lundi 14 avril 2014

Les problèmes de la connaissance et la position sceptique chez Roger VERNEAUX



INTRODUCTION
            Dans le champ épistémologique comme dans le champ général, le problème qui se fonde sur  la connaissance est capital, car il a fait déjà couler beaucoup d’ancres quant à sa compréhension, à son acquisition  et à sa définition. Nous inscrivant dans la même orientation, nos efforts, provoqués par les séquences docimologiques, nous orientent à nous intéresser aussi à ce problème scientifico-philosophique. La notion de connaissance n’échappe pas à celui qui s’intéresse à l’épistémologie.  Et cette question de la  connaissance oblige toujours à rechercher et à approfondir les moyens de son acquisition. C’est ce qui justifie notre volonté d’élargir notre exercice scientifique en y intégrant l’une des formes extrêmes d’acquisition, le scepticisme. Mais nous ne privilégions pas cette forme de connaissance par rapport aux autres, tout simplement parce qu’elle paraît plus courante que les autres que nous l’estimons digne d’analyse. Cela étant, nous avons cru circonscrire notre canevas de la manière suivante :       
            Dans  la première partie, la pertinence de notre inquisition résidera d’abord dans la tâche de dégager et de définir, avec Roger VERNEAUX[1], l’essence « connaissance » dans toute sa pureté, ensuite recenser impartialement les formes principales que la connaissance peut revêtir. Dans la seconde partie, nous trancherons une position critique sur le scepticisme en passant par un détour analytique clair et approfondie dudit phénomène. En dernière partie, nous donnerons notre point de vue en examinant le scepticisme par rapport à la connaissance.
           

                               I.            LA CONNAISSANCE
1.      Définitions et l’être du connaître
            Du latin cognitio, « action d'apprendre », la connaissance est une activité de l'esprit par laquelle l'homme cherche à expliquer et à comprendre des données sensibles. Avec Roger Verneaux, il est difficile de donner une définition vraiment essentielle et générale de la connaissance. Depuis les Présocratiques, les hommes se sont investis dans l’exercice de la connaissance du cosmos; Aristote pour sa part en parle clairement dans son premier livre de la Métaphysique (la connaissance est un appétit naturel de l’homme). Descartes, lui, le centre sur la conscience, ce qui est aussi le cas d’Emmanuel Kant. C’est dire que la définition de la connaissance est trop discutée.
            Avec R. Verneaux,  risquons cette définition : « la connaissance est un acte, spontané quant à son origine, immanent quant à son terme, par lequel l’homme se rend intentionnellement présente quelque région de l’être»[2]. Ainsi la connaissance est une manière, une espèce pour l’homme d’exister (tout est de l’être). Mais quelle espèce d’être est le connaître ? La connaissance est un acte.  Elle n’appartient pas dans la catégorie de l’action, mais de la qualité. La notion de la connaissance n’implique ni temporalité, ni changement. Le mouvement est passage de la puissance à l’acte. Et sans doute, il y a mouvement toutes les fois que l’homme passe de l’ignorance à la connaissance, ou d’une connaissance à une autre. Mais la connaissance n’est pas le mouvement, elle est l’acte auquel est ordonné ce mouvement. La spontanéité de l’acte est évidente, mais il s’agit as d’une spontanéité absolue. Quand nous disons que l’acte de connaissance est immanent, cela signifie qu’il n’a pas d’autre fin que son exercice même, et qu’il perfectionne le sujet qui l’exerce.[3] La connaissance est un acte intentionnel équivaut à dire qu’elle rend présent à une faculté quelconque être en tant qu’objet. L’intentionnalité n’est donc pas autre chose que la connaissance même, la relation sujet-objet.
2.      Formes spéciales de la connaissance
            Faire une encyclopédie de connaissances humaines est impossible. Nous nous limiterons à recenser les modes principaux de la connaissance.
§  Le discours : la déduction est une forme du discours (Descartes), un discours qui va passe d’une connaissance obtenue grâce à la première. Il s’agit ici d’un mouvement logique de la raison. Ce qui veut dire que tout raisonnement est un discours
§  L’intuition : l’intuition naît des lumières de la raison (Descartes), une connaissance du troisième genre (Spinoza). Le terme de l’intuition est emprunté à la vue, ce n’est que par analogie qu’on l’étend à d’autres sens. Pour déblayer le terrain, il faut écarter avant tout le préjugé cartésien qu’une intuition doit être claire et distincte (indubitable), car il arrive de fois que l’on voit mal, ou l’on ne voit pas clairement. Ce ne sont pas là les caractères essentiels d’une intuition, car rien ne s’oppose qu’elle soit obscure et confuse. Le caractère essentiel de l’intuition n’est pas la clarté, mais plutôt sa présence à une faculté.  Elle est donc une appréhension rapide de l’intelligence.
§  L’expérience : il faut entendre par expérience ici le mot latin experiementum ce terme peut être pris dans un sens équivalent à l’intuition. En empiriste, on parle d’expérience mentale. Et ce sens renvoie à l’expression intuition des existants. C’est aussi l’expérience d’un homme d’expérience. C’est l’expérimentation (expérience orientée) est à la base des sciences naturelles.
§  La raison : Tout le contenu de la connaissance est a posteriori. Ce qui constitue l’expérience d’un homme d’expérience, c’est la mémoire qui enregistre et reproduit les diverses données de sens.
Ainsi comprise, passons à présent à l’examination de la position sceptique de la connaissance.
                            II.            LE SCEPTICISME FACE A LA CONNAISSANCE
            En jetant un coup d’œil sur l’histoire de la philosophie occidentale,  on perçoit comme une oscillation entre le dogmatisme et le scepticisme. Les Physiologues se lancent dans la tentative d’expliquer la nature, mais bientôt surviennent les Sophistes qui font table rase d’un siècle de travail. Platon et Aristote construisent un système puissance de l’esprit humain, Pyrrhon apparaît en recommandant le doute comme sagesse. Les médiévaux perfectionnent la pensée ancienne, mais à l’aube de la modernité Montaigne ressuscite le scepticisme grec. Descartes relance la métaphysique, mais Hume dissout le cartésianisme par le scepticisme. Kant construit son système, le positivisme le détruit, Même chose avec l’hégélianisme.
 De cette analyse, nous pouvons définir de façon globale le scepticisme comme le mouvement de dissolution d’un dogmatisme. Mais il faut souligner qu’il existe différentes formes et différents niveau de scepticisme. Pour bien prendre connaissance du scepticisme, il est mieux de remonter à l’ancienne Grèce.[4]
a)      Les écoles
§  Le pyrrhonisme : la forme extrême et héroïque se trouve chez Pyrrhon[5], lui qui a tenté de vivre un scepticisme absolu. Sa devise « pas plus »ou « pas plutôt » comme pour dire « pas plus oui que non pas plutôt ceci que cela ». Ne rien croire, s’abstenir, vivre une complète indifférence. Son but était d’exhumer l’homme, le dépouiller de son humanité.
§  Le probabilisme : le représentant est Arcésilas et Carnéade ; rien n’est évident, nous ne sommes jamais assurés d’être dans la vérité, nous n’avons que des vraisemblances et des probabilités.
§  Le phénoménisme : c’est le scepticisme classique d’Aenésidème. Ici l’on consent aux apparences, les seules réalités présentes à la conscience et s’imposant à elle. Ex : J’ai froid. Fait-il froid ? Je ne sais pas !
§  L’empirisme : la dernière étape du scepticisme. C’est ce qui chez Sextus empiricus : le développement logique du phénoménisme. Si on admet les phénomènes, il faut qu’ils soient observables.
b)     Arguments du scepticisme
Il existe une infinité d’arguments sceptiques parmi lesquels nous ne retiendrons que les principaux
        i.            Les contradictions : (c’est l’argument le plus frappant et le plus simple, tous les sceptiques s’en servent) les philosophes ont montré dans leur système plusieurs contradictions par rapport à ceux des autres, et plus largement la diversité des opinions humaines. Sur aucun sujet tous les hommes ne sont d’accord. Qui a raison ? Impossible de trancher, sinon on augmente par sa position un autre élément de problème.
      ii.            Les erreurs : très spécialement les erreurs de sens, les rêves, les hallucinations, l’ivresse, la folie… Comment s’assurer de n’être toujours trompé ? Impossible parce que ce qui nous semble évident ne l’est pas nécessairement et l’erreur s’impose en notre esprit plus fort que la vérité.
    iii.            La relativité : la relativité de la connaissance est l’argument le plus profond, mais biffourchu. D’abord que toutes chose est relative à toutes les choses, car rien dans l’univers n’est isolé, séparable des autres. Impossible de connaître une chose sans connaître toutes les autres. Mais personne ne prétend tout savoir.  D’autre part, l’objet de connaissance est relatif au sujet (un individu de telle institution, de tel âge, dans tel état de santé, dans telle situation…). Impossible donc de connaître ce que les choses sont en elles-mêmes sans relation à chacun.
    iv.            Le diallèle : c’est un argument de pure logique. Si une proposition n’est pas démontrée, il n’y a aucune raison de l’admettre, sinon on le fait par pétition de principe.
            Par cet arsenal d’arguments qui convergent, le sceptique ne veut pas prouver l’impossibilité d’atteindre la vérité ou que ces arguments sont vrais (ce qui serait une position dogmatique). Seulement il veut nous placer dans un terrain de n’affirmer rien. Leur conclusion n’est pas « je ne sais », mais « je m’abstiens, j’examine, je cherche, que sais-je ? »
                         III.            POINT DE VUE CRITIQUE ET EXAMEN DES ARGUMENTS SCEPTIQUES FACE A LA CONNAISSANCE
                Concrètement, les arguments sceptiques sont brutaux et impressionnants, mais en gros il est clair que leurs arguments avancés n’ont pas la portée qu’eux-mêmes leur attribuent. Passons en revue ces arguments :
La contradiction des opinions est un fait indéniable. L’unité est aussi réelle que la diversité. Le fait de se tenir à un niveau superficiel et extérieur qui fait confirmer aux yeux sceptiques la contradiction. Il existe toujours en philosophie un certain nombre de principes dans lesquels tous les hommes communient. Ce que Leibniz appelle philosophia perennis. L’argument de l’erreur tourne contre le sceptique. De façon générale, il faut que l’erreur soit un fait (réel et aperçu). Affirmer la réalité de l’erreur, c’est dire qu’il est vrai que l’on se trompe. S’il est vrai qu’on se trompe souvent, pas vrai qu’on se trompe toujours. Et d’autre part, l’erreur ne peut être connue que par rapport à la vérité, et l’erreur n’existe que si la vérité existe. Si nous étions toujours dans l’erreur, nous n’aurions jamais eu la notion de la vérité. Ainsi la possibilité d’une erreur universelle est exclue au moment où on s’aperçoit qu’on s’est trompé. On ne rêve pas en tout temps. Quant à la relativité, elle est incontestable. Mais chaque chose a son être propre. Du moins la chose en soi demeure inconnaissable. Mais elle n’entraîne pas la ruine de la connaissance. Le diallèle est incontestable, toute démonstration repose sur des principes indémontrables.

CONCLSION
            Le pyrrhonisme n’est pas possible, parce que Pyrrhon lui-même n’a pas réussi à s’établir dans une totale indifférence. Le pyrrhonisme reste un idéal inacceptable. L’indifférence absolue est pratiquement impossible, dit Aristote, car elle entraînerait l’inaction et la mort en bref délai. Le doute universel est difficile pour acquérir la connaissance, parce que le sceptique doute pour douter. Peut être le doute il faut adopter  le doute cartésien, c’est un doute en vue de. Le scepticisme méthodique semble peut  être moins dangereux, parce qu’il permet la connaissance.
                Les sceptiques malgré leurs déroutes, ont ouvert les esprits à un aspect critique dans l’activité de la raison et ont milité contre de la naïveté des esprits. Pour terminer notre gymnastique, il résulte non seulement que le scepticisme ne peut être adopté comme voie de sagesse, mais aussi ne peut être utilisé comme méthode. En définitive, le scepticisme est une tentative de découvrir une connaissance universelle et absolue, ce qui le conduit à une déception








BIBLIOGRAPHIE
VERNEAUX,  R., Epistémologie générale ou critique de la connaissance, Paris, Beauchesne,
                               1959.
MAQUART, Connaissance, vérité et objet formel, dans Revue thomiste, sd.
 BROCHARD, Les sceptiques grecs et ROBIN, Pyrrhon. sl, sd.
MAYOLA Mavunza, C., La rationalité philosophique, Kinshasa, Science et discursivité,
                                          2009.
LALANDE, A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 1960.

TABLE DES MATIERES
1.      INTRODUCTION…………………………………………………………………...1
2.      LA CONNAISSANCE……………………………………………………………….2
3.      Définitions et l’être du connaître…………………………………………………….2
4.      Formes spéciales de la connaissance…………………………………………………2
5.      LE SCEPTICISME FACE A LA CONNAISSANCE……………………………...3
a)      Les écoles..…………………………………………………………………………4
b)      


[1] Né à Saint-Quentin (Aisne) le 17 janvier 1906 et décédé le 10 février 1997.Entré au Séminaire des Carmes, à Paris, en 1924, il a comme professeur de philosophie moderne Jacques Maritain. Il est ordonné prêtre le 4 avril 1931. Le 3 juin 1936, il soutient sa thèse de doctorat de philosophie sur « Les sources cartésiennes et kantiennes de l’idéalisme français », publiée aux Éditions Beauchesne. Il enseigne alors au séminaire de Soissons, avant d’être mobilisé en août 1939.En juin 1944, il est nommé professeur titulaire de la chaire de Critique de la connaissance à la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris. Il quitte donc le séminaire de Soissons, et à cette occasion est nommé chanoine honoraire de la cathédrale par l’évêque Mgr Mennechet. En janvier 1945, il soutient son doctorat d’État sur « L’idéalisme de Renouvier » et sur « Renouvier, disciple et critique de Kant », thèses publiées aux éditions Vrin. En 1965, on lui confie un cours de philosophie moderne sur Emmanuel Kant qui donnera lieu à la publication d’autres ouvrages. En 1969, il participe à la fondation de l’Institut de Philosophie Comparée (IPC), à Paris, aujourd’hui devenu IPC - Facultés Libres de Philosophie et de Psychologie, où il enseigne la philosophie moderne. Durant sa carrière d'enseignant, il publie de nombreux travaux sur Kant, ainsi que des manuels d'histoire de la philosophie sans cesse réédités. Après l’enseignement à l’Institut catholique de Paris en 1975, il prend sa retraite de l’Institut de Philosophie Comparée en 1983. En 1989, il rejoint la Maison Notre-Dame de Saint-Quentin, où il passera le reste de sa vie.

[2] MAQUART, Connaissance, vérité et objet formel, dans Revue thomiste, 1928 cité par
 R. VERNEAUX, Epistémologie générale ou critique de la connaissance, Paris, Beauchesne, 1959, p.74.
[3] IDEM, p. 75.
[4] BROCHARD, Les sceptiques grecs, et ROBIN, Pyrrhon.
[5] Pyrrhon d'Élis (en grec ancien Πύρρων / Pyrrhon) (360275 av. J.-C.) est un philosophe sceptique originaire d'Élis, ville provinciale du nord-ouest du Péloponnèse. Son activité philosophique se situe à Athènes vers 320 av. J.-C., avec, pour disciples, Philon d'Athènes et Timon de Phlionte (à ne pas confondre avec Timon d'Athènes), un brillant poète-philosophe qui vécut dans sa familiarité pendant vingt ans. Il est considéré par les sceptiques anciens comme le fondateur de ce que l'on a appelé le pyrrhonisme.