été retenue de l’acquis préalable. « L’explicitation se fonde chaque fois sur la saisie préalable »  ; elle est déterminée par un appareil conceptuel bien précis.
Toute explicitation ne peut se passer des présupposés ; la preuve en est deux choses de taille : la structure à préalables  de l’entendre (acquis préalable visée préalable et saisie préalable) et la structure d’en-tant-que de l’explicitation.
L’énoncé se révèle comme un mode d’explicitation et l’entendre.  Il en est ainsi en ceci que l’énoncé se fonde sur les deux présupposés précités en les ramenant à montrer l’étant-là-devant. L’explicitation et l’énoncé ne sont pas des propositions théoriques, mais révèle le Dasein comme toujours préoccupation. Exemple : Le marteau est lourd. C’est l’activité qui s’y trouve exprimée.
Dasein et Parole
 La disposibilité et l’entendre ont révélé l’ouvertude du Dasein comme être-là. L’explicitation est venue se greffer à l’entendre comme « appropriation de ce qui est entendu »  L’énoncé, lui, est une dérivation de l’explicitation. Peut-on entendre, expliciter, voire énoncer sans parole ? La parole est un existential qui dévoile l’ouvertude de l’être-au-monde. Mais qu’est-elle-même cette parole ?  « La parole est l’articulation de l’intelligence. Elle est donc déjà à la base de l’explicitation et de l’énoncé »   Elle passe par des mots ; et Martin ajoute pour préciser qu’ «  aux significations viennent se greffer des mots. »  L’extériorisation orale de la parole est la langue. L’écoute et le silence sont des possibilités de la langue parlée. Et toujours la parole a son ‘sur-quoi…’. A travers la parole, l’homme communique ; il veut s’ouvrir à autrui ; il se partage en tant qu’être-avec, il « s’ex-prime. »  Et l’exprimer, « c’est l’être-au-dehors. »
Outre le sur-quoi… de la parole, il y a également « le parlé en tant que tel, la communication et le message. »   Ces éléments conditionnent ontologiquement la langue. L’écoute est constitutive de la parole. Elle se fonde sur l’être-au-monde ententif en compagnie avec les autres.  L’écoute est un silence qui veut capter le pour-quoi de la parole. Et le silence fait mieux comprendre que les mots. « Mais se taire ne veut pas dire être muet (…) celui-ci a toujours tendance à parler ; mais il lui manque la possibilité. »  Mais quel est donc le secret du silence ? Le voici : « Pour pouvoir se taire, le Dasein doit avoir quelque chose à dire.»   Et le vrai silence est selon Heidegger « le silence-gardé qui cloue le bec au on-dit.» 
Le Dasein ayant la parole veut dire qu’il a pour manière d’être de dévoiler le monde et lui-même.
Thème IV : LA DECHEANCE DU DASEIN

La partie précédente n’a-t-elle pas perdu de vue la quotidienneté du Dasein ? Cette structure qui l’oblige à se plier sous la dictature du on ?  Nous avons passé en revue les structures de l’ouvertude du Dasein. A présent, nous allons rendre visible l’ouvertude au on.
a.    Le on-dit
Rien de péjoratif n’est à consigner ici à cette expression ; c’est par contre « un phénomène positif qui constitue la façon qu’a le Dasein quotidien d’entendre et d’expliciter.»  Dans la parole parlée de la quotidienneté, il existe l’intelligence moyenne. Dans cette tendance, « on entend en commun ce qui est dit.»  C’est le parlé en tant que tel qui est fixé parce que « ça se dit. »  La forme est le garant de l’authenticité et de la véracité. C’est le colportage oral, la rumeur.  A vrai dire, à quoi bon le on-dit pour le Dasein ?
Le on-dit soulage le Dasein de la possibilité de manquer à dire.  Il lui donne une certaine intelligence des choses ; il lui simplifie la tâche.  Comment donc ? « Le on-dit est la possibilité de tout entendre sans s’être auparavant approprié de  ce qui est en question. « Le on-dit neutralise même d’avance tout danger d’échouer(…)  Le on-dit est un calmant qui mène à la fermeture de toute explicitation entrant dans les détails. Le on-dit commande même la disposibilité. Seulement, il met le Dasein dans le suspens. Le Dasein grandit dans cette intelligence moyenne ; il ne peut jamais s’y soustraire. 
« C’est en elle (l’entente moyenne), hors d’elle et contre elle que s’accomplissent tout entendre, tout expliciter et tout communiquer véritables ainsi que redécouverte toute appropriation.»


b.    La curiosité
A l’aune de métaphysique d’Aristote, la curiosité apparaît un phénomène remarqué à travers les yeux et utilisé par analogie aux autres sens comme « plaisir des yeux,» un plaisir de perception. Le Dasein, préoccupé, peut être soit en activité,  soit en préoccupation interrompue, soit terminée.  Dans l’occupation interrompue ou terminée, l’activité vacante donne au Dasein le souci de déloignement, il veut intervenir. Sitôt libre, « la curiosité se préoccupe uniquement de voir.»  Ce que la curiosité cherche, « ce n’est pas pour être dans le vrai (…) c’est l’agitation et l’excitation que procurent le nouveau et sa rencontre renouvelée.» 
Le on-dit ouvre la porte à la curiosité ; « il dit ce qu’on doit avoir lu et vu.»  Et si l’on contemple un évènement, « le savoir n’est pas la véritable visée, mais uniquement pour avoir su.» 
c.    L’équivoque
Ce qui découle du on-dit et de la curiosité, chacun a un mot à dire ; à ce moment, il se brouille l’entente véritable et ce qui ne l’est pas. C’est l’équivoque qui se remarque autant chez l’être-rn-compagnie qu’au Dasein à l’égard de son propre être.  Dans l’équivoque, « non seulement chacun est au courant des derniers évènements, mais chacun, sait même quoi dire de ce qui va se passe, de ce qui n’est pas fait mais qu’il n’y aurait qu’à faire (…) Sur la place publique, l’équivoque fait passer pour évènement véritables des pronostic »  Dans cette attitude, l’ouvertude du l’être-en-compagnie se révèle aussi, car l’on guette l’autre et son commentaire ; un véritable « espionnage mutuel.» 
« C’est dans l’équivoque que le Dasein est toujours là (…) dans cette ouvertude publique (…) où le on-dit parle plus fort (…) » 
On-dit, curiosité et équivoque ont montré la manière quotidienne du Dasein d’être son là, ouvertude de l’être-au-monde. Il déchoit ainsi dans la quotidienneté ; il y est tombé : c’est sa déchéance dans le « on ». Il est ainsi dans une aliénation, dans une tranquillisation (du on), mais aussi dans la tentation (de s’en sortir), dans l’empêtrement (de ne plus s’en sortir). Finalement « il plonge dans le vide de l’impropriété, il chute dans l’inanité de la quotidienneté impropre.»  Ce qui est important, c’est qu’il est aussi sans cesse dans le combat de se libérer de cette impropriété bien que sa lutte prenne forme de ce que Heidegger appelle « tourbillon de l’impropriété du on.» La déchéance devient un tourbillon parce que, abandonné à lui-même (déréliction), le Dasein mène « seul » un combat d’auto-arrachement de l’impropriété. « Ontiquement, on parle du Dasein comme être englouti au péché, mais ontologiquement comme être-en-déval*. ».

Thème V : LE SOUCI COMME ÊTRE DU DASEIN

Les précédentes analyses ont exhibé le Dasein dans son être quotidien avec une diversité phénoménale ; pourtant, ce « tout structuré forme une unité.»   La disposibilité a mis le Dasein devant lui-même et il se découvre jeté comme victime d’une impropriété du nous-on. Mais comment saisir cette unité ? Doit-on passer par un assemblage de thèmes jusqu’ici éprouvés ? « L’être du Dasein ne saurait se déduire d’une idée de l’homme.» Il ne peut non plus être saisi par un assemblage cumulatif des éléments qui le composent ; mais ceux-ci doivent être déduits d’une seule structure. L’être du Dasein est le souci. Pour mieux nous expliquer, commençons par une analyse du phénomène de l’angoisse.
a.    Angoisse : ouvertude du Dasein
L’angoisse est un phénomène proche de la peur ; les deux ont tendance d’être confondues. La peur a été conçue comme une disposibilité que procure un étant intérieur au monde ayant le caractère di nocif gagnant en proximité. L’angoisse, elle, se comprend à partir de la déchéance. Celle-ci, souvent aussi appelée dévalement, a été caractérisée par une fuite devant l’être-soi-même. Cette fuite se justifie par le divertissement qu’impose le « on » dans l’impropriété. « Le devant-quoi de l’angoisse est l’être-au-monde en tant que tel.»  C’est lorsque le monde devient sans signification que le dasein est plongé dans l’angoisse. L’angoisse est une disposibilité passagère ; dès que passée, on a coutume de dire « au fond ce n’était rien.»  Ce rien, ce n’est pas un utilisable, ni quelque chose à portée de main ; c’est l’énigme du monde. L’angoisse tire le Dasein de la déchéance vers l’esseulement. Le Dasein se sent seul.
En effet, l’être-au-monde, jadis compris comme habiter chez soi, être en familiarité avec le monde (par le divertissement du on) prend, par le biais de l’angoisse, le sens de « pas-chez-soi.»  L’angoisse retourne le Dasein vers son propre être souvent confondu avec le monde. Il se soucie de son être à lui ; un « être-au-monde jeté et livré en son être à lui-même.»
b.    Le souci, être du Dasein
Il a été dit que le devant-quoi de l’angoisse est l’être-au-monde, le pour-quoi de la peur est le pouvoir-être-au-monde. Depuis belle lurette, nous soutenons l’affirmation de l’auteur selon laquelle « le Dasein est l’étant pour qui il y va dans son être de cet être même. » Il y va de…prend racine dans la constitution fondamentale de compréhension (entendre). Il se projette par l’entendre qu’il a de lui-même vers un pouvoir-être propre. C’est dire qu’en vertu de son être-libre pour son pouvoir-être, il est « chaque fois déjà en avance »  sur soi. Il s’est toujours projeté, il s’anticipe pour ainsi dire. Et cette avance sur soi se comprend par la préoccupation. C’est son caractère de souci qui le fait se préoccuper de son pouvoir-être et des autres : souci et souci mutuel. Le souci pousse le Dasein dans la quête de la vérité de son être. Il veut y voir clair.
c.    Dasein et vérité
Depuis L’antiquité les philosophes ont eu à dissocier vérité et être. Pourtant, estime Heidegger, aussi longtemps que les deux entretiendront des relations étroites, vérité et être entrent dans le plein milieu de l’ontologie fondamentale. La vérité est ici définie comme « ce qui se montre de soi-même.»  « Le lieu de la vérité est l’énoncé (jugement). L’essence de la vérité tient dans l’accord du jugement avec son objet.»  Cette deuxième affirmation se rapproche de la définition de Saint Thomas d’Aquin : « La vérité est l’adéquation de l’intelligence et l’objet.»  « L’énoncé, c’est un être, l’être en rapport avec la chose elle-même entrain d’être.»  En bref, l’énoncé est ce qui dévoile ; il fait voir tel quel l’étant. La vérité de l’énoncé (être-vrai) est un « être dévoilant.»  L’énoncé est un produit de l’être-au-monde.

Heidegger parle donc de vérité comme a-lêtheia (dévoilement). Le dévoilement est une manière d’être du Dasein. Même dans la non-vérité, la constitution de l’étant dévoilant du Dasein n’est pas aboli ; c’est seulement une possibilité à l’égard de son être.   Le Dasein est essentiellement préoccupation. Son ouvertude est caractérisée par la parole par laquelle il s’exprime, il énonce. « Il exprime soi, en tant que (…) l’étant qui dévoile.»  L’énoncé, la parole parle de l’être ; mais pas toujours. Elle peut même le masquer plutôt que le dévoiler parce que « le Dasein est cooriginalement dans vérité et dans la non-vérité.»  Heidegger apporte des amendements à la tradition ontologique.
« Ce n’est pas l’énoncé qui est le lieu primitif de la vérité, c’est tout le contraire.»  Lui estime plutôt que l’énoncé est un mode d’a    appropriation de la vérité (l’être-dévoilé). Qui se fonde sur l’ouvertude du Dasein. « La vérité la plus originale est le lieu de l’énoncé et la condition de possibilité que des énoncés soient vrais ou faux (dévoilants ou révoilants).»  La conséquence de ces affirmations est la suivante : « Il n’y a de vérité que dans la mesure où et aussi longtemps que (un) Dasein est.»  Vérité éternelle reste une expression de fantaisie aussi longtemps le Dasein demeure un être temporel. « Toute vérité est relative au Dasein.»  Ce n’est pas le subjectif par rapport au bon plaisir du sujet, précise Heidegger, mais comme genre d’être du Dasein.
L’être de la vérité a une relation originale avec le Dasein parce que celui-ci est constitué par l’ouvertude (entendre). Il n’y a l’être que s’il y a vérité. Et il n’y vérité qu’aussi longtemps que Dasein il y a. Etre et vérité se greffent grâce au Dasein et sur le Dasein.

Thème VI : L’ENTIERETE DU DASEIN COMME ETRE-VERS-LA-MORT

L’analyse faite jusqu’ici ne nous a pas permis de saisir l’entièreté du Dasein. Le souci a révélé que le Dasein est toujours en avance-sur-soi, il est en attente d’une chose sui n’est pas encore réalisé. « Il y a donc dans l’essence du Dasein un constatant inachèvement.»  Tant que le Dasein est, il n’a jamais atteint son entièreté. Et donc, l’existe ne nous offre pas la possibilité d’une analyse entière du Dasein. En effet, « l’empêchement se situe du côté de l’être de cet étant.»  Cette apparente impossibilité s’insurge tout simplement parce que non seulement nous avons mis à part ce que « fin » du Dasein dit ontologiquement, mais aussi parce que le phénomène de la mort est resté mis à l’écart.
a.    Fin du Dasein : possibilité de saisir l’entièreté du Dasein
La mort arrache le Dasein de l’être du là (l’ek-sistence). Le Dasein n’en a pas une expérience personnelle. La mort des autres est son expérience possible parce que les autres, mourant, ne sont plus Dasein (l’être-au-monde). Ils quittent le monde, « ils perdent l’être-au-monde.»  Souvent, le Dasein mort (cadavre) n’est interprété que biologiquement comme corps sans vie. Mais nous allons le faire en deux modes : premièrement en mode quotidien et deuxièmement dans une optique purement existentiale.
Souvent, le cadavre devient l’objet de préoccupation (la preuve en est les obsèques, l’inhumation, le culte funéraire…). Il devient un « util utilisable du monde.»  Lui tenir compagnie pendant ce temps de deuil, les autres y sont « avec lui sur un mode de souci mutuel,»  un souci de rendre honneur. Bien qu’étant en compagnie du mort, les survivants comprennent la mort comme une perte, mais n’éprouvent  (au sens fort) la perte d’être que le mourant a subie lui-même. « Nous ne faisons jamais qu’y assister.»  Quelques soient les efforts psychologiques de nous en faire une idée claire, nous n’imaginons que la disparition dans le coexister ; c’est le regret de n’être plus là : les larmes en témoignent.
La mort ne peut être saisie ontologiquement de cette façon parce qu’elle n’est ni un incident, ni un accident ; c’est, par contre, un existential du Dasein. La mort est une évidence, elle fait partie de l’être du Dasein. En effet,  « nul ne peut décharger l’autre de son trépas.»  Même si quelqu’un peut bien mourir pour les autres les (camicases), cela n’entraine à rien que les autres seraient de la moindre façon déchargés de leur mort. « La mort est, pour autant qu’elle est, dans son essence chaque fois à moi.»   Ainsi, posons-nous cette question à Heidegger : « Face à l’évidence de la mort, que faut-il faire ? »
b.    Rester en attente
Rester en attente de la morte n’est pas s’attendre à une surprise, ni s’en détourner. S’attendre à la mort, ce n’est pas non plus la désirer par quelques moyens pratiques, ni la précipiter. Attendre la mort, c’est la comprendre comme « une manière d’être que le Dasein assume aussitôt qu’il est.»  La mort est une responsabilité du Dasein lui-même ; elle est sa pièce jointe. E effet, il est dit aussi clairement ceci : « Sitôt qu’un homme vient à la vie, il est tout de suite assez vieux pour mourir.» 
En effet, l’interprétation existentiale de la mort précède toute biologie, toute théologie, toute théodicée et toute morale. Et il faut ici conspirer toute analyse qui postulerait le hasard comme sa cause. Ontologiquement, la mort n’a pas de cause en tant que responsabilité du Dasein.  « La mort n’est pas un étant qui n’est pas encore là-devant (…)à C’est plutôt une imminence.»  La fin est toujours au rendez-vous du Dasein, elle le guette. L’imminence de la mort n’est pas comparable à une rencontre ; « la mort est (plutôt) une possibilité que le Dasein a, chaque fois, à assumer lui-même.»  Livré à cette possibilité, le Dasein est alors tendu vers son pouvoir-être le plus propre.  « La se révèle comme la possibilité la plus propre.»  Se trouvant ainsi jeté à la mort, le Dasein ressent de l’angoisse ; l’angoisse de l’être-au-monde livré à la mort. L’angoisse n’est pas une faiblesse, elle indique l’ouvertude du Dasein à son être. Pour échapper à cette angoisse, il fuit (provisoirement) devant la mort par le dévalement dans la préoccupation ; le loisir le délivre chaque de cette angoisse.
c.    Le Dasein quotidien et son attitude face à la mort
Le soi-même du Dasein de la quotidienneté est le on (on-dit). Le on, qui au fond n’est personne, connaît la mort  comme cas de mort, une sorte de rencontre. Des gens meurent chaque jour. « La mort se rencontre comme un évènement bien connu (…) qui se produit dans le monde (…) On finit bien (…)  par mourir.»  Le on considère la mort comme “on meurt“, quelque chose de vague. La mort vient de quelque part, mais elle n’est pas encore là. Les Stoïciens développaient particulièrement cette tendance. Ils soutenaient qu’il ne faut pas en tout cas s’inquiéter de la mort parce que nous ne nous rencontrerons jamais, quand elle sera là, nous ne serons plus là.  Le « on meut répand l’opinion selon laquelle la mort frappe (…) le on. …»   Mais ce on, n’est chaque fois pas moi, parce que le on n’est personne. La mort est vue comme un évènement se produisant publiquement et rencontrant le on.  La on augmente la tentation de se dissimuler de la mort ; il tranquillise toujours au sujet de la mort. Rien que penser à la mort devient une occupation inutile.
Dans le « on meurt » se dégage une forte certitude de la mort qui proscrit tout doute. Il s’agit pourtant d’une certitude empirique ; ce n’est pas l’idée existentiale de la mort telle qu’elle est. Le on est certain de la mort, mais elle n’est pas encore là. Ce “mais“ enlève toute certitude de la mort. « Elle (la mort) est   à chaque instant possible.»  Il y a indétermination de la mort. Le Dasein anticipe sa mort. Toute son action est un effort décidé vers la mort. Pourtant le « On ne laisse pas se manifester le courage d’affronter l’angoisse devant la mort.»  Devant l’aliénation par le on, le Dasein a tendance à garder un calme indifférent par rapport au on meurt.
Esquiver la mort, c’est un exister inauthentique. « Le propre (authentique) être vers la mort ne peut s’esquiver devant la plus propre possibilité pour en changer le sens au gré du bon sens du on.»  La mort est la possibilité la plus propre du Dasein ; il ne peut être authentiquement  soi-même qu’en marchant vers la mort.














CHAPITTRE III. L’ANALYRIQUE DU DASEIN : RETOUR A L’ESSENTIEL

Après notre longue rencontre dans le livre, Heidegger a-t-il cessé de nous dire quelque chose ? En finissant le parcours de cette analytique existentiale et en voulant reclasser ce modeste travail où il doit être, Heidegger nous parle personnellement. Il a un message particulier qu’il continue à nous adresser. Heidegger nous chuchote quelques mots comme le Démon de Socrate ; et sa voix silencieuse, parce que nimbée de métaphysique, est plutôt exigeante.   Mais que nous veut-il encore celui-là (ce Blanc-là) ? Quoi de commun avec cet Européen ? se demandera-t-on sans contrôle !

Heidegger nous laisse un message contenant plusieurs thèmes. Ce sont que des rappels de ces choses que nous savons déjà. Mais quoi au juste ? Il nous dit que le Congolais, l’Africain est une constitution du Dasein simplement parce que l’être de ce Dasein est chaque fois à moi . Quels sont alors ces thèmes ? Ils sont nombreux. Ne serait-ce pas trop s’étendre sur le tout du Dasein Congolais ou Africain ? Ne risquons-nous pas de ne rien dire en voulant tout dire ? C’est un risque. Pour ne pas risquer intentionnellement et méthodologiquement, nous allons aborder les messages forts qui ont attiré notre attention :
    Le Mitsein comme interpellation
    L’entendre comme thérapeutique du problème de l’identité
    La mort heideggérienne face au deuil en Afrique comme malheur.

a.    Le Mitsein* comme interpellation
Un terme allemand tel que Mitsein a-t-il besoin d’être bien connu en Afrique et employé pour l’Afrique? Et pourquoi même ? En effet, les Africains sont forts solidaires ; les Congolais en particulier sont constitués par un être ouvert aux autres. Ils sont ouverts aux autres parce qu’ils sont un peuple hospitalier. Cela fait partie des valeurs traditionnelles et coutumières des Africains hospitaliers. Il s’abandonne aux autres par l’influence extérieure qui ne le laisse pas indifférent : les folklores, le loisir, l’extraversion, la danse, une forte spiritualité commune, la musique, la mode, le communisme de pensée (proverbes et dictons). Ontiquement donc, le Congolais est un étant abandonné aux autres par les valeurs culturelles et traditionnelles congolaises. Le congolais est riche dans la constitution de l’être-en-compagnie avec. L’être du Dasein-Congolais est ainsi caractérisé pour la plupart par l’extériorité, l’impropriété, un exister inauthentique.

Le Congolais ne se tient pas seulement dans les modes positifs de l’être-avec tel que présenté.  Il se situe aussi pour la plupart dans les modes déficients : le Congolais est aussi foncièrement conflictuel avec les autres. Le tribalisme, l’égocentrisme (absence d’égard à autrui) et le clanisme en sont les preuves visibles. Il a tendance à vivre aussi comme les autres n’existent pas … Il se situe donc jusqu’alors sous l’emprise du Dasein primitif. A quoi le Dasein comme Mitsein est une interpellation ?
La constitution de Mitsein est un mode quotidien d’être. Et le Congolais, en tant que Dasein, ne peut se soustraire de la quotidienneté (nous-on). Le dasein quotidien ne va pas sans critique chez Martin Heidegger ! Il estime que la coexistence dans le quotidien, l’immersion dans l’être-en-compagnie ne dispense pas le Congolais d’un exister authentique (vivre rationnellement).
En effet, Heidegger nous dit que l’être du Dasein ne se tranquilise jamais dans sa situation de déchéance (la chute dans un exister inauthentique, l’impropriété). Son être (le souci) le pousse sans cesse à « mener un constant combat d’auto-arrachement de l’impropriété.»  L’Africain n’est pas moins concerné par ce travail. Le Congolais doit donc aussi engager son combat pour se délivrer de ce qui est douloureusement appelé la mentalité commune (un esprit prédisposé à la paresse, à la musique, au loisir, à la facilité, à un amour immérité du luxe, un esprit de bavardage (le on-dit), un esprit de parrainage, un esprit qui tolère la salubrité). Le Congolais aime la publicité, la vie publique. La popularité n’est pas une excuse  à vivre l’adéquation à la vérité de son être. Le développement de l’Afrique et de la R.D.Congo ne dépend pas seulement des facteurs des données mathématiques basées sur des statistiques, mais il dépend surtout de l’éveil du Congolais et de l’Africain à la question d’un exister authentique. Tout ceci n’est pas un problème des gouvernants.

b.    L’entendre comme thérapeutique identitaire
Le Dasein est l’étant particulier parce qu’il est le seul parmi les étants à avoir une certaine compréhension (une précompréhension) de soi-même et des choses. Il se comprend toujours d’une certaine façon. Il se comprend pour ainsi dire à partir de ce qu’il est déjà (la structure d’en tant que et à préalable : la nécessité). C’est une possibilité, et ce n’est pas l’unique. Il peut aussi se comprendre à partir de ce qu’il n’est pas (on). La compréhension, qui mène à l’action (liberté), permet au Dasein de savoir où il en est avec lui-même.  Mais comment le Congolais se comprend-t-il ? Vers quelles possibilités se projette-t-il ?
Le Congolais se projette (liberté) en s’acharnant sur un mode exclusivement occidental. Bien qu’il soit victime d’une rencontre de cultures inégale où l’une est plus adaptée au style du développement technologique que l’autre, il n’en découle pas que la structure à préalable (l’acquis, la saisie, la visée) et l’en tant que soient démolis. Même si vivant un style occidental, le Congolais ne le vit qu’en tant que Congolais. Les présupposés de l’entendre tel qu’étudiés  (préalable (l’acquis, la saisie, la visée) et l’en tant que) peuvent aider le Congolais dans sa quête identitaire. Il est une impossibilité d’être Occidental en tant que Congolais. 
L’entendre heideggérien permet de réaliser une rencontre de culture sans  choix douloureux. La crise identitaire est une conséquence d’un entendre négligeant les structures préalables. Le Congolais n’est pas encore parvenu à une rencontre de cultures lui permettant de s’y épanouir. Les conflits tribaux, ethniques, les conflits de religion qui font de la terre africaine un fumier du diable se fondent sur un entendre partiel et vicieux.
c.    Que dit la mort heideggérienne face au deuil en Afrique comme malheur ?
L’ontologie de la mort présentée dans Être et Temps a montré que le phénomène de la mort est une partie intégrante de la constitution du Dasein. Le Dasein quotidien se tient aux aguets de ce phénomène ; il en fait un spectacle extérieur parce qu’il l’interprète comme un évènement qui arrive souvent d’abord aux autres (et qu’on peut esquiver), mais pas encore à lui bien qu’il sera là. 
Le Congolais, quant à lui, voit aussi la mort comme un évènement. Cependant, il ne voit pas seulement la mort comme un simple évènement qui arrive souvent, mais surtout comme une rencontre d’un évènement douloureux, un malheur pour les ‘éprouvés.’ Le deuil au Congo-Kinshasa est un malheur avec double sens :
•    Malheur d’abord comme ce qui attriste et afflige. Dans ce sens, le cas de mort est vu comme une malchance : « Comment est-il possible que la mort n’ait choisi que le nôtre ? » se plait-on souvent. La mort apparaît ici comme un sort funeste.
•    Le deuil compris comme malheur a ici un autre sens. En vertu de son caractère affligeant parce que le disparu est victime d’une malchance, le cas de mort mérite la vengeance. La mort devient un malheur à l’occasion duquel il convient de se fâcher. Les biens laissés sont broutés, la famille vit un temps courroucé de désordre et de séparation ; il y a souvent pillage et brigandage mutuel. La forte musique accompagnant toujours le deuil n’est pas synonyme de passion musicale, mais un stimulis en vue de contenir, de calmer et de distraire les esprits furieux de colère.
Le deuil en R.D.Congo est devenu un lieu sûr où le on parle plus fort. L’équivoque y bat son plein. La curiosité sur le cadavre n’éveille que souvenirs existentiels plutôt que pensée sur l’être du Dasein.
Heidegger nous dit pourtant que la mort n’est pas un malheur. Elle n’est ni un accident, ni encore moins un incident. Dans la constitution de Dasein, la mort en fait partie essentielle ; « elle est la possibilité que le Dasein a, chaque fois, à assumer.»  Quoi qu’il en soit la cause, la mort est toujours et chaque fois à assumer. Assumer, c’est parvenir à dire oui par delà l’angoisse et les émotions existentielles que suscite la mort. Assumer la mort, ce n’est pas s’agiter devant elle parce qu’il y a indétermination de la mort. Le Congolais ne pourra vivre authentiquement (proprement) que s’il parvient à assumer la mort tel que le mort lui-même y est parvenu.




CONCLUSION GENERALE

L’analytique existentiale du Dasein a servi de fil conducteur à notre travail. Étant le seul étant capable d’avoir une certaine compréhension de quelque chose tel que être, soi-même et choses, il demeure celui qui a à rendre compte de l’être. Depuis belle lurette, nous ne cessons de rappeler que l’analytique existentiale de Heidegger n’a pas le but de poser les bases d’une anthropologie, mais d’une ontologie. « La question du sens de l’être ne devient en somme possible que si  quelque chose tel que l’entente de l’être est. (…) Au Dasein appartient l’entente de l’être. Plus l’explicitation de cet étant sera adéquate, plus le cours de l’élaboration de  l’ontologie fondamentale se verra assurée d’atteindre son but.»  Nous nous sommes apaisantis sur les thèmes ayant retenu notre attention.
Le premier chapitre a permis de happer l’actualité de la question du sens de l’être. Nous y avons présenté le Dasein en ce qu’il est par rapport à son être et par rapport à la question de l’être. Le Dasein est un existant (projection), il est là dans l’existence, toujours préoccupé. Son essence  tient dans son existence ; il est un étant ouvert pour l’ouverture de l’être.
Le deuxième chapitre s’est penché vers l’analytique de Dasein. Nous y avons abordé les grands thèmes de ladite analytique. De la constitution de l’être-au-monde jusqu’à celle de l’être-vers-la-mort, le Dasein, emporté par le rouage de la quotidienneté, n’est chaque fois pas soi-même. Son être s’est révélé être le souci (l’être-toujours-en-avance-sur-soi). La préoccupation en est la preuve ; la déréliction et la déchéance en sont une autre. A la fin, le phénomène de la mort (l’être-vers-la-mort) a clôturé ce grand chapitre en tant que constitution qui offre la possibilité de saisir l’entièreté de l’être du Dasein.
Le dernier chapitre, constitué de trois thèmes issus de l’analytique existentiale, s’est évertué à montrer que la pensée heideggérienne a une implication non moins négligeable dans la résolution des crises que traversent le continent africain et la R.D.Congo. Nous avons découvert chez cet auteur une philosophie de compréhension permettant un bonne rencontre des cultures, une compréhension nouvelle de la vie de solidarité et une tout autre compréhension du phénomène du deuil.
Heidegger nous a présenté une pensée très intéressante par son intérêt à réfléchir sur l’être du Dasein. En effet, il y a des questions qui ne s’éteignent jamais. Et la question du dialogue avec la vérité ne s’étendra jamais. Martin Heidegger a dit son mot ; mais il est possible qu’un nouvel horizon plus riche et original pour interpréter l’être se signale.

BIBLIOGRABPHIE SELECTIVE

Ouvrage de base :
HEIDEGGER, Martin, Être et Temps. Traduit de l’Allemand par François Vezin.     
                        Paris, Gallimard, 1986.

Autres ouvrages consultés

HEIDEGGER, Martin, Chemin qui ne mène nulle part, Paris, Gallimard, 1962.
IDEM, Principes de la raison. Traduit de l’Allemand par André PREAU, Préface de
          Jean BEAUFRET, Paris, Gallimard, 1962.

IDEM, Questions I et II, Paris Gallimard, 1962.
IDEM, Questions III et IV, Paris Gallimard, 1976.
IDEM, Qu’est-ce que la Métaphysique, Paris, Gallimard, 1986.
IDEM, Introduction à la Métaphysique, Paris, Gallimard, 1967.
IDEM, Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie. Traduit de l’Allemand
           par Jean-François Courtine. Paris, Gallimard, 1975.

RICOEUR, Paul, Temps et Récit, Tome III, Paris Seuil, 1985.
DERIDA, Jacques, Heidegger et la question : de l’esprit et autre essais, Paris,
                Flammarion, 1990











TABLE DES MATIERES

EPIGRAPHE    i
REMERCIEMENTS    ii
INTRODUCTION GENERALE    1
1. Problématique    1
2. Hypothèse du sujet    1
3. Intérêt du travail    2
4. Méthode de travail    2
5. Subdivision du travail    2
CHAP. I. L’UNIVERS METAPHYSIQUE DE MARTIN HEIDEGGER    4
1. NÉCESSITÉ DE LA REPETITION ET PRIMAUTÉ DE LA QUESTION DE L'ÊTRE    5
2.    L’ANALYTIQUE ONTOLOGIQUE DU DASEIN COMME HORIZON DU SENS DE L’ÊTRE EN GENERAL : EXIGENCE PHENOMENOLOGIQUE    9
CHAPITRE II. LES GRANDS THEMES DE L’ANALYTIQUE EXITENTIALE DU DASEIN    12
Thème I : L’ETRE-AU-MONDE: UNE CONSTITUTION FONDAMENTALE DU
DASEIN    13
Thème II : DASEIN COMME MITTSEIN* ET ÊTRE-SOI-MÊME    15
Thème III : DERELICTION DU DASEIN    17
Thème IV : LA DECHEANCE DU DASEIN    21
Thème V : LE SOUCI COMME ÊTRE DU DASEIN    23
Thème VI : L’ENTIERETE DU DASEIN COMME ETRE-VERS-LA-MORT    25
CHAPITTRE III. L’ANALYRIQUE DU DASEIN : RETOUR A L’ESSENTIEL    28
CONCLUSION GENERALE    31
BIBLIOGRABPHIE SELECTIVE    32
TABLE DES MATIERES    33