LE
RETOUR
DU JEUNE
PRINCE
A.G. Rommers
Edition Panetta
PRÉFACE
Si Le Petit Prince est un livre universel,
traduit en 180 langues de notre planète, cela se doit que son langage est aussi
universel. A la fin de sa riche et courte vie, Antoine de Saint-Exupéry a voulu
nous offrir un récit, une espèce de guide de vie pour la jeunesse à travers un
voyage initiatique, un peu comme les contes de Voltaire du XVIIIe siècle ont
aidé à faire fleurir les idées de liberté et de justice.
Le Petit Prince ne traite pas seulement de liberté
et de justice, mais de la vie elle-même. Sur le sens qu’on doit donner à la
vie, sur la responsabilité, l’amour, l’amitié. Il est le symbole des liens qui
surgissent à chaque page, la relation entre les hommes qui peuplent la Terre,
le lien avec la planète et avec tous les éléments. Saint-Exupéry nous parle
aussi de la nécessité de conserver une âme d’enfant pour rester sensible à la
poésie, à la beauté et à la pureté. Ce Petit Prince n’est rien d’autre que
Saint-Exupéry lui-même. C’est son âme d’enfant qui grandit sans jamais devenir
réellement adulte, vivant au ciel et dans les étoiles en recherche de la terre
des hommes, des hommes responsables et uniques. En partant, il laissa un trésor
et il nous demanda avec véhémence, au denier paragraphe de son livre : "Ne me laissez pas tellement triste.
Écrivez-moi tout de suite, dites-moi que le Petit Prince est revenu…".
Alexandre Roemmers a conservé son âme d’enfant, et, encore jeune en
Patagonie, ayant rencontré ce Petit Prince, il veut nous parler de lui. Dans
son œuvre, il attire notre attention
sur la poésie et l’essence de son message. Pourquoi en Patagonie, en Argentine,
se demanderont les lecteurs? Mes nombreux voyages me permirent de découvrir
comment "Saint-Ex" est aimé et
connu dans cette région. Dans chaque village où Aéropostal faisait escale, on m’a montré les hôtels où il vivait,
les restaurants qu’il fréquentait, en m’indiquant sa table et ses plats
préférés, parfois le visage d’une amie… et même un jour, l’endroit où il avait
écrit Le Petit Prince…. Même si en
réalité il l’écrivit douze ans ensuite à New-York.
Alexandre Roemmers nous offre sa compréhension du Petit Prince, car il put retenir les enseignements de ce livre, de
tous les livres, au sujet du cheminement de la spiritualité. Ce livre est un
vrai lien exupérien avec les autres.
Frédéric D’Agay
Ex président de la Fondation Antoine
de Saint-Exupéry et neveu de l’écrivain
QUELQUES MOTS
COMME INTRODUCTION
Dans un monde dévasté
par la guerre qui perdait vite l’innocence et la joie de vivre, un intrépide
aviateur français, Antoine de Saint-Exupéry, écrivit un livre Le Petit Prince, qui n’aurait pas tardé
à se convertir en symbole universel de ces valeurs perdues.
La tristesse et la désillusion
de Saint-Exupéry, face à une époque qui semblait oublier la simplicité du cœur
et la spiritualité essentielle de l’homme, furent probablement, plus que toute
rafale ennemie, les causes de sa subite disparition durant une mission de
reconnaissance sur la Méditerranée.
Comme beaucoup d’autres qui on
lu Le Petit Prince, j’ai partagé la
pureté de son message et je me suis attristé avec Saint-Exupéry quand cet
enfant, qui était arrivé au plus profond de mon cœur, se vit obligé à retourner
sur son astéroïde.
Je compris, que quelque temps
plus tard, que la haine, l’incompréhension, le manque de solidarité, la vision
matérialiste de l’existence et tant d’autres menaces l’auraient empêché de
venir sur notre planète.
Plusieurs fois je me suis
demandé, peut-être comme toi, que serait devenu cet enfant tellement spécial
s’il avait continué à vivre parmi nous. Comment aurait été son adolescence?
Comment aurait-il pu conserver intacte la fraîcheur de son cœur?
Cela m’a demandé plusieurs
années pour trouver des réponses à ces questions et il est possible que les
réponses trouvées ne soient valides que pour moi. Mais aussi elles peuvent
servir – et c’est ce que j’espère – pour ouvrir en partie le chemin à l’enfant
que chacun de nous porte dans son cœur.
Pour cela j’ose t’écrire, mon
cher lecteur, au début d’un nouveau siècle et d’un nouveau millénaire, avec une
vision plus positive de notre temps, pour que tu ne sois pas si triste.
Je regrette de ne pas pouvoir
satisfaire ta curiosité si tu attendais une photo; depuis plusieurs années je
n’utilise pas de machine photographique ou de vidéos durant mes voyages,
spécialement depuis que j’ai noté que mes amis se concentraient tellement dans
les images, qu’ils ne prêtaient pas attention à mes récits. Cependant, j’ai
voulu inclure quelques dessins, pour que tu ne considères pas ce récit trop
sérieux. Après plusieurs essais qui n’auraient satisfait ni un adulte, ni un
enfant, je me décidai de demander l’aide d’une bonne amie Laurie Hasting, pour
récréer quelques uns des moments dont je me rappelle avec plus d’intensité. Ne
permets pas que ces dessins affectent ton imagination car Laurie n’est pas allé
en Patagonie et n’a pas connu le mystérieux jeune de ce récit, mais ils
t’aideront peut-être à voir à travers de mes mots comment le Petit
Prince a pu voir le mouton à travers la boite…
J’espère que tu excuses aussi,
cher lecteur, l’insertion de pensées et de réflexions qui surgirent au moment
des faits et dont j’ai voulu respecter l’existence en les transcrivant.
Après avoir dit tout cela, je
vais maintenant te raconter l’histoire telle qu’elle s’est déroulée.
Si tu te sens seul, si ton cœur
est pur, si tes yeux gardent encore l’étonnement d’un enfant, tu découvriras
peut-être en lisant ces pages que les étoiles te sourient une autre fois et
que tu peux les
entendre comme si elles étaient cinq cents millions de grelots.
Chapitre 1
Je voyageais seul dans ma
voiture sur une route solitaire de la Patagonie, terre qui doit son nom à une
tribu d’indigènes qui, supposément, se distinguaient pour avoir les pieds
disproportionnellement grands. Quand tout à coup je vis, sur le bord de la
route, quelque chose d’étrange aspect. Instinctivement je ralentis la vitesse
et avec surprise, je découvris qu’une mèche de cheveux blonds dépassant une
mante bleue semblait recouvrir une personne. J’arrêtai la voiture et, en
sortant, je restai totalement surpris. Là, à des centaines de kilomètres du
plus proche village, au milieu d’une étendue où on ne pouvait voir ni une seule
maison, ni un mur, ni un arbre, un jeune dormait paisiblement sans la moindre
préoccupation sur son innocent visage.
Ce que j’avais pris par erreur
être une mante était en réalité une grande cape bleue avec des épaulettes, qui
par moment laissait son intérieur rouge
foncé, d’où sortaient des pantalons blancs, comme ceux qu’utilisent les
cavaliers, entrés dans deux éclatantes bottes de cuir noir.
L’ensemble donnait au jeune un
aspect de prince, qui est bizarre dans ce milieu désertique. Le foulard de
couleur jaune qui flottait avec la brise du printemps se confondait parfois
avec ses cheveux, ce qui lui donnait un air mélancolique et rêveur.
Je restai là debout un moment,
perplexe devant ce qui, pour moi, représentait un mystère inexplicable. C’était
comme si même le vent qui descendait des montagnes en formant de grands
tourbillons, le protégeait de sa poussière.
Je compris tout de suite que je
ne pouvais pas le laisser là endormi, dans une telle solitude, sans eau ni
nourriture. Même si son aspect n’inspirait aucune crainte, je dus vaincre une
certaine résistance pour m’approcher de cet inconnu. Avec une certaine
difficulté, je le pris dans mes bras et le déposai sur le siège près de moi
dans la voiture.
Je fus tellement surpris par le
fait qu’il ne s’était pas réveillé, que pour un moment je craignis qu’il puisse
être mort. Mais un faible et pourtant constant pouls me révéla le contraire. En
laissant tomber sa faible main sur le siège, je pensai que si je n’avais pas été tellement influencé par les images
d’êtres ailés, j’aurais cru me trouver en présence d’un ange descendu sur
Terre. Ensuite je me rendis compte que le jeune garçon était épuisé jusqu’à la
limite de ses forces.
Quand je repris la route, je
pensai un long moment comment les adultes, avec leurs avertissements pour nous
protéger, nous éloignent des autres, au point que toucher quelqu’un ou le
regarder dans les yeux produit une gênante appréhension.
- J’ai
soif - dit soudainement le garçon, et sa voix me fit sursauter, parce que j’avais
presque oublié sa présence. Même s’il l’avait dit à voix très basse, le son de
sa voix possédait la transparence de l’eau qu’il demandait.
Dans de longs voyages comme
celui-ci, qui pouvaient durer trois jours, j’apportais toujours dans la voiture
des boissons et quelques aliments, pour ne devoir m’arrêter que pour le
carburant. Je lui donnai une bouteille, un verre en plastic, un sandwich de
viande et de tomate enveloppé d’aluminium. Il mangea et but sans dire un mot.
Durant ce temps, ma tête se remplissait de questions : «D’où viens-tu?»,
«Comment es-tu arrivé ici ?», «Qu’est-ce que tu faisais là, couché dans le
caniveau?», «Ta famille?», «Où sont-ils?», et cetera, et cetera. De par ma
nature anxieuse, pleine de curiosité et de désir d’aider, je me surprends encore
aujourd’hui d’avoir été capable de rester en silence durant ces dix interminables
minutes, en attendant que le jeune reprenne des forces. Lui, de son côté, but
et mangea comme si c’était la chose la plus normale du monde qu’ayant été
abandonné dans un milieu semi désertique, apparaisse quelqu’un pour lui offrir
à boire et un sandwich de viande.
- Merci
- dit-il en terminant, avant de s’appuyer à la fenêtre, comme si ce mot
suffisait pour dissiper tous mes doutes.
Après un moment, je me rendis
compte que je ne lui avais même pas demandé où il allait. Comme je l’avais
trouvé du côté droit de la route, j’avais supposé qu’il se dirigeait vers le
sud, mais en réalité le plus probable était qu’il voulait arriver à la
capitale, qui se trouvait vers le nord.
Elle est curieuse la facilité
avec laquelle nous assumons que les autres doivent aller dans la même direction
que nous.
Quand je le regardai de nouveau,
il était trop tard. D’autres rêves l’avaient amené loin de là.
Chapitre II
Le réveiller? Non, nous
devions continuer; le nord ou le sud n’avaient pas d’importance.
J’accélérai. Cette fois-ci je ne
perdrais plus de temps à me demander quelle direction prendre.
Je ruminais ces pensées quand,
après un bon moment, je senti tout d’un coup des yeux bleus qui m’observaient
avec curiosité.
- Salut
- dis-je tandis que je me retournais pour un instant vers ce mystérieux jeune.
-Avec quel étrange appareil
sommes-nous en train de voyager? –
demanda-t-il en promenant son regard à l’intérieur de l’auto – Où sont
les ailes?
-
Tu te réfères à la voiture?
-
Voiture? Elle ne peut pas te soulever de terre?
-
Non – répondis-je, avec mon orgueil un peu blessé.
-
Et elle ne peut pas sortir de ces franges grises? Demanda-t-il en indiquant
avec ses doigts le pare-brise, tandis que je faisais face à mes limitations.
-
Cette frange s’appelle route – lui expliquai-je tandis que je pensais :
"D’où est sorti ce jeune garçon? "
–
Et si nous nous écartions d’elle à cette vitesse, nous nous tuerions.
-
Elles sont toujours aussi tyranniques les routes? Qui les inventa?
-
L’homme.
Je
trouvais très compliqué de répondre à des questions tellement simples. Qui était
ce jeune radiant d’innocence qui secouait comme un tremblement de terre le
système de croyances dont j’avais hérité?
-
D’où viens-tu? Comment es-tu arrivé ici? Lui demandai-je, en trouvant dans son
regard quelque chose qui m’était étrangement familier.
- Il
y a beaucoup de route sur la Terre? – demanda-t-il sans faire le moindre cas de
mes paroles.
-
Oui, innombrables.
-
J’ai été dans un endroit où il n’y avait pas de routes – dit le mystérieux
jeune.
-
Mais là les gens se perdraient… - dis-je, tandis que grandissait ma curiosité
pour savoir qui il était et d’où il venait.
-
Quand il n’y a pas de route sur la Terre – continua-t-il, imperturbable – les
gens ne pensent pas à chercher une orientation dans le ciel? – Et il regarda en
haut à travers la fenêtre.
-
La nuit – répondis-je – il est possible se guider sur les étoiles. Mais quand
la lumière est très intense, on courrait le risque de devenir aveugle.
-
Ah! – s’exclama le jeune –. Les aveugles voient ce que personne n’ose voir. Ils
doivent être les hommes les plus courageux de cette planète.
Je ne sus pas répondre et le
silence s’empara de nous tandis que la voiture continuait s route sur la
tyrannique frange grise.
Chapitre III
Après un temps,
supposant qu’il n’avait pas répondu à cause de la timidité, je décidai
insister :
-
Qu’est-ce
qui t’es arrivé? Tu peux me le raconter. Si tu as besoin d’aide, je te la
donnerai.
Cependant, le jeune resta silencieux.
-
Tu peux avoir confiance en moi. Dis-moi comment tu t’appelles et quels sont tes
problèmes – dis-je pour ne pas me sentir vaincu.
-
Quel problème… répondit-il à la fin.
J’essayai de faciliter les
choses avec un sourire, pour qu’il se sente plus commode. Si tu es apparu
couché sur la route, dans un endroit désert, il est évident que tu aies quelque
problème.
Après un moment de réflexion, il
me surprit avec une question :
-
Qu’est-ce
que c’est exactement un problème?
Je souris, croyant qu’il l’avait
dit avec ironie.
-
Qu’est-ce que c’est un problème? – insista-t-il, et je me rendis compte qu’il
attendait une réponse. Encore surpris par sa réaction, je pensai que je n’avais
peut-être pas compris la question.
- Problem, problema… -dis-je en d’autres
langues, même si le mot se prononce plus ou moins pareil dans toutes les
langues.
-J’ai compris le mot
– me dit-il – Mais est-ce que tu pourrais m’expliquer ce qu’il signifie?
J’essayé en vain de me souvenir
de la définition du dictionnaire, surpris par le fait que, dans un monde plein
de problèmes, un adolescent n’aurait pas encore compris le concept. A la fin,
voyant que je ne pouvais pas échapper de son regard pénétrant, j’essayé de
construire moi-même une explication.
-
Un problème c’est comme une porte dont tu n’as pas la clé.
-
Et que fais-tu quand tu te trouves avec un problème? – voulut savoir le jeune, chaque
fois plus intéressé par la conversation, même si sa vue restait perdue à
distance.
-
Bien, la première chose est de voir si le problème est réellement tien, s’il
empêche ton propre chemin. Cela est d’importance vitale – lui expliquai-je –
parce qu’il il a beaucoup de gens qui se mettent dans les affaires des autres
même si on ne leur a pas demandé de l’aide. Ils perdent leur temps, épuisent
leurs forces et ne laissent pas les autres trouver leurs propres solutions.
Je notai comment il approuvait face à cette évidente
vérité, tellement difficile à accepter par beaucoup d’adultes.
-
Et
si c’est ton problème? – continua-t-il, en se tournant ver moi.
-
Tu
dois alors trouver la clé appropriée et ensuite l’introduire correctement dans
la serrure.
-
Ça
semble simple – conclut-il avec un geste éloquent.
-
Ne
le croit pas – répondis-je – il y en a qui ne trouvent pas la clé, et non par
manque d’imagination, mais parce qu’ils ne veulent pas essayer deux ou trois
fois les clés qu’ils ont ou parfois ils n’essaient même pas. Ils veulent qu’on
leur mette la clé dans la main ou, encore pire, que quelqu’un vienne leur
ouvrir la porte.
-
Et
est-ce que tous sont capables d’ouvrir la porte?
-
Si
tu es convaincu que tu peux le faire, le plus probable est qui tu y arriveras.
Mais si tu crois que tu ne peux pas, c’est presque sûr que tu n’y arriveras
pas.
-
Et
qu’est-ce qui arrive à ceux qui n’arrivent pas à ouvrir la porte? Continua à de
mander le jeune.
-
Ils
doivent essayer jusqu’à ce qu’ils y arrivent, sinon ils ne seront jamais ce
qu’ils pourraient être.
Et alors comme pensant à haute voix, il ajouta :
-
Ca
ne sert à rien de s’énerver, de lutter contre la porte et nous faire du mal, en
lui donnant la faute de tous nos maux. Nous ne devons pas non plus nous
résigner à vivre de ce côté de la porte, en songeant à ce qu’il pourrait y
avoir de l’autre côté.
-
Et
est-ce qu’il y a quelque chose qui justifie de ne pas ouvrir cette porte? –
insista le garçon, comme s’il ne terminait pas d’accepter mon explication.
-
Tout
le contraire! – dis-je – L’homme a développé une énorme habileté pour se
justifier. Il explique son incapacité à cause du manque d’affection,
d’éducation, ou à cause des souffrances qu’il a dû supporter. Il peut arriver à
se convaincre que c’est mieux de ne pas franchir le mur, car de l’autre côté il
pourrait y avoir des dangers et des menaces. Ou il peut déclarer avec cynisme
que ce qu’il pourrait y trouver ne l’intéresse pas… Mais ce ne sont que des
manières de cacher la douleur de son échec. D’autant plus de temps qu’il restera
à faire face à l’obstacle qui se trouve sur son chemin, d’autant plus croîtront
les difficultés et plus il deviendra petit; ou pour le dire d’une autre
manière, plus de temps tu traînes un problème avec toi, plus il devient lourd…
Je sentis que la résistance du jeune
diminuait, mais son persistant regard de tristesse et la résignation de son
visage m’animèrent à continuer :
-
Tout
cela conduit au malheur. Le cheminement de la croissance spirituelle et le
bonheur exigent le courage de change et de croître. Nous devons être disposés à
abandonner la commodité de notre position et faire face aux problèmes plusieurs
fois, jusqu’à avoir la satisfaction de les résoudre pour pouvoir
ouvrir cette porte et avancer.
-
Et
comment je ferai pour trouver la bonne clé? – continua-t-il à demander sans me
donner le temps de trouver la bonne analogie entre le problème et la porte,
qu’il n’était évidemment pas en condition d’apprécier.
En ce moment, je dus lever le pied
de l’accélérateur un instant, car j’avais rejoint un camion plein de bétail. En regardant l’indicateur du
carburant, je pensai qu’il n’y avait peut-être pas assez pour arriver à la
prochaine station service qui se trouvait assez loin. Contre mon désir, je me
vis obligé à réduire la vitesse pour économiser. Je me consolai en pensant que
le camion venant derrière moi pourrait me dépanner si nécessaire. Je le doublai
donc en saluant le conducteur d’un ample
sourire. Il me répondit amicalement en klaxonnant légèrement. Encore
aujourd’hui, en Patagonie, la rencontre d’un autre être humain est motif de
joie, et ce type de salutation est devenu une sympathique coutume.
-
Comment
est-ce que je peux trouver la bonne clé? - insista le jeune, étranger à mes
réflexions, lui qui ne renonçait jamais à une question une fois posée.
-
Bien,
exactement ainsi! – répondis-je, en essayant de cacher un faible ennui dû à la
fatigue de la route - . C’est-à-dire que
si tu continues à demander les choses, tu finiras par trouver la réponse. Et si
tu persévères à essayer toutes les clés que tu as, enfin tu pourras ouvrir la
porte.
Et je pensais en moi-même :
"Et si tu continues à répéter tes questions durant deux ou rois jours, tu
finiras par me rendre complètement fou", ce qu’une petite voix dans mon
intérieur traduisit : "complètement sage".
Chapitre IV
Comme je l’avais encouragé à continuer de
demander, rien n’empêchait le garçon à continuer de le faire jusqu’à la fin.
Comme la route était longue et monotone, je décidai donc que cette spéciale
conversation pouvait se convertir en une source de diversion si, au lieu de
considérer les questions comme un examen, je les transformais en un jeu de
génie. Et curieusement, ce changement d’appréciation fit disparaître ma fatigue
comme par art de magie, et je me trouvai attentif et prêt à profiter de mon
imagination.
-
Tu
as dit – continua le compagnon – qu’il ne suffit pas d’avoir la clé, mais qu’il
faut aussi trouver la bonne manière de l’utiliser. Comment est-ce que je trouverai
cette manière?
-
Oui,
c’est ainsi – dis-je avec de nouvelles énergies, en renforçant mes paroles par
des gestes. – La meilleure manière de résoudre le problème est de ne pas le
considérer comme un problème, mais seulement comme une difficulté ou un défi.
Logiquement, l’obstacle restera le même, mais vu maintenant de manière
positive, il aiguise l’intelligence et fait place à de futures solutions. Tu
dois rendre grâce à la Providence de trouver des difficultés de temps en temps.
-
Remercier
pour les difficultés? – demanda-t-il, incrédule.
-
Oui,
parce que cela te permet de croître et de progresse sur le chemin de la
perfection. Comme le vent qui fortifie les racines pour que les arbres puissent
mieux se soutenir. Si tu contemples les obstacles de ta vie de cette manière
favorable, tu perdras moins de temps à te lamenter et tu auras une vie plus
remplie.
Voyant que le jeune me prêtait attention, je continuai sans me
détenir :
-
Une
autre chose que tu peux faire, quand la difficulté a été identifiée, c’est de la
reconnaître, l’observer sous différents points de vue ou peut-être la répartir
en difficultés plus simple.
Le jeune accepta en pensant et dit :
-
J’ai
dû résoudre en parties une importante difficulté.
-
Laquelle?
– demandais-je avec une évidente curiosité.
-
Il
m’aurait été impossible d’arriver sur Terre à mon premier essai… - Je dus faire
un effort pour dissimuler ma surprise et le laisser continuer - . Pour cela
j’ai été obligé de répartir la distance et faire sept escales en autant
d’astéroïdes.
Je décidai que, même s’il semblait
avoir perdu sa sagesse, mon compagnon possédait une prodigieuse imagination.
Après un silence durant lequel il
semblait plongé dans ses souvenirs, il ajouta :
-
Dans
un voyage je rencontrai quelqu’un qui avait un problème pour lequel il n’y
avait pas de solution.
-
Ah,
oui? – demandai-je distraitement.
-
C’était
un homme qui buvait pour oublier.
-
Pour
oublier quoi? – répondis-je automatiquement.
-
Qu’il
était plein de honte et de culpabilité.
-
Pourquoi?
– je voulus savoir.
-
Parce
qu’il buvait – répondit le jeune, en fermant le cercle qui le tenait perplexe.
-
Le
sentiment de culpabilité – dis-je – nous paralyse et nous empêche de résoudre
beaucoup de problèmes. Assumer la responsabilité fera disparaître cette
sensation et nous permettra d’accomplir des actions plus positives, comme
compenser les torts causés, dans la mesure du possible. Ou, simplement,
continuer de l’avant et ne pas répéter le comportement qui nous fait sentir
coupables.
-
Mais
si tu as fait quelque chose de mal – demanda-t-il – comment peux-tu éviter la
faute?
-
La
faute n’aida pas cet homme affecté à l’alcool. C’est une punition inutile qui
lui enlève ses énergies et il y persévère parce qu’il ne s’aime plus. Tu ne lui
as pas demandé pour quelle raison il commença à boire?
-
Non…
dit le jeune en hésitant - , et je sentis finalement que je pouvais sourire,
sachant qu’il serait plus facile trouver la tombe d’un pharaon inconnu qu’une
demande de ce garçon n’avait pas encore formulée.
-
Solitude,
manque d’amour, frustration pour quelque chose… Je ne connais pas quelle aura été la cause,
mais sans doute l’addiction à la boisson n’est rien d’autre qu’une conséquence.
Tu as ici un émouvant exemple des effets destructifs que comporte le fait de ne
pas surmonter les difficultés.
-
Quel
ingénu j’ai été de le juger comme je l’ai fait! – commenta le jeune repenti -.
Mon affection aurait peut-être été la clé pour ouvrir la porte qu’il n’a jamais
pu franchir.
-
Nos
vies seraient beaucoup plus positives – ajoutais-je – si nous nous arrêtions de
nous juger nous-mêmes et les autres, si au lieu de nous lamenter pour toute
sorte d’inconvénients et de nous torturer en nous demandant si nous nous
méritons les difficultés ou si nous aurions pu les éviter, si nous appliquions
notre capacité pour résoudre les problèmes et accepter ce qui ne peut pas
changer. Comme dit un antique proverbe oriental : il
-
vaut mieux allumer une allumette que de
continuer à maudire l’obscurité.
Le garçon m’écoutait avec intérêt, je continuai à penser à haute voix.
-
Parfois
nous découvrons qu’en changeant de point de vue, l’obstacle disparaît, parce
que souvent l’unique difficulté est au-dedans de nous et c’est notre manière
inflexible et myope de voir les choses.
-
La
difficulté est au-dedans de nous? – répéta-t-il avec incrédulité tandis qu’il baissait
la vue vers son nombril.
-
La
plupart des fois oui – répondis-je -. Mais aussi la solution. Le monde des
idées et les émotions entrainent
derrière eux le monde matériel. De la manière dont tu imagines les choses,
c’est probablement ainsi qu’elles se passeront. Jusqu’à un certain point, tu
crées toi-même la réalité qui t’entoure, comme si tu étais un petit dieu de ton
entourage.
-
Comment
cela est-il possible? La réalité sur cette planète n’est-elle pas une et égale
pour tous les hommes? – demanda le jeune surpris.
-
La
réalité totale est peut-être unique en elle-même – dis-je – mais nous percevons
seulement la partie que notre conscience enregistre selon la capacité de ses
sens et son degré d’évolution. En filtrant la totale réalité peu d’idées, de
connaissances et de personnes avec lesquelles nous sommes d’accord ou en
désaccord, en vérité nous réfléchissons
de quelque manière notre propre image.
-
Tu
veux dire que les personnes n’arrivent jamais à connaître la réalité, mais
seulement elles-mêmes à travers cette réalité.
-
Cela
devient assez évident quand tu observes les vastes limites de nos sens,
démontrées par des machines capables de capter les ondes de fréquences
tellement hautes ou tellement basses que nos oreilles ne peuvent pas les
entendre, ou microscopes et télescopes qui multiplient notre capacité visuelle.
Cependant nous ne comprenons pas toujours avec la même clarté que l’observation
du notre propre milieu et des choses qui nous arrivent est une des meilleures
méthodes pour nous connaître nous-mêmes, parce que tous ce qui nous affecte du
monde qui nous entoure démontre que nous ne sommes pas harmonisés avec le
principe analogue en notre intérieur.
-
Pourquoi
dis-tu les choses de manière tellement compliquée? – dit-il.
-
C’est
comme si l’avarice d’une personne avare pouvait seulement affecter une autre
personne avare aussi, parce qu’une personne généreuse la considérerait un
simple fait, sans s’en préoccuper excessivement – dis-je en comprenant que mon
compagnon de voyage commençait à comprendre -. De cette manière tous ceux qui
luttent contre les voisins et parents méchants, contre l’injustice de leurs
chefs, contre la société et contre beaucoup d’autres choses, qu’ils aient
raison ou non, luttent en réalité contre eux-mêmes – terminai-je pour compléter
mon idée.
-
Contre
qui pourraient-ils gagner dans une escrime devant un miroir? – demanda avec
étonnement le jeune.
-
Le
problème de ces personnes est qu’elles ne comprennent pas que celui qui est en
conflit avec son milieu est condamné à l’échec. La plus grande partie de la
souffrance humaine dérive de la résistance aux circonstances qui nous entourent
et des frictions entre les être humains et les lois du monde. L’homme sage est
en harmonie avec tout ce qui existe. Il contemple la réalité et se rend compte
que tout ce qui existe, que ça lui plaise ou non, est comme ce doit être. Il
sait en plus qu’avant d’améliorer quelque chose dans le monde, il doit beaucoup
à améliorer en lui-même.
-
Est-ce
que tout ce qui existe est bon par le seul fait d’exister? Pourquoi
compliques-tu tellement les choses? S’il te plaît, donne-moi un exemple que je
peux comprendre – demanda mon jeune compagnon.
-
Quand
tu pousse sur un mur avec force – dis-je – tu peux sentir que ce mur résiste
avec la même force. Si tu augmente la pression, le mur aussi résistera avec
plus de force. La solution est d’enlever les mains du mur et la résistance
disparaîtra par elle-même. Celui qui reconnaît le droit du mur à exister n’a
plus besoin de le pousser et ne se voit pas non plus affecté par son existence.
-
Ça
c’est très bien – approuva-t-il – mais si c’est vrai que nous connaissons
seulement une partie de la réalité, chaque personne vit dans son propre monde
et il y a autant de mondes que de personnes.
-
Il
te serait peut-être plus facile de l’imaginer comme les pièces d’un casse-tête
qui, entre toutes, recréent une réalité plus grande que chacune d’elles
séparément. Le plus merveilleux est que chaque personne est capable de changer
et de transformer le monde selon ses propres perceptions, sans lutter et sans
l’intervention de pouvoirs externes.
-
Maintenant
je comprends ce que tu veux dire. Si je vois une figure désagréable dans le
miroir, la seule chose que je dois faire est de sourire.
-
Exactement
– dis-je – et de la même manière, si tu as un voisin agressif, essais toi
d’être plus aimable. Si tu veux un bon fils, commence par être un bon père, ou
vice-versa. Et la même chose s’applique aux époux, aux épouses, aux chefs, aux employés… En
réalité, il y a une seule manière de changer le monde, et c’est de changer
soi-même.
Chapitre V
Durant un
moment nous sommes restés tous les deux pensifs, en contemplant l’immensité du
paysage patagonique. Un vent incessant caressait les cônes tronqués de
montagnes, sans offrir plus que de brefs souffles sur la rase épaisseur. Au
loin, sur un côté tapissé de végétation, la langue rouge des baies s’ouvrait un chemin vers la vallée.
J’eux une idée étrange et je l’exprimai à haute voix :
-
Cet
univers a peut-être été créé à l’image et la ressemblance d’un esprit
supérieur, pour se connaître et faire sa propre expérience. La pensée ne sembla
pas surprendre le garçon, qui demanda tout de suite :
-
S.il
en était ainsi, que devraient faire les habitants de cette planète? Sont-ils
libres ou sont-ils soumis comme toi, à la route?
-
D’après
mon point de vue – répondis-je – vivre est apprendre. Tout ce qui arrive a une
signification pour celui qui le vit. Plus se développe notre conscience, plus
facilement nous comprenons la signification inhérentes aux choses qui nous
arrivent. Parfois la douleur et la maladie que nous repoussons sont ce qui peut
nous donner une plus grande richesse spirituelle. Pour cela, quelle que soit
ton sort, tu devrais être reconnaissant envers la vie qui te donne cette
opportunité d’avancer. Le destin trouve toujours la manière de nous faire
apprendre ce à quoi nous résistons le plus, ce que nous voulons le moins
accepter.
-
Qu’est-ce
que le destin? Il semble un maître très sévère… - dit le jeune.
-
C’est
le chemin de chaque personne…
-
Est-il
possible de le changer? – demanda-t-il plus confus.
-
Oui
– répondis-je laconiquement, tout en sachant que les bibliothèques de la Terre
contiennent des milliers de volumes où on essaye en vain de trouver une réponse
catégorique à cette question.
Comme le jeune continua à me
regarder perplexe, je décidai de recourir à une image.
-
Pense
que tu es un fleuve qui doit avancer inexorablement. Tu décides de sonder les
montagnes pour trouver le passage qui t’offre le moins de résistance. Les
difficultés sont comme les pierres que tu rencontres sur le chemin. Si tu les traînes avec toi, elles
finiront par former une digue qui arrêtera ta marche. Mais si tu passe par
dessus une à une à mesure qu’elles apparaissent, ton courant sera constant et
tes eaux cristallines, comme si la friction sur chaque pierre augmente sa
pureté. Par moment tu peux te sentir coupable et indigne de cette transparence
et donc tu chercheras la manière de salir tes eaux. Tu deviendras peut-être
paresseux et tu resteras dans les plaines, jusqu’à perdre ton cours dans la
vallée. Il se peut que tu deviennes trop intrépide et que tu tombes dans une
descente abrupte en formant une cascade, ou que tu entres dans un torrent
tortueux et que tu finisses par te perdre. Il se peut que ton âme s’endurcisse
jusqu’à devenir de la glace, ou que tu laisses s’éteindre ta fraîche caresse
dans les mirages du désert…
-
Si
j’étais un fleuve, je n’aimerais pas me congeler ni mourir dans le désert –
confessa-t-il.
-
Donc,
cultive la pureté et tu seras transparent; imagine-toi généreux et tu
fertiliseras ton milieu, renouvelle-toi et ta fraîcheur calmera la soif partout
où tu passeras, aie confiance en tes idéaux et tu inspireras les autres, prend
conscience de ton être et tu réveilleras les autres. Vis avec un but et tu
réaliseras ton destin.
J’arrêtai de parler et, dans le
silence, nos regards s’étendirent sur les plaines agrestes, montant lentement
vers les fantasmes bleus de la cordillère.
Chapitre VI
Le jeune paraissait enchanté par l’image du fleuve et
il resta tranquille dans ses propres pensées.
Vite je me rendis compte que depuis
plusieurs heures je conduisais avec un inconnu au côté de moi (oui, un inconnu
agréable, mais un inconnu enfin) sans savoir absolument rien de lui. Même si je
désirais en savoir plus au sujet de ce jeune spécial, l’intuition me disait que
les révélations viendraient par elles-mêmes et plus rapidement, si je
n’essayais pas de les forcer. Parfois les personnes sont comme les
huîtres : la seule chose que nous devons faire est attendre qu’elles nous
présentent la perle qu’elles portent à l’intérieur.
Cependant, ni même un maître en art
ésotérique de l’imprédictible aurait pu anticiper le demande qui arriva en ce
moment à mes oreilles :
-
Est-ce
que les moutons ont aussi des problèmes?
-
Que
dis-tu?
-
Est-ce
que les moutons ont aussi des problèmes? – répéta placidement le jeune, comme
si j’étais une de ces personnes à qui ont doit dire les choses deux fois pour
qu’elles les comprennent.
Je rendis grâce à Dieu pour le peu
de carburant qui me restait ce qui m’obligeait à réduire la vitesse, car une
telle question aurait pu nous sortir du chemin. Il me suffit d’un regard pour
me rendre compte qu’il l’avait demandé sérieusement. Déconcerté, je répondis en
toute franchise :
-
Sincèrement,
je ne le sais pas. Je suppose que pour être sûr de cela tu devrais être un
mouton, ne te semple-t-il pas?
A ma surprise, le jeune approuva et
sembla rester totalement satisfait, sinon pour la logique de ma réponse, au
moins pour partager son temps avec un adulte capable de reconnaître son
ignorance. Donc il ajouta :
-
Ce
que tu veux dire c’est que pour connaître les problèmes d’une fleur tu devrais
être une fleur, n’est-ce pas?
Mais moi je n’étais pas disposé à
passé tout mon temps sur la défensive, espérant las suivante surprise de mon
adversaire. C’était une splendide opportunité pour lancer une forte
contrattaque.
-
Tu
te trompes, mon ami – répliquai-je, passant à l’offensive – Tu n’as pas besoin
d’être une fleur pour comprendre que les fleurs ont des problèmes : elles
sont trop belles et inoffensives. Certaines ont des épines pour se protéger de
qui, attiré par leur beauté désire les
retirer de la plante et les mettre dans un pot.
Il me regarda avec horreur. Je crus qu’il allait s’évanouir, mais il se
reprit et réussit à dire :
-
Et
les épines peuvent les protéger? – son regard suppliait une réponse
affirmative, mai s moi, enorgueilli par
ma despotique surestimation de la vérité, je continuai implacable; après tout,
ce n’était qu’un jeu.
-
Non
– répondis-je – Les épines n’arrivent à les protéger. C’est leur problème.
L’expression du visage me fit
comprendre que, pour mon étrange compagnon, cela n’était aucun jeu. Plus tard
je découvrirais avec tristesse que, pour lui, c’était une question de vie ou de
mort en relation avec une amie très chère.
Parfois, sans nous en rendre compte,
nous les adultes, nous jouons avec les très profonds sentiments des enfants et
nous détruisons des choses qui ont beaucoup plus de valeur que n’importe
quelles qu’ils peuvent arriver à rompre.
Ça ne servait à rien de dire que les
fleurs avaient réussi à survivre durant des milliers d’année et que même leur
nature était préparée pour les supporter. Ce n’était pas ça qui préoccupait le
garçon. Ce qu’il voulait sauver c’était une fleur unique, et quand une fleur
est unique, toutes les statistiques et les livres de jardinage du monde
n’apportent pas de consolation. Comme s’il pensait à haute voix, il
ajouta :
-
Qui
sait si elles renonçaient à leur beauté, si elles se cachaient, si elles
n’auraient pas de problèmes… mais alors elles ne seraient plus des fleurs. –
Et il termina : Elles ont besoin de
notre admiration pour être heureuses. La vanité, ça c’est leur problème.
En ce moment, revint à ses yeux
l’expression de tristesse que j’avais vue auparavant, et qui avait disparue
oubliée par sa curiosité.
-
De
toute manière, les problèmes des moutons et des fleurs ne me dérangent plus.
Seulement plus tard j’aurais compris
à quoi il se référait. Après une pause, il continua :
-
Je
cherche quelqu’un qu’il y a longtemps que je n’ai pas vu; il te ressemble un
peu, mais il a une machine qui vole.
-
Un
avion? – demandais-je un peu confondu.
-
Oui,
ça, un avion.
-
Et
où vit-il? - Voulus-je savoir avec l’intention de l’aider car je savais qu’il y
avait plusieurs aéroclubs de la zone que j’avais vu signalés sur la carte.
-
Je
ne sais pas – répondit-il avec tristesse. Et il continua à réfléchir; il ne
savait pas que les personnes vivaient tellement éloignées l’une de l’autre.
En voyant la surprise de mon visage, il expliqua :
-
La
Terre est très grande, tu sais? Et ma planète très petite.
-
Que
penses-tu faire pour le trouver? – demandais-je, tandis que j’activais la
partie de mon cerveau où s’entreposent les nombreux romans de mystère lus
durant mon adolescence. Mais sa réponse aurait déconcerté Hercules Poirot
lui-même.
-
Il
m’a fait cadeau d’étoiles qui rient – dit-il sur un ton nostalgique. Pour un
instant il fut pris d’émotion et j’observai l’humidité dans ses yeux.
Ce fut en ce moment, en essayant
d’imagine la figure de l’aviateur à qui souriaient les étoiles, que je me
rendis compte qui était mon compagnon. Je compris de qui il s’agissait. C’est
clair! Le mouton, la fleur, la cape bleue… J’aurais dû l’avoir reconnu dès le
début, mais j’étais trop absorbé dans ma propre et petite planète.
Chapitre VII
A ce même instant, comme si elle venait à notre
secours au moment même où le moteur absorbait les derniers litres de la
réserve, apparut devant nos yeux une station d’essence. Après avoir rempli le
réservoir et vérifié les niveaux d’huile et d’eau, je dus insister pour que le
Jeune Prince aille se rafraîchir aux toilettes. C’était comme s’il manquait de
volonté de se préoccuper de lui-même.
Après avoir repris la route, je lui
demandai :
-
C’est
lui qui t’a fait cadeau du mouton, n’est-ce pas? – Nous savions tous les deux à
qui je me référais, mais je ressentis la douleur de son expression quand il me
répondit :
-
Alors
je croyais cela…
-
Que
veux-tu dire? – demandais-je, l’invitant à continuer. Son visage montra de la
tristesse, de l’incrédulité, de la colère et encore de la tristesse, tout dans
une rapide succession. Dans leur profondeur, ces yeux transparents semblaient
flamber, peut-être d’espérance. Mon intuition me disait que cette espérance
l’avait conduit jusqu’ici.
Quand finalement il parla, il le fit sur un ton éteint par la
résignation.
-
C’est
une histoire triste. Je ne crois pas que ça t’intéresse – dit-il sans se
demander en aucun moment comment j’avais connu l’existence du mouton.
-
Certainement
que ça m’intéresse! – répondis-je avec tellement d’emphase que je craignis
devoir expliquer pourquoi m’intéressait à ce point l’existence d’un mouton que
je n’avais jamais vu.
Je me sentis allégé en voyant que le
Jeune Prince commençait son récit comme si mon opposant ne tenait pas compte
qu’il aurait me mettre dans l’embarras.
Un matin, quand le Jeune Prince
était occupé à sa tâche journalière de nettoyer et ordonner sa planète («C’est
important de tenir sa planète bien propre, tu sais?», remarqua-t-il), une plante
qu’il allait pour arracher, lui parla :
-
Si
tu m’arraches, tu commettras une autre erreur.
-
Que
veux-tu dire par «autre erreur»? – demanda-t-il, doutant qu’il pouvait s’agir
d’un piège.
-
Je
veux dire que tu te priverais d’une plante intelligente qui pourrait t’être
très utile. En fin de compte, quel mal est-ce que je pourrais te faire, moi? Je
suis entre tes mains. Tu peux m’arracher quand tu voudras, mais je crois que tu
vas avoir besoin de moi. Tu seras mon maître et moi ta servante.
Sans n’avoir encore pris aucune décision, le Jeune Prince formula une
nouvelle demande :
-
Que
voulais-tu dire par «autre erreur»? Quelle fut la première?
-
Une
très simple, mon maître. Tu crois que dans ce carton il y a un mouton, n’est-ce
pas?
-
Mais
certainement qu’il y a un mouton dans le carton! – s’exclama, indigné, le Jeune
Prince -. C’est un précieux mouton blanc que m’a donné mon ami sur la Terre.
Malheureusement, à cause de la douleur que lui causa mon départ, il oublia de
me donner la muselière et la corde. Pour cela je ne peux pas l’amener se
promener : il pourrait s’échapper et manger la fleur.
Quand il s’arrêta pour reprendre
souffle et se préparait à arracher la plante, elle lui parla encore :
-
Mon
maître, si, au lieu de te laisser emporter par les émotions, tu me permets de
m’expliquer, je crois que je pourrais t’éclaircir complètement de quoi il
s’agit. – Ayant dit cela, la plante déplia une de ses feuilles sur laquelle, à
la surprise du Jeune Prince, apparut une reproduction exacte d’un mouton près
d’un enfant. Après l’avoir examinée un moment, il dut admettre qu’il n’avait
jamais vu un dessin aussi précieux.
-
Ce
n’est pas un dessin, c’est une photographie – expliqua la plante avec un
certain air triomphal, en notant que sa vie se prolongeait. Et ensuite elle
continua - : C’est une image qui capte la réalité exactement comme elle
est. Comme tu peux voir, un mouton dépasse la ceinture d’un enfant. Si tu me
l’avais demandé, je t’aurais expliqué que les moutons, même à peine nés, sont
plus gros que les vingt centimètres de ton carton.
Et alors, adoptant un ton de
compassion, la plante lança son explication juste au cœur :
-
Ça
me fait de la peine, mon maître, de devoir te dire cela, mais comme servante je
dois t’avertir contre ce mauvais ami qui a profité de ta confiance, parce que
le carton, en réalité était vide.
En ce même moment, le monde du Jeune Prince disparut autour de lui. Ce
fut le jour le plus triste de sa vie. Depuis lors il ne fut plus certain de
rien et de personne. Et aucun coucher de soleil ne put le consoler…
Chapitre VIII
Je vis que
les larmes couraient sur ses joues pendant qu’il parlait et je dus faire un
effort pour garder ma vue sur la frange d’asphalte qui semblait d’un gris
maintenant plus obscur, ver l’horizon. Le Jeune Prince continua sur le même ton
de résignation :
-
A
partir de ce moment, la plante m’expliqua des choses que je n’avais pas
comprises auparavant. Elle m’avertit sur les malicieuses manigances des fleurs
et le comportement trompeur des hommes. Je fus introduit dans les sciences
chimiques et physiques, enseigné sur les plus modernes statistiques et variations
économiques. J’appris des dizaines de jeux virtuels sur une de ses feuilles
brillante comme un écran multi couleur. Mais sans mon mouton, les jours
devinrent plus longs et les crépuscules très tristes.
Une nuit, le Jeune Prince eut un
rêve réel et émouvant. Il se trouvait près de son ami qui pilotait l’avion,
parcourant de merveilleux paysages de la Terre. Il y avait de majestueuses
montagnes séparées par d’enchanteresses vallées, où des fleuves cristallins
reflétaient parfois l’ombre de l’avion. Il découvrit des prés fleuris comme des
coussins brodés, protégés du vent par de denses forêts. Comme ils volaient à
basse altitude, ils pouvaient voir les cerfs, les chevaux, les chèvres, les
lièvres et les renards qui couraient avec liberté dans les champs et même les
truites qui sautaient allègrement dans les ruisseaux. Le Jeune Prince n’avait
aucune question à poser et son ami aucune explication à lui donner.
Ils se limitaient à observer les
merveilles qu’ils avaient sous leurs yeux et à sourire, en se montrant l’un à
l’autre, des choses dignes d’attention, pour rire encore. Jamais ils ne
s’étaient sentis aussi heureux. Soudain, son ami commença à tourner et lui
indiqua qu’ils allaient atterrir sur une colline couverte d’herbe.
L’atterrissage fut parfait, comme si la Terre avait amolli sa surface pour leur
offrir une affectueuse bienvenue. Dès qu’ils abandonnèrent l’avion, l’aviateur
le conduisit de l’autre côté de la colline, où paissait tranquillement un grand
troupeau de moutonnes blanches avec leur petits agneaux et lui dit :
-
Ils
sont tous pour toi. Je ne sais pas combien il y en a, il ne me sembla pas
important de les compter. J’ai commencé à les élever le même jour que tu es
parti, et le troupeau a grandi autant que mon sentiment envers toi dans mon
cœur.
Quand le Jeune Prince, ému,
s’approcha de son ami pour l’embrasser, il se réveilla seul sur son obscure et
silencieuse planète. De douces larmes devinrent amères en tombant et il crut
écouter une voix dans son intérieur qui lui disait :
-
Cherche
ton ami et laisse qu’il t’explique ses raisons, seulement ainsi tu verras de
nouveau les étoiles…
Le jour suivant, très tôt, il alla
réveiller la fleur, dont ces derniers jours il s’était éloigné un peu. Elle se
trouvait pâle et fanée, comme si le manque d’attention du jeune l’avait
consommée.
-
Adieu,
je m’en vais – annonça le Jeune Prince, mais la fleur ne répondit pas. Il la
caressa en la couvrant de ses mains, mais elle ne bougea pas. Il n’y avait plus
rien qui le retenait là.
De dangereuses pousses de baobab pointaient au
bord du chemin et la terre avait commencé à vibrer, surement parce qu’il avait
délaissé le nettoyage des volcans. Mais tout cela n’avait déjà plus
d’importance. Il se préparait déjà à partir quand il rencontra la plante.
-
Où
vas-tu si tôt? – demanda-t-elle.
Le Jeune Prince ne dit rien pour ne
pas l’alarmer, mais ses yeux révélèrent ce que la plante voulait savoir.
-
Tu
ne peux pas partir! Tu es mon maître! – s’exclama-t-elle.
-
Donc
à partir de maintenant tu es libre – répondit-il.
-
Tu
ne peux pas me faire cela. Tu sais que déjà je ne peux pas vivre en liberté.
J’ai besoin de quelqu’un à qui servir et tu as besoin de quelqu’un qui te serve
– insista la plante.
-
Si
je ne pouvais pas vivre sans toi je serais ton esclave et toi ma maîtresse –
observa le Jeune Prince.
-
Je
mourrai si tu me laisse ici. Il n’y a pas d’autre maître qui peut arracher les plantes et bientôt
elles couvriront toute la planète – implora-t-elle.
Le Jeune Prince douta un moment, mais il avait déjà pris sa décision. Il
suivrait la voix de son rêve.
-
Si
tu veux venir avec moi, je devrai t’arracher du sol – dit-il à la plante,
tandis qu’il la prenait fermement par la tige.
-
Non,
non! – cria-t-elle.
-
Alors,
adieu – dit-il comme salutation, et il partit.
-
Ainsi
commença mon voyage – continua le Jeune Prince, et je compris que le voyage
avait été très long - . Finalement j’arrivai à la Terre, à cet endroit
tellement solitaire. Les animaux et les fleurs ne me parlent plus comme quand
j’étais un enfant. Je n’ai pas trouvé aucun être humain qui puisse m’orienter.
Épuisé et sans savoir où aller, je tombai fatigué à l’endroit où tu m’as
trouvé….
Il garda le silence et je compris
que tôt ou tard nous devons tous entreprendre un difficile voyage vers le fond
de nous-mêmes. Aucune autre conquête ne pourrait nous offrir une plus grande
récompense.
Chapitre IX
-
Comme tu peux voir, c’est une histoire très triste et je ne crois pas que tu peux
faire grand-chose pour m’aider – termina le Jeune Prince. J’étais tellement absorbé par son récit que,
quand il termina, j’eus la sensation que la voiture avait été guidée par un
pilote automatique.
-
Réellement,
c’est une histoire triste – dis-je – Mais tu te trompe en disant que je ne peux
pas t’aider. Il y a plusieurs choses que tu pourrais faire!
Le Jeune Prince adopta immédiatement une position défensive.
-
Mais
est-ce que tu ne comprends pas? J’ai perdu un ami qui faisait sourire les
étoiles, le mouton, qui m’accompagnait le soir et j’ai perdu aussi la fleur qui
me réjouissait la vie par ses jeux et sa beauté. Tu ne comprends pas que je ne
verrai plus la plante qui était ma protectrice et conseillère, ni ma petite
planète, qui explosera peut-être à cause de l’éruption des volcans? Et tu crois
que tu peux m’aider? – demanda-t-il, sur un ton de méfiance. Le soudain éclat
de passion avait transmis un peu plus de couleur à ses joues.
-
En
effet – répondis-je avec sécurité – Je peux t’aider à récupérer tout ce que tu
as perdu et plus encore. Parce qu’après tout, ce que tu as perdu c’est la joie,
ton propre bonheur… Mais je pourrai seulement le faire si tu me le permets et
si tu es disposé à t’aider toi-même.
Il me lança un regard de doute, mais il ne répondit pas; alors je
continuai :
-
C’est
la première difficulté importante que tu rencontres dans ta vie et tu dois la
résoudre. Et la vérité est que, même maintenant si tu te sens accablé par elle,
ce n’est pas la fin du monde. Tu as en ta faveur le désir de surmonter cette
situation, ce qui, de toute manière, est quelque chose qui exige autant ta
nature spirituelle que ton instinct animal.
-
Comment
peux-tu être tellement certain que j’ai les forces nécessaires pour résoudre le
problème, quand moi-même je ne les ressens pas?
-
Bonne
observation – dis-je, tandis que je me félicitais d’avoir pu capter son
attention – Je te dirai pourquoi je suis tellement sûr. En premier lieu tu as
eu le courage d’abandonner l’apparente sécurité de ta planète pour sortir sur
l’univers à la recherche de la solution, en deuxième lieu, même si tu te sentais au bout de tes forces,
tu as réussi à te placer de manière que quelqu’un pourrait t’aider. Si tu
t’étais laissé tomber au milieu de la route ou dans un champ, tu serais
probablement mort. En troisième lieu, durant notre première conversation nous
avons parlé de problèmes et de
difficultés, ce qui signifie que tu es en train de chercher des informations
utiles pour sortir de la stagnation où tu te trouves.
En voyant que j’attirais son attention et sa confiance, je
continuai :
-
Avant
nous avons parlé de la manière de résoudre les problèmes, Si tu veux, nous
pourrions voir ta propre difficulté. Je dis difficulté parce que je sais que tu
peux la surmonter et, même si tu ne le crois pas, la clé pour la résoudre est
en toi.
Sa réaction fut immédiate.
-
Comment
peux-tu dire cela? Ma vie était paisible et heureuse jusqu’à ce que je découvre
la tromperie de mon ami. C’est cela et rien d’autre la cause de tous mes
problèmes – répliqua le Jeune Prince indigné.
-
Tu
mets le problème en dehors de toi et tu accuses un autre de ta situation, ce
qui est une excellente manière de ne pas le résoudre – dis-je avec calme,
tandis que ses yeux semblaient me brûler par son regard. Et avant qu’il ne
puisse poursuivre, je continuai ma réflexion :
-
Ensuite,
mon cher ami, je te montrerai que le supposé mensonge n’était pas ce que tu
crois ou, au moins, il n’avait pas l’intention négative que tu lui attribues.
Mais supposons pour le moment que ton ami t’eût trompé. Cela justifierait que, désillusionné
et même triste, tu sois fâché contre lui. Mais cela ne justifierait pas le fait
que tu aies laissé de jouir de la beauté de ta fleur, de la poésie des couchers
de soleil ou de la musique des étoiles.
J’avais récupéré l’attention de mon
interlocuteur, et je poursuivi avec plus de tranquillité :
-
Le
supposé mensonge de ton ami a tenu un
effet dévastateur sur ta vie parce qu’elle avait une base trop fragile.
Probablement que le mouton déjà ne pouvait plus te réjouir et la fleur,
tellement centrée sur elle-même n’était déjà plus capable de t’offrir de
consolation. Il est évident que tes tâches quotidiennes ne comblaient pas ton
esprit et que tu ne cultivais pas un art ou un métier qui te servait de refuge
temporel. Possiblement toute ta réalité serait devenue insipide et la seule
chose qui aurait soutenu la placidité de tes jours aurait été la nostalgie de
ton ami absent. Pour cela tu crois que quand cet unique soutien disparaîtra,
tout le reste s’effondrera. En réalité, ton monde est déjà vide, comme la fleur
qui s’était fanée avant que tu partes. Le supposé mensonge de ton ami ne fut
rien d’autre que l’occasion, mais d’aucune manière la cause de ta situation
actuelle. Dès que tu accepteras cela, plus rapidement tu pourras avancer vers
sa solution.
Je sentis que dans son intérieur,
commençait une bataille entre la justification et l’acceptation et je me
dépêchai à compléter une autre observation qui paraissait évidente :
-
Si
tu avais été plus assuré, si tu avais tenu plus de confiance dans tes
sentiments, la plante n’aurait pas pu te mettre si facilement dans la fissure
qui s’était ouverte dans ton cœur et n’aurait pas eu une si pernicieuse
influence sur ta vie.
Le Jeune Prince se disposa à
protester, possiblement en défense de la plante, mais avec l’air qui restait
dans mes poumons je continuai sans m’arrêter :
-
Pourquoi
souvent pensons-nous que celui qui nous vient avec un mensonge est meilleur que
celui qui nous a donné une illusion?
La perplexité momentanée provoquée
par ma question me dona la pause dont j’avais besoin pour continuer :
-
Méfie-toi
de ceux qui détruisent tes rêves, parce que généralement ils n’ont rien de bon
avec quoi les remplacer! – E t je me demandai s’Il n’y avait pas quelque chose
de sage dans l’ancienne coutume d’exécuter le messager de mauvaises nouvelles.
Avec les années j’ai découvert que dans la plupart des cas, les nouvelles
n’étaient pas correctes, ou le but du messager n’était pas ce qu’il assurait,
ou, s’il n’y avait rien que je pouvais faire, j’aurais préféré les connaître le
plus tard possible.
Je continuai donc - : Tôt
ou tard les rêves laissent d’être des rêves. Même du rêve de la vie nous nous
réveillons avec la mort, ou vice-versa. En toute sécurité je te dis que ton ami
t’a fait cadeau du plus beau mouton du monde, celui qui tu imaginais dans ta
fantaisie, le seul que tu pouvais garder et qui pouvait t’accompagner sur ta
petite planète. Est-ce que tu n’as pas joui de sa compagnie durant les couchers
de soleil? Est-ce que tu n’es pas resté à ses côtés durant les nuits pour qu’il
ne se sente pas seul et en même temps pour que tu ne te sentes pas si seul?
N’as-tu pas pensé qu’il t’appartenait parce que tu l’avais apprivoisé et que tu
lui appartenais? Il n’y a pas de doute qu’il fût plus réel et plus vivant que
celui que tu as vu sur la photographie, parce que celui-là était seulement un
mouton, tandis que celui qui était dans le carton était ton mouton.
En ce moment je compris pourquoi,
quand je voyage, je n’apporte pas avec moi de photo de mes êtres chers :
car l’image que je porte d’eux dans mon cœur est plus vivante.
Donc je m’arrêtai, parce qu’en
regardant un moment mon jeune compagnon, je me rendis compte qu’il avait les
yeux plein de larmes, comme s’il avait senti le désir de pleurer durant
longtemps.
-
Merci
– dit le Jeune Prince et tandis qu’il
mimait une embrassade, il appuya sa tête sur mon épaule, et, peu à peu,
il s’endormit.
Chapitre X
Peu de temps après, à la tombée de la nuit, nous nous
trouvions proche de la localité où j’avais prévu passer la nuit. La route était
aussi déserte que durant le jour, mais maintenant on pouvait voir quelque
indice de présence humaine : peupliers blancs au bord de la route ou
protégeant quelques jardins du vent, quelques masures isolées et quelques enclos
pour garder qui sait combien de moutons.
Différemment des brèves tombées de
la nuit sur l’astéroïde du Jeune Prince, les crépuscules de la Patagonie sont
longues et silencieuses et dans leurs parcours la moitié du ciel se teint avec
une ample gamme de tonalités roses, lilas, mauves. Ce soir là, le coucher de
soleil était d’une magnificence que je sentis la nécessité de réveiller le
Jeune Prince pour qu’il puisse le voir.
-
Regarde
quelle beauté! – lui dis-je en lui montrant l’horizon, et en faisant cela je
quittai un moment les yeux du chemin.
-
Attention!
– m’avertit le jeune, mais il était trop tard. Il se produisit un fort choc
contre la partie de devant, la voiture donna un coup et, en freinant, je pus
voir dans le rétroviseur un animal blanc étendu sur la route, probablement un
mouton. J’arrêtai le véhicule, je sortis
et me dirigeai vers le devant pour voir le dommage causé. Le Jeune Prince me
regarda comme s’il ne comprenait pas ce que je faisais et il prit la direction
contraire. En me rendant compte qu’il se disposait à aider l’animal frappé, je
lui dis :
-
N’essaie
pas. Après un coup comme celui-ci, il doit être mort. Nous ne pouvons rien
faire.
Mais le jeune, qui était parti en courant vers l’amas blanc, me
cria :
-
Aujourd’hui
tu m’as enseigné qu’il y a toujours quelque chose que nous pouvons faire, même
si nous ne le croyons pas nous-mêmes!
Ses paroles résonnaient dans mes
oreilles tandis que je m’inclinais et vérifiais que l’unique dommage apparent
était une bosse. Le Jeune Prince m’avais au moins fait sentir, pour un moment,
que mon cœur était plus dur que cette pièce de métal, qui, malgré sa froideur,
avait au moins eu la clémence de céder et de plier.
Avec un peu de honte pour avoir été
repris par le jeune, je marchai vers lui. En m’approchant, je vis qu’il avait
placé sur son ventre la tête d’un énorme chien blanc qu’il embrassait et caressait.
La scène était d’une grande tendresse, malgré les gémissements de l’animal en
train de mourir.
Je levai les yeux et je vis un homme
corpulent, venant d’une maison proche, qui s’approchait, avec un visage
assombri et un aspect menaçant. Je déduisis qu’il était le propriétaire du
chien. Je pensai qu’il serait prudent de m’éloigner pour éviter une discussion
inutile et je dis à mon jeune ami qu’il était mieux de partir. Mais il ne
bougea pas et il continua de caresser l’animal terrorisé, qu’on voyait agonissant.
L’homme s’approchait de nous et moi, détectant un possible danger, je pensai
que le mieux fût de lui offrir quelque compensation. Quand il arriva à nous, je
sortis mon portefeuille et prononçai quelques mots d’excuse. Mais lui, d’un
geste de répugnance, me fit signe de ne pas bouger et nous restâmes les trois
en silence durant quelques douloureuses minutes. Encore aujourd’hui, l’image de
ce chien reste gravée dans ma mémoire. Mon nouvel ami avait raison. Oui, c’est
clair, nous pouvions faire quelque chose. Tandis que le Jeune Prince le
regardait amoureusement dans les yeux, le colossal chien blanc commença à
perdre la peur, parce que déjà il ne se sentait pas seul. J’eus la sensation
qu’aussi cet homme rustique se rendait compte du changement. A la fin, le
regard presque humain du chien semblait vouloir remercier. D’abord il ferma
l’œil gauche et ensuite le droit. Et enfin tout son corps sursauta, une seule
fois, et il resta immobile.
Le Jeune Prince continua à le
caresser quelques minutes encore. Quand ce fut clair que la vie l’avait
abandonné, il se retourna pour la première fois vers l’homme, avec les yeux
plein de larmes. Celui-ci, avec une tendresse inespéré, passa une main tannée
sur les cheveux dorés et, après l’avoir poussé avec délicatesse, prit le chien
morts dans ses bras.
-
Accompagne-moi,
dit-il en s’adressant au jeune. Comme je partais avec eux, il me retint, en me
disant;
-
Non,
vous non. Seulement lui.
Et ensuite pour me tranquilliser, il
ajouta.
- Ne vous préoccupez pas, c’est qu’il
s’agit de choses qui n’ont pas de prix.
Chapitre XI
C’est impossible de décrire les émotions qui m’assaillirent en
ce moment. Je me sentis offensé et incompris, car ma réaction avait été
l’habituelle dans la société insensible où nous vivons. En plus, la majorité
des personnes ne se seraient même pas arrêtées. Et même si elles l’auraient
fait, en plus d’offrir des excuses et une compensation économique comme dans
mon cas, elles auraient accusé le propriétaire de l’animal de l’avoir laissé
sortir et mettre les automobilistes en danger d’accident. J’étais aussi
préoccupé pour ce qui pouvait arriver au jeune, comme si être en compagnie d’un
autre être humain était plus dangereux que de le laisser abandonné au bord de
la route, où je l’avais trouvé ce même jour.
Je pensai que souvent nous agissons sous l’influence de la peur et la
méfiance, au lieu de nous laisser guider par un amour que souvent nous
réprimons. L’humanité est condamnée (ou bénite) par le fait que tous les être
humain sont unis entre eux. Tant qu’un seul d’eux souffre, personne ne pourra
être complètement heureux. Rien dans le monde ne nous est étranger, ni sa
douleur ni sa joie, parce qu’il ne laisse pas d’être un monde souffrant même
s’il y a du plaisir, et il ne laisse pas non plus d’être plaisant même s’il y a
de la douleur. D’autant plus nous connaissons la souffrance, plus nous
profitons ensuite du bonheur. Pour cela nous ne devons pas cacher nos
sentiments. Nous ne vivons jamais comme étrangers!
Tandis
que le soleil descendait majestueusement dans l’obscurité, un nouveau jour
commençais à se réveiller dans mon cœur. Soudain je vis que le Jeune Prince
revenait seul, marchant comme s’il portait quelque chose dans ses bras. En
s’approchant de moi, je vis que c’étais un précieux petit chien blanc. Je ne
pouvais pas le croire : l’homme à qui nous venions d’enlever un aimé nous
offrait une nouvelle vie en cadeau.
C’était
un miracle d’amour et la première leçon que je recevais du Jeune Prince.
J’avais partagé mon expérience avec lui au moyen des paroles et lui, comme un
vrai maître, me montrait la sagesse en silence. Jamais comme en cet instant je
vis avec autant de clarté, qu’une centaine de livres sur l’art d’aimer n’ajoute
rien à un simple baiser, ni une centaine de discours sur l’amour, à un seul
geste d’amitié.
-
C’est
un chiot de Kuvasz – dit-il – Tu le
savais?
-
Oui
– répondis-je – Ils viennent du Tibet, et aujourd’hui on peut aussi les trouver
dans certaines régions d’Europe Orientale.
-
L’homme
a pensé que j’en prendrais bien soin – m’expliqua-t-il en continuant d’observer
et de caresser son nouveau compagnon - Je vais l’appeler Alas, en souvenir de mon ami aviateur, parce qu’il est aussi blanc
et doux que les nuages.
Sa voix avait acquise une douceur
que je n’avais pas remarquée jusqu’alors chez lui. Ainsi, nous sommes remontés
tous les trois dans la voiture et nous avons continué notre marche réconfortés,
vers le petit hôtel où nous passerions la nuit. A partir de ce moment, le Jeune
Prince récupéra sa joie naturelle avec une incroyable rapidité.
Après le souper, nous avons obtenu
la permission de tenir Alas dans
notre habitation. Le chiot se tranquillisa seulement quand mon jeune compagnon
le prit avec lui dans son lit et l’embrassa sur sa poitrine. Après peu de
temps, les deux s’endormirent. Un léger sourire apparut sur le visage du Jeune
Prince et je sus qu’à partir du moment où il prendrait le vol dans ses rêves, Alas irait avec lui.
Chapitre XII
Le matin suivant nous reprirent tôt la route, étonnés par l’immensité qui s’ouvrait devant
nous. Malgré son aridité, le paysage ne manquait pas d’attraction, peut-être
parce que nous avions dans notre intérieur le désir de l’admirer. Le Jeune
Prince caressait distraitement Alas,
couché sur ses genoux. Je vis que quelque chose le préoccupait, mais je
respectai son silence. Après un bon moment, enfin il dit :
-
Je
ne veux pas être une personne sérieuse.
-
C’est
bien – répondis-je.
-
Mais
je dois grandir.
-
Oui,
c’est vrai
-
Dans
ce cas, comment est-ce que je peux grandir sans devenir une personne sérieuse?
– demanda le Jeune Prince, révélant l’idée qui le préoccupait.
-
C’est
une autre bonne question – répondis-je – Tellement bonne, qu’en effet, je ne
lui ai jamais trouvé de réponse adéquate. Quand nous sommes jeune nous entrons
dans le monde, un monde très différent de celui que nous avons connu quand nous
étions avec nos parents, au moins nous qui avons eu la chance d’entendre des
contes de fées avec des pouvoirs magiques et des histoires de princes et de
princesses dans des châteaux enchantés. Et ainsi, nous nous trouvons avec l’égoïsme,
l’incompréhension, l’agressivité et la tromperie. Nous essayons de nous
défendre et de préserver notre innocence, mais l’injustice, la violence, la
superficialité et le manque d’amour nous tourmente. Et alors notre esprit, au
lieu de propager lumière et bonheur dans son alentour, commence à trembler face
à l’avance douloureuse mais implacable de la réalité. Quelques-uns arrivent à
abandonner le trésor de leurs rêves et affirment leur vie dans l’illusoire
sécurité de la pensée rationnelle. Elles deviennent des personnes sérieuses qui
adorent les chiffres et les routines, parce qu’ils leur procurent une apparente
sécurité. Cependant, comme la sécurité
ne devient jamais complète, ils n’arrivent jamais à être heureux. Ils
commencent à accumuler des choses, mais il leur manque toujours quelque chose.
L’«avoir» ne les rends pas heureux, parce qu’il les éloigne de l’«être». Ils se
centrent tellement sur les moyens qu’ils négligent la fin.
-
Et
alors, pourquoi, s’ils ne les rendent pas heureux, les adultes consacrent-ils
la plus grande partie de leur vie à obtenir toujours plus de choses? – demanda
en toute logique le Jeune Prince,
-
Penser
que le bonheur dépend d’accumuler des choses est un auto-mensonge
tranquillisant. Comme l’important devient avoir ou ne pas avoir, la recherche
s’oriente vers quelque chose qui est en dehors de nous, ce qui évite d’avoir à
regarder notre intérieur. Suivant ce raisonnement, nous pouvons être heureux
sans changer, seulement en acquérant ceci ou cela.
-
Et
les gens ne se rendent pas compte de cela? – demanda le Jeune Prince qui avait
de la difficulté à croire que l’humanité pouvait être tellement aveugle dans ce
sens.
-
Ce
qui arrive, mon jeune ami, c’est que notre société a tellement multiplié les choses qui peuvent être acquises que les
gens ne se rendent pas compte qu’ils ont pris le mauvais chemin tant qu’ils ne
possèdent pas la dernière. Et tu sais comment ils s’accrochent à toutes les
possibilités, si minimes soient-elles, pour ne pas admettre qu’ils se sont
trompés et qu’ils doivent changer. Le problème est que quand ils sont
arrivés enfin à obtenir cette dernière
chose, ils ont perdu certaines des premières. Ils sont comme ces jongleurs qui
font des jeux avec sept chapeaux à la fois sans qu’un seul ne tombe. Et ils le
font seulement avec sept! En plus les gens savent ce qu’ils veulent seulement
quand ils sont à la veille de l’obtenir. Donc ce qui était leur objectif final
ne l’est pas en réalité et ainsi ils gaspillent leur vie dans une recherche
inutile, sautant d’une chose à l’autre comme si ces objets étaient la pierre
d’un fleuve qu’ils n’arriveraient jamais à traverser. En général ceux qui
veulent avoir toujours plus se trouvent enfermés dans le futur. Ils ne vivent
jamais le présent et n’en profitent pas, parce que leur attention est centrée
sur quelque chose qui doit venir.
-
Et
que pourraient-ils faire au lieu de cela? – demanda mon jeune ami tandis qu’il
flattait Alas, qui dormait sur se
genoux.
-
Simplement
se plonger dans la réalité de l’être et se laisser porter par elle. Se
concentrer à vivre, à ressentir et à aimer chaque moment et ne pas avoir tant
d’obsession pour l’objectif final du voyage. En fin de compte, le sens de la
vie est précisément cela : faire des expériences, ressentir. Quand on
rencontre des obstacles, ils pourraient se transformer et adopter de nouvelles
formes qui les réaffirment dans leur essence, comme un fleuve qui change
toujours la direction de son cours et la largeur de son lit. Le plus important
est d’être pleinement attentif et conscient, avec les sens éveillés, avec toute
notre intacte capacité d’aimer, afin que, hic et nunc, nous puissions vivre,
profiter et créer, sans être resté enfermés dans le passé ou dans le futur.
-
Alors
nous devons renoncer aux souvenirs? – intervint soudain le Jeune Prince, je
suppose parce que le souvenir de la fleur et celui de son ami étaient très
importants pour lui.
-
Non,
tous les bons souvenirs et les expériences gratifiantes que tu portes en toi
peuvent t’offrir la consolation dans les moments difficiles ou quand tu te sens
seul. Ce que tu dois éviter est de t’accrocher à ce passé, qui est assuré,
parce que tu pourrais rester attrapé par lui, et te nier à vivre les
expériences du présent. Le passé est assuré parce qu’il est fermé, mort. Malgré
cela, certains préfèrent la tranquillité et la sécurité de la mort au lieu de
l’incertitude de la vie, avec ses différentes possibilités de souffrance et de
joie.
Après un moment j’ajoutai :
-
Une
autre manière que les souvenirs ont de conspirer contre ton bonheur présent est que tu essais de
ressentir les mêmes choses que tu ressentais dans le passé. Cela n’arrivera
jamais. Ainsi comme l’eau d’un fleuve n’est jamais la même, les situations de
la vie ne se répètent jamais exactement non plus. Cependant. Il est
extraordinaire de voir la quantité de gens qui restent attrapés en essayant de
revivre les mêmes expériences. Cela les empêche de profiter de nouvelles
expériences autant ou plus plaisantes que les antérieures. En cela, l’homme
ressemble à cet animal qui revient plusieurs fois à l’endroit où il a une fois
trouvé de la nourriture, jusqu’à mourir de faim, simplement pour ne pas
chercher un peu plus loin.
Durant un long moment, nous sommes
restés tous deux avec nos pensées sans que rien ne nous distraie, car ce
paysage avait la vertu de garder un respectueux second plan.
Quand finalement le Jeune Prince
parla, il me prit par surprise.
-
Merci
– dit-il.
-
Pourquoi
me remercies-tu – demandais-je.
-
Pour
me sauver du malheur – répondit-il.
-
Que
veux-tu dire?
-
Bien,
j’ai réfléchi à ce que tu as dit et je découvris qu’il y avait une pensée
profondément enracinées dans mon esprit : que je ne serais pas vraiment
heureux jusqu’à trouver un autre ami comme mon regretté aviateur. Cependant
cette pensée contient les trois obstacles pour le bonheur que tu as cités
auparavant. D’abord, la nécessité de «quelqu’un comme lui» qui m’empêcherait de
trouver d’autres personnes différentes, mais peut-être également nobles et
intéressantes. Ensuite, la question de la «sécurité», parce que je ne serais
jamais totalement sûr d’avoir trouvé quelqu’un qui lui soit identique. Puis, la
«recherche», qui ferait que je me centre sur un succès futur, en quelqu’un qui
pourrait arriver à connaître, sans évaluer ceux qui sont avec moi.
-
Je
vois que tu m’as compris à la perfection – répondis-je avec le même orgueil que
ressentent les maîtres face à leur meilleur élève.
-
On
ne peut jamais être trop attentif – dit le Jeune Prince
-
Non,
jamais – répétais-je, et nous avons souris tous les deux. En silence, je perçus
qu’il y avait quelque chose dans son expression qui le retenait à sa tristesse
du passé, mais je décidai d’attendre pour demander.
Tandis que la voiture continuait de
dévorer avec calme la route comme si c’était un interminable vermicelle gris,
je sentis que mon anxiété pour arriver diminuait, je commençais à goûter chaque
moment de ce voyage.
Chapitre XIII
Comme c’était presque l’heure de manger et craignant qu’Alas pouvait laisser un cadeau princier
sur la cape de mon ami, je décidai d’arrêter dans un restaurant qui apparut
soudain sur le bord de la route où quelques voitures étaient stationnées. En
entrant, je notai qu’à une table où mangeait une famille, cinq paires d’yeux
enfantins regardaient avec surprise l’allure du Jeune Prince. Rapidement je me
dirigeai à une table située à l’autre extrême de la salle, mais cela ne suffit
pas pour contenir le vacarme, tellement grand comme si un des trois Rois Mages
était entré sans son chameau.
Je me rendis aussitôt compte que la
réaction des enfants dérangeait mon ami, qui s’assit le dos vers eux. Les
efforts du père pour les tranquilliser, en agitant la patte de poulet qu’il
tenait à la main, ne servirent pas à grand-chose, car lui aussi essayait de
résoudre le mystère de notre pittoresque apparence. La mère, assise le dos à
nous, continua à manger sans la moindre préoccupation comme si une surdité
sélective lui permettait de s’isoler de temps à autre du scandale de ces créatures
endiablées. Mes commentaires durant le repas visèrent à renforcer l’auto estime
de mon ami, un peu affecté par la réaction provoquée par quelque chose de
tellement banal comme l’habillement. Je lui parlai de l’importance des
différences et de la variété qui constituent l’unique manière d’enrichir un
groupe.
-
Si
on ne pouvait pas distinguer les fleurs par leur parfum, leur forme ou leur
couleur, on n s’arrêterait jamais pour en contempler une en particulier. Les
différences sont les premières choses qui nous attirent et, en admirant une
fleur, nous la rendons unique.
Intérieurement, je regrettais que
ces choses qui nous attirent et nous complètent servent parfois pour nous
séparer et nous diviser. Tandis que nous commencions un succulent plat de
patates et de salade, je commentai que beaucoup de génies de l’humanité avaient
souffert du refus de leurs contemporains, même si sans cet antagonisme
l’humanité n’aurait pas évolué. Je critiquai la médiocrité de ceux qui, en
voyant que s’allume une flamme de créativité, courent pour l’éteindre comme une
équipe de pompiers, au lieu de permettre qu’elle ait de l’air pour engendrer un
feu transformateur.
-
Mon
cher ami – dis-je, en mettant une main sur son épaule – tu dois pardonner que
la première réaction des gens soit de se fixer sur ton aspect extérieur. Mais
si tu es sûr de toi et si tu te confies dans les valeurs qui te guident,
finalement ils t’accepteront, même si ce n’est que pour parler dans leur cercle
d’amis qu’ils connaissent à une personne aussi spéciale que toi.
Puis, me penchant sur ma chaise, j’ajoutai :
-
C’est
clair qu’il y a aussi une manière plus simple et facile de se mettre en
relation avec les personnes…
-
Et
quelle est cette manière? – voulut savoir le Jeune Prince, déjà curieux.
-
Faire
justement le contraire. Au lieu d’attirer son attention par l’aspect extérieur
et essayer de te faire connaître comment tu es à l’intérieur, tu peux capter en
te confondant avec eux, imiter leur apparence et ensuite te distinguer comme
quelqu’un d’unique et spécial par tes propres valeurs – lui expliquais-je.
-
Que
ferais-tu, toi? – me demanda-t-il en me regardant fixement. Je pensai un moment avant de répondre.
-
Dans
un premier cas, beaucoup de gens s’approcheront de toi ou garderont leurs
distances et ils élaboreront des préjudices
positifs ou négatifs sans t’avoir trop connu, en se basant uniquement
sur ton apparence. Le bon côté est que tu attireras l’attention de beaucoup de
gens et le mauvais côté est que certains s’éloigneront de toi pour toujours.
Dans le second cas, par contre,, tu n’attireras pas l’attention et beaucoup de
gens ne se rendront pas compte de ton existence, ou ils le feront longtemps
après. Si je devais décider, je prendrais le second chemin, plus discret et
plus lent, mais plus profond. Mais dans tous les cas, l’important est que tu ne
laisses pas d’être toi-même pour t’adapter aux goûts des autres.
-
Tu
n’es pas préoccupé que ton message soit perdu et que beaucoup de gens n’aient
même pas su que tu es passé dans ce monde? – demanda le garçon.
Je me rendis compte qu’il essayait
de dissimuler la peur de ne jamais trouver la personne qu’il cherchait. Je me
souviens avoir répondu que je crois seulement à la grandeur d’une personne si
elle est acceptée comme telle par les gens qui la connaissent. Parce que si tu
arrives à transmettre vraiment quelque chose d’important, même si uniquement au
petit groupe qui t’entoure, tu peux être sûr que cette lumière fera son chemin
à travers un horizon de ténèbres, comme une
étoile éloignée traverse des milliers d’années d’obscurité pour arriver
jusqu’à nous.
-
Pour
ce qui est des personnes – ajoutais-je avec emphase en le regardant dans les yeux – je suis
convaincu que nous trouverons toujours sur notre chemin celle qui nous est
destinée. C’est à nous de la reconnaître et de la distinguer des autres.
C’est ainsi que le Jeune Prince
décida de changer ses vêtements et quand nous sommes sortis d’un petit magasin
du village, il portait des vêtements juvéniles, des chaussures sportives et une
casquette vers l’arrière d’où sortaient des mèches dorées de ses merveilleux
cheveux. Personne n’aurait pu le distinguer des centaines de mille garçons de
son âge.
-
En
fin de compte, tu es né prince – dis-je avec un sourire, en essayant de le
faire sentir spécial dans sa première arrivée dans notre monde de misères et de
merveilles, mais il me répondit :
-
Nous
sommes tous né princes, certains ne le savent pas et d’autres l’oublient… Mon
royaume existe seulement au dedans de moi, et il se mit à courir en frappant du
pied un ballon venant d’un groupe d’enfants jouant dans la rue, tandis qu’Alas le suivait en essayant de lui
mordre les talons.
Et ici, mon cher lecteur, je
dois te demander à toi et aux amis du Jeune Prince de pardonner mon
intervention, parce qu’à partir de maintenant il sera impossible de le
reconnaître à première vue. Même si je sais, cependant, que vous n’aurez pas de
difficulté à l’identifier si vous gardez bien ouverts les yeux du cœur.
Chapitre XIV
Quand nous étions de nouveau sur la route, le Jeune Prince se retourna vers moi et me dit :
-
Raconte-moi,
s’il te plaît, comment tu as fait pour ne pas devenir une personne sérieuse.
Il semblait que l’idée de grandir qui
impliquait quelque transformation en ce sens, le préoccupait beaucoup.
-
J’avais
commencé à te commenter – lui dis-je – que certains personnes abandonnent leurs
rêves et idéaux pour commencer à acquérir toujours plus, comme si le pouvoir et
les possessions leur donnait sécurité. Parfois la recherche de réussite et la
reconnaissance est une fuite vers l’avant, parce qu’elles n’ont pas eu le
courage d’être elles-mêmes, d’affronter la critique et la désapprobation pour
assumer leur vrai être et suivre leur authentique vocation. Parfois ce sont des
personnes obsédées par le contrôle, qui manipulent la réalité et commandent par
rapport à elles-mêmes. Elles jugent les autres personnes et les classifient en
les plaçant dans de petites niches physiques et mentales d’où difficilement
elles pourront sortir. De cette manière, elles paralysent l’illimitée richesse
transformatrice de l’univers et de l’amour humain. Si les parents mettaient
autant d’engagement pour instruire leurs enfants dans l’amour, comme ils le
mettent pour exiger l’ordre et la discipline, la planète serait un endroit
beaucoup plus agréable pour vivre.
-
Tu
veux dire qu’autant de discipline n’est pas bonne? – demanda le Jeune Prince.
-
Ce
que normalement nous voulons dire par discipline, c’est imposer notre sens de
l’ordre, humain et limité, à celui de la nature, qui est divin et donc
supérieur. L’homme doit faire bien attention à ordonner la nature pour son
propre bénéfice, car le résultat obtenu est normalement contraire à celui qui
est désiré : un désordre naturel qui se retourne contre lui. La
contamination de la planète, l’extinction des végétales et animales et
l’épuisement des ressources naturelles et beaucoup d’autres cas sont des
exemples négatifs de la discipline et de l’ordre humain.
-
Je
comprends ce que tu dis – accepta le Jeune Prince avec un air réfléchi –. Dans
mon voyage antérieur j’ai connu un homme qui prétendait contrôler les étoiles.
Il passait des jours à les compter et à les additionner, et ensuite il écrivait
le résultat sur un petit papier et il le gardait dans un tiroir. Il pensait que
de cette manière, il les possédait.
-
Je
vois que tu as noté comment les gens sérieux aiment les numéros. Ils ne sont
jamais satisfaits tant qu’ils ne connaissent pas la hauteur exacte d’une
montagne, le nombre de victimes d’un accident ou l’argent gagné durant un an…,
seulement pour te donner quelques exemples. En réalité nous ne possédons
absolument rien hors de nous-mêmes.
-
J’ai
entendu dire que sur cette planète on identifie les gens en leur donnant un
numéro – dit-il avec appréhension.
Son commentaire me fit penser aux
numéros de passeport, numéros d’assurance sociale, numéros de téléphones,
numéros de cartes de crédit…
-
Il
en est ainsi. Il y a tellement de gens sur la Terre qu’il ne semble pas y avoir
d’autre moyen pour nous identifier. Ça ne suffit pas avec les numéros… - dis-je
avec un peu de tristesse.
-
Laisse-moi
voir où tu as tes numéros – dit le Jeune Prince avec curiosité, espérant que je
lui montre quelque partie de mon corps.
-
Non,
nous ne les avons pas gravés nulle part – répondis-je avec un sourire tandis
que je lui montrais quelques documents de ma serviette. Mon expression changea
en me rappelant certains exemples aberrants de ce que je venais de nier, des
situations que j’aurais eus du mal à lui expliquer.
-
Il
se peut que dans un futur rapproché – dis-je en pensant à haute voix – notre
code génétique pourra nous identifier avec une clé unique et personnelle. Je
demande à Dieu que le résultat ne soit pas de restreindre la liberté de chaque
être humain.
-
Que
veux-tu dire? – demanda le jeune en notant la préoccupation de ma voix.
-
Je
veux dire que l’homme a été créé par Dieu comme un être spirituel, avec une
étincelle de libre arbitre, conscient de lui-même et cette capacité d’imaginer
et de penser que nous appelons l’âme. Pour cela, nous les être humains, nous ne
pouvons pas donner le meilleur de nous-mêmes comme l’amour ou la créativité, si
nous ne sommes pas libres.
-
Dieu?
Qui est Dieu? Avant tu as parlé de lui comme s’il était la cause de beaucoup de
choses qui arrivent ici, ou comme s’il était capable de les résoudre.
-
Qui
est-Il? Je ne sais même pas si nous devons demander «Qui est-il?» ou «Qu’est-ce
qu’il est?»
-
Mais
tu parles de lui…
-
Oui,
oui – dis-je – Comment je ne vais pas parler de Lui…? – Je respirai
profondément et j’attendis quelques minutes tandis que le Jeune Prince me
regardait avec étonnement – Si tu savais qui est Dieu, tu saurais tout. On a
dit qu’il est celui qui est, son propre
début et sa propre fin, et donc le principe et la fin de tout ce qui
existe. Les uns l’ont imaginé comme une renaissance éternelle, une incessante
succession d’effets et de causes. D’autres le définissent, conforme à nos idées
de la perfection, come le bien ou la beauté; d’autres encore le baptisent comme
le verbe, le créateur, la vérité et la sagesse suprême.
-
On
dirait – répondit mon compagnon de voyage – que les hommes ignorent plus qu’ils
ne savent de Dieu.
-
Moi
aussi je pense cela, comme l’intelligence humaine étant limitée, elle est
incapable d’apprendre une idée infinie. Ce qui me fait plus honte c’est,
qu’encore aujourd’hui, les gens, dans leur ignorance, continuent à se tuer pour
les différentes réponses que cette question peut offrir. – Cela sembla
surprendre le Jeune Prince, et je le tranquillisai donc par un sourire – Reste
tranquille, je ne suis pas tellement primitif!
-
Et
est-ce qu’il y a d’autres questions pour lesquelles les gens luttent? – me
demanda-t-il, désirant savoir ce qui l’attendait sur notre intolérante et
violente planète.
-
Oui,
beaucoup, mais aucune a autant exacerbé la haine comme la question sur le
divin, ce qui démontre le peu de développement de la propre conscience. Même si
dernièrement il est arrivé quelque chose d’encore pire : les gens ne se
questionnent plus au sujet de Dieu dans le silence de leur esprit, comme si
déjà il ne leur importait plus de savoir pourquoi ils vivent.
-
Et
toi, que crois-tu? – me demanda-t-il dans l’espoir que je puisse lui donner un
peu de lumière sur un sujet qui semblait tellement embrouillé et confus.
-
Je
préfère ressentir Dieu au-dedans de moi comme une nécessité de m’unir à toutes
les créatures vivantes, comme une énergie amoureuse qui nous alimente tous, et
l’univers entier. – Ces mots semblèrent le tranquilliser et il resta un moment
en silence, pensif.
-
Je
suppose que les animaux non plus ne puissent donner le meilleur d’eux-mêmes si
nous les enfermons dans un cage – nota le Jeune Prince, en se rappelant,
peut-être, du mouton enfermé dans le carton, tandis qu’il passait ses doigts su
la tête de Alas endormi.
-
Il
y a des gens qui enferment leurs enfants oud ‘autres personnes dans des cages
avec des barreaux d’exigences, d’attentes et de peurs – pensais-je – sans se
rendre compte que tout ce qu’on impose comme obligation provoque nécessairement
résistance. Dans ce sens, tout ce qui conduit à l’immobilité et au manque de
spontanéité va contre la rénovation qui caractérise la vie. Après tout, il est
facile de prouver qu’il n’y a rien de plus ordonnée et sécuritaire qu’un
cimetière.
-
Donc,
l’ordre n’est pas nécessaire? – demanda le Jeune Prince, doutant encore de la
question.
-
Il
existe un ordre externe dont nous avons besoin pour nous sentir commodes, à un
différent degré pour chacun de nous. Mais l’ordre qui est réellement important
est celui de l’esprit, qui doit être orienté vers Dieu, vu que nous venons de
Lui et allons vers Lui. Cependant il ne s’agit pas d’un ordre fixe, mais de
constante évolution et croissance de notre être spirituel.
-
Comment
sais-tu tant de choses? – demandât-il, surpris de ma capacité de trouver des
réponses à ses questions.
-
Grâce
à mon expérience et à mon intuition – répondis-je.
-
Et
comment sais-tu que tu as raison?
-
Grâce
à mon expérience et à mon intuition – répondis-je encore.
-
Et
tu ne te trompes jamais? – me demanda-il avec admiration.
-
C’est
clair que je me trompe, et alors j’ajoute cette erreur à mon expérience. Tu
verras, je ne peux pas dire que ce que je crois soit une vérité absolue, mais
seulement que c’est une connaissance qui m’a été utile dans la vie. Tu devrais
faire la même chose. Ne crois rien de ce que je te dis. Prend-le simplement et
vois si cela peut te servir.
-
Et
où est-ce que je peux trouver cette expérience? – voulut savoir le Jeune
Prince.
-
Dans
la vie – répondis-je – Mon expérience est formée par tout le temps que j’ai eu
pour commettre des erreurs et par ma capacité de les corriger. Si tu es
intelligent, tu arriveras à faire entrer dans ton expérience les erreurs commis
par d’autres, sans besoin de les répéter. Les livres, les maîtres et les
histoires des autres personnes peuvent ouvrir des chemins, mais enfin c’est toi
qui dois décider quelles connaissances
tu dois accepter.
En voyant son expression je me
rendis compte que tout cela était vague pour lui. Il n’y a pas de doute que les
jeunes apprennent beaucoup plus de nos exemples que de nos paroles.
En cet endroit, la route avançait
parallèle à une rivière qui serpentait au fond d’un profond ravin. Des deux
côtés, les élévations des Andes montraient d’étranges et irrégulières
formations rocheuses. L’une d’elles attira notre attention : c’était une
pierre fine qui s’élevait vers le ciel à partit du sommet d’une colline. Un
panneau indiquait son nom : « Le doigt de Dieu».
Je souris en pensant comment les
gens de l’endroit avaient vite fait de lui donner un nom sacré avant que les
voyageurs découvrent une autre similitude.
Pour moi, il m’était plus facile
d’imaginer, comme l’avait fait Michel Ange dans la Chapelle Sixtine, que le
doigt de Dieu venait vers les hommes et non le contraire. En ce moment,
l’exemple dont j’avais besoin vint à mon esprit.
-
L’expérience
– dis-je, et mon ami se tourna vers moi – est comme une carte géographique.
Malheureusement pour ce qui est du futur, la carte est incomplète. Pour cela,
tous les jours tu dois confirmer les suppositions qui se sont avérées exactes
et annuler les autres.
-
Et
l’intuition? – demanda l’infatigable Jeune Prince. Il était évident que, dans
cette voiture, personne ne me féliciterait pour l’efficacité de mes exemples.
-
L’intuition
est la première perception que tu as sur une personne ou une situation.
Généralement elle est correcte. Malheureusement, notre société a survalorisé la
connaissance déductive rationnelle, qui est plus lente et, même si elle peut
être utile en science, il n’est pas facile de l’appliquer aux événements humains.
Par contre, la connaissance intuitive est instantanée et intégrale.
-
Je
crois que ma fleur était intuitive – dit-il – parce qu’elle savait les choses
avant que je les lui dise. C’est peut-être pour cela que les hommes et les
fleurs ne s’entendent pas entre eux.
Chapitre XV
J’étais totalement immergé dans le plaisir de conduire sur cette sinueuse route qui
maintenant suivait le bord d’un lac entre une forêt de sapins. A chaque
changement de vitesse, le vibrant son du moteur montait comme un ébranlement
dans ma colonne vertébrale. En ce moment tellement spécial pour un amant des
voitures et la vitesse, la subite interférence du jeune tomba sur moi comme de
la neige au printemps.
-
Tu
me parlais des gens sérieux – me rappela-t-il – Que sais-tu de plus à leur
sujet?
-
Certaines
choses – dis-je résigné, en pensant qu’il était inutile de lui expliquer qu’il
venait d’interrompre une incomparable symphonie mécanique.
-
Après
tout, moi-même je me suis presque converti en un distingué membre de cette
espèce.
-
Et
qu’est-ce qui t’en a empêché? –voulu savoir le Jeune Prince, qui allait
toujours au centre de la question.
-
En
me fixant sur les gens sérieux qui m’entouraient, toutes des personnes
respectables et qui avaient du succès, je me rendis compte qu’aucune d’entre
elles n’était réellement heureuse,
-
Tu
ne me diras pas que l’ordre et la discipline les rendaient malheureux, n’est-ce
pas? – Insista-t-il, un peu surpris.
-
Non,
- répondis-je – Ce qui arrive c’est que les gens sérieux, ceux qui aiment
l’ordre, en majorité ils détestent les surprises et tout ce qui échappe à leur
contrôle. Mais plus de contrôle ils exercent, moins ils en profitent. Ils
aiment vivre dans un monde qui tourne dans une orbite exacte et précise, un
monde sans magie et sans surprise. Les changements, si petits soient-il, les
irritent ou les préoccupent et notre instable réalité cache d’incomptable
opportunités pour les deux choses.
-
Ce
que tu dis me rappelle un allumeur de réverbère qui ne pouvait pas dévier de sa
routine – expliqua le Jeune Prince – Quand
sa planète commença à tourner plus vite, son travail devint infernal.
-
Bien,
le passage de ces gens dans la vie est aussi brillant et fugace que leur
annotation chronologique, même s’ils ont accumulé de nombreuses médailles et
diplômes. Personne n’ose ajouter une note au pied qui dise : «Et malgré
tout cela, il ne fut pas heureux». Le ciel écrit sur leur tombe avec des
étoiles fugaces l’épitaphe qu’ils méritent.
-
Personne
ne devrait être fier d’être une étoile fugace – dit-il.
-
Non,
en effet – j’ajoutai - : Ce sont de petites flammes qui s’éteignent
rapidement, comme les lucioles dans la nuit des temps.
-
Et
ensuite il y a ces autres personnes – continuant ma réflexion – qui, quand
elles font face à la réalité, incapables de renoncer à leurs idéaux (comme
personnes sérieuses qu’elles sont), essaient tellement de les protéger qu’elles
se construisent un mur autour d’elles, qui sert seulement pour asphyxier leur
propre esprit. Parfois ce mur est tellement bien construit qu’elles ne peuvent
pas trouver une fissure pour y entrer de nouveau. Ainsi elles restent à
l’extérieur, comme des marionnettes sans fils qui les bougent, comme des
fantômes qui ne savent pas qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont. Leur
monde erre sans but et, avec le temps, devient aussi froid qu’une comète
errante.
-
Je
ne veux pas être une comète errante – dit le Jeune Prince, avant de
demander : Qu’est-ce qu’un fantôme?
-
Un
fantôme est une image sans contenu, une ombre, une apparence sans soutien. – Et
j’ajoutai - : Il y a des gens qui croient que les fantômes n’existent pas.
Moi, au contraire, je crois qu’il y en a et qu’ils sont nombreux, partout où
que tu ailles. Pour moi, les fantômes sont les personnes qui n’ont pas de cœur.
-
Je
ne veux pas être un fantôme moi non plus – réfléchit le Jeune Prince, toujours
plus conscient de la difficulté de ce que signifie grandir.
-
Dans
ce cas, ne trahis pas tes désirs et ne les enterre pas en toi jusqu’à ce qu’ils
meurent par inanition. Apprends à combiner ce qui est réel avec ce que tu
désires. Donne le meilleur de toi dans tout ce que tu fais, de manière que
reflète ton esprit, et offre le meilleur de toi à chaque personne, pour qu’elle
reflète ton amour. Tu verras que le monde se convertira en un de ces miroirs
qui augmentent, qui reflètent et te renvoient en plus grand tout ce que tu as
donné gratuitement. Parce que l’unique manière de t’entourer de sourires, c’est
de sourire et l’unique manière de t’entourer d’amour est de le donner aux autres.
Il arrive un moment où tu te trouves, durant ton enfance, dans un monde centré
sur toi, et, quand arrive ta maturité, dans un monde ouvert aux autres. C’est
alors que tu dois te dépouiller de tes caprices, tes rigidités, et tes
égoïsmes, pour grandir dans la conviction avec laquelle tu vas défendre les
principes les plus nobles. Aime-toi toi-même et ainsi tu pourras aimer les
autres. Aime tes rêves, pour pouvoir construire avec eux un monde chaud et
beau, plein de sourires et d’embrassades. Ce sera un monde où tu désireras
vivre, et qui tournera dans une orbite de plusieurs couleurs. Si tu crois
vraiment en lui, tu le construiras peu à peu avec chaque geste quotidien, ce
monde deviendra possible pour toi. Et il sera la récompense que tu mérites,
parce que je n’ai jamais vu personne jouir
d’un bonheur non mérité. Seulement les personnes qui aiment vraiment
sont comme des étoiles, et leur lumière continue à briller sur nous après
qu’ils sont partis.
Je notai l’émotion et la ferveur qu’il y avait dans sa voix quand il
dit :
-
Quand
je mourrai je veux être une étoile. Enseigne-moi à vivre pour que je puisse
être une étoile. – Et en embrassant son chien, il appuya la tête sur la
fenêtre.
-
Je
ne pourrais pas t’enseigner des formules précises – répondis-je avec tendresse
– je ne suis pas maître en étoiles. Seulement ce que je peux t’offrir ce sont
les choses que j’ai apprises dans ma vie, une poignée de vérités qui, comme
toutes les vérités, peuvent seulement se transmettre à traves l’amour. Toi,
comme nous tous, tu as en toi la capacité d’aimer et c’est tout ce dont tu as
besoin. Quand tu auras de doutes, cherche au-dedans de toi, et si tu as la
patience suffisante, tu trouveras toujours la réponse.
Mais déjà il ne m’écoutait pas… Il
avait peut-être découvert que dans le pays de rêves nous pouvons tous être des
princes et des étoiles.
Chapitre XVI
Cette nuit nous avons dormi dans une belle auberge au bord d’un lac, entourée d’un
bois de grande dimension. C’était une construction en bois et en pierres, et
qui possédait d’agréables cheminées où crépitait le feu. Les murs de chaque
habitation étaient revêtus de papier peint dont les motifs et les couleurs
étaient inspirés selon le nom. La nôtre s’appelait «La prairie» : elle était de couleur vert-clair et les motifs
étaient des plantes et des fleurs sauvages. Les normes de la maison voulurent
que Alas dorme seul cette nuit dans le
hangar. De toute manière je pensai qu’il ne serait pas facile pour mon ami de
se séparer physiquement et émotionnellement de son chiot.
Je ne dus pas me surprendre quand,
allant souper, je vis au réfectoire la même bruyante famille que nous avions
rencontrée au dîner, car dans cette zone, les hôtels ne sont pas nombreux.
Comme il est naturel, notre entrée provoqua la même confusion que quelques
heures auparavant, ce qui démontrait la vérité du slogan : «Fais ce que tu
veux, tu n’arriveras jamais à conformer les autres». Cependant, au cours
du repas, peut-être à cause de la fatigue des enfants et des adultes,
l’atmosphère à leur table devint tellement désagréable que nous nous sentîmes
très incommodes à cause de l’agressivité et la violence à peine contenue. Le
plus petit pleurait inconsolablement. Un autre était en punition et il ne
devait pas souper. Un troisième fut obligé de terminer un poisson qui,
évidemment, ne lui plaisait pas. Les autres avaient les yeux rivés sur leurs
plats, sans oser ne rien commenter sur la situation de leurs frères. Tout cela
affecta profondément mon jeune ami, peu habitué à des luttes familiales,
jusqu’au point qu’il sembla perdre l’envie de manger. Il réalisa donc le
deuxième miracle d’amour de notre voyage : il se leva de table, alla
chercher Alas, et, le tenant dans ses
bras comme un petit bébé blanc, il l’offrit aux enfants en cadeau. Eux, les
yeux rayonnants de joie, tendirent les bras pour le caresser.
Le geste et l’attitude du Jeune
Pince furent tellement émotionnants que les parents restèrent muets. Quand
enfin ils purent réagir et essayèrent de refuser le don (assurément avec toutes
sortes de raisons sensées), Alas
faisait déjà partie de leur vies. Difficilement ils me regardèrent, comme si
moi, supposément le père, je devais autoriser le don. Quand je bougeai
affirmativement la tête en souriant, leur sort fut scellé. Le jour suivant ils
seraient huit en route.
A partir de ce moment le bonheur
revint dans la salle à dîner et mon jeune ami put jouir de son repas,
fréquemment interrompu par les salutations et les rires des enfants et les
jappements de joie de Alas qui
maintenant avait cinq maîtres disposés à jouer avec lui et à satisfaire
jusqu’a la dernières de ses nécessités.
-
C’est
merveilleux que tu ais pu faire cela, spécialement avec ces enfants qui avaient
ri de toi ce matin – dis-je pour voir sa réaction. Mais il répondit :
-
Tu
m’as fait voir que je les avais provoqués par mon insolite apparence et c’est
normal que les enfants réagissent de manière spontanée. En plus, je ne pouvais
pas continuer à supporter la tension et je sentis le besoin de faire quelque
chose pour l’alléger. Alas était à
mes côtés, me donnant plus de bonheur que j’avais besoin. C’est bien qu’il
réjouisse maintenant d’autres cœurs.
Avec cette réconfortante
expérience prenait fin la deuxième journée de notre voyage. Une fois de plus,
je sentis que le Jeune Prince avait dépassé par un seul geste toutes mes
généreuses explications.
Chapitre XVII
Après un
repos réparateur, je me réveillai un peu plus tard qu’à l’ordinaire. Je
regardai vers le lit de mon compagnon, mais il n’était pas là. En ouvrant les
rideaux, je le vis debout et seul au bord du lac, aussi immobile que les eaux.
Les premiers rayons de soleil dessoudaient les derniers restes d’une bruine,
comme coton de sucre qui se fond dans la bouche d’un enfant. Tout le paysage
irradiait une sensation d’immense paix. Après le déjeuner nous reprenions la
route. Avant de partir nous nous rendîmes compte que la voiture de la famille
bruyante était déjà partie. Après un quart d’heure sur une route de terre, à
l’ombre des cèdres, des sapins, des araucarias, nous étions près du bord du bois.
A l’improviste, le Jeune Prince cria :
-
Arrête,
s’il te plait!
-
Qu’est-ce
qu’il y a?
-
Arrête
la voiture, s’il te plait! – répéta-t-il avec évidente inquiétude, Dès que je
le fis, il sortit et il entra dans le bois une vingtaine de mètres sans dire un
mot.
«Ah, c’est de cela don il
s’agissait…», me dis-je avec un soupir de soulagement, surpris que les
nécessités personnelles obligeait mon
ami de manière aussi brusques.
Mais je découvris alors avec peine
que ce n’était pas cela qui avait causé sa réaction. À différence du premier
jour quand il venait vers moi avec des yeux lumineux, maintenant son regard
reflétait la douleur de la déception, tandis qu’il s’approchait en soutenant Alas blotti dans ses bras.
Il ne pouvait pas croire que
quelqu’un était capable d’abandonner une si tendre créature.
Alas
gémissait et tremblait, dominé par la peur, il léchait désespérément les mains et la figure du Jeune Prince, La
joie qu’il avait ressentie à nous revoir était plus qu’évidente.
-
Ce
n’est pas possible que ce soit les enfants – dis-je en essayant de deviner les
sentiments de mon ami face à une telle cruauté. – Je ne comprends pas pourquoi
ils ne l’ont pas laissé à l’auberge pour qu’ils nous le rendent. Avec une note
de remerciement ou d’excuse cela aurait été suffisant – dis-je tandis qu’il
restait silencieux.
Tant d’émotions avaient laissé le chiot sans
forces et, quand nous repartirent il resta endormi sur les genoux du jeune, qui
continua à le flatter longuement.
Une fois de plus, la route abandonna
la vallée et entra dans un paysage inhospitalier dont la vaste solitude
invitait plus à la réflexion qu’à la conversation.
Aucun des deux n’osa rompre le
silence comme s’il n’y avait pas de mots appropriés pour de telles
circonstances. Finalement je dis :
-
Réjouissons-nous
qu’Alas soit vivant. Pardonnons et
continuons.
Le Jeune Prince
continua en silence, comme s’il ne m’avait pas entendu. Son expression était
mélancolique et réservée. Après un long moment il parla :
-
Moi
aussi j’ai abandonné une fleur et je ne peux pas me pardonner d’avoir laissé
qu’elle se fane. Et je me sens coupable d’avoir douté des bonnes intentions de
mon ami. Même si la plante a en cela une part de la faute.
Alors je compris qu’est-ce qui le
tenait attaché à son passé et assombrissait son brillant sourire.
-
C’est
la difficulté qui t’empêche d’aller de l’avant – dis-je, complètement convaincu
de mon diagnostique. – Écoute bien parce que je vais te confesser le secret du
bonheur.
-
Tu
connais ce secret? – demanda le Jeune Prince en ouvrant les yeux, incapable de
croire que la réponse que l’humanité avait cherchée durant des siècles lui
serait révélée là, en ce moment.
-
Bien,
oui, je crois cela – répondis-je, en sachant que dans une situation comme
celle-là il était mieux de me montrer assuré que de feindre la modestie – Même
si je n’ai pas déchiffré aucun manuscrit antique ni entré dans la chambre
défendue d’une mystérieuse pyramide, je suis convaincu de cette vérité, comme
toutes les grandes vérités, est évidente en elle-même et simple.
-
Donc,
dis-le-moi, s’il te plaît – supplia le Jeune Prince.
-
Tu
seras heureux si tu aimes et pardonnes, parce que toi aussi tu seras aimé et
pardonné. Tu ne peux pas pardonner sans aimer, parce que ton pardon ne
dépassera jamais la mesure de ton amour. Et enfin, il est impossible d’aimer et
de pardonner aux autres sans t’aimer et te pardonner d’abord à toi-même.
-
Comment
quelqu’un peut-il s’aimer lui-même, en connaissant ses propres imperfections? –
objecta-y-il.
-
De
la même manière que tu aimes les autres dont tu connais aussi les
imperfections. Ceux qui attendent l’arrivée d’un être parfait pour l’aimer vont
de désillusions en désillusions et ils finissent par ne pas aimer personne.
Donc pour t’aimer et te pardonner toi-même, il suffit que tu ressentes le désir
de te dépasser et que tu acceptes que tu as toujours fait le mieux que tu
pouvais.
-
Et
comment est-ce que je peux savoir que j’aime vraiment sans avoir fait avant
l’expérience de l’amour? – demanda le Jeune Prince en toute logique.
-
Ton
amour est vrai quand tu mets le bonheur de l’autre avant le tien. L’amour vrai
est libre et ne connait pas de limites. Il ne cherche pas à satisfaire ses
propres nécessités, mais il se concentre dans le bien de la personne aimée.
-
Je
ne comprends pas comment je pourrais donner cet amour sans l’avoir d’abord reçu
– insista le Jeune Prince.
-
Ce
que tu dis est très vrai. Parfois les humains nous avons la chance de recevoir
l’amour inconditionnel de nos parents. D’autres, au moyen de la méditation,
nous pouvons arriver à nous rendre compte que nous possédons une âme immortelle
et pressentir l’amour de notre Créateur. Il y a des gens qui, après avoir lu
les Évangiles, sente que Jésus aimait toute la race humaine avec perfection
absolue, jusqu’au point d’offrir sa vie pour nous libérer de la peur de la mort
et nous enseigner ainsi que nous sommes tous des êtres spirituels soumis à une
expérience humaine. D’autres découvrent, à travers les paroles de maîtres
illuminés, une compassion absolue envers toutes les créatures vivantes. Si tu
la recherches avec sincérité, tu finiras par trouver une raison pour t’aimer et
tu découvriras que tu es une créature unique et merveilleuse.
Je parlais avec grande conviction,
mettant toute l’énergie possible dans mes mots, conscient qu’il n’existe pas de
conquête plus complexe, ni en même temps plus sublime, que de soigner un cœur
blessé. Il m’écoutait dans un profond et respectueux silence.
-
Nous
devons apprendre des enfants – continuais-je. – Ils sont rapides à pardonner; sinon
la vie serait une succession de haines et de vengeances interminables. En plus,
de quelles choses tellement terribles peux-tu de culpabiliser? De douter? Même
les personnes avec une foi très solide ont eu des doutes. Accepte tes erreurs
et aie confiance en la miséricorde de Dieu, parce que Lui t’a déjà pardonné. Et
si tu doutes de l’existence de Dieu, demande-toi ce que tu gagnes à ne pas te
pardonner. En plus, tu as suivi ta voix intérieure tel que tu devais, à la recherche
de ton ami aviateur, pour lui demandé pourquoi il t’avait donné un carton qui
ne pouvait pas contenir un mouton.
Il resta silencieux. Il était
immobile, avec les yeux absents. Et il avait cessé de flatter Alas.
-
Je
ne crois pas que tu doives te juger avec trop de sévérité pour avoir abandonné
ta fleur. Les fleurs se fanent à la fin de l’été et renaissent au
printemps. D’une manière subtile, elle
te poussait peut-être loin d’elle pour que tu ne puisses pas voir comment elle
se fanait et que ses pétales tombaient.
Je
sentis sur moi la force de l’attention du Jeune Prince, comme si sa vie
elle-même dépendait de chacune de mes paroles.
-
Tu
as abandonné ton petit monde, oui, mais pour en explorer un plus grand; toute
élection implique un renoncement. Tous les changements signifient laisser en
arrière quelque chose de nous-mêmes : c’est la seule manière de grandir et
d’avancer. Non sans douleur, mais sachant que l’expérience nous enrichira. Peu
à peu, nous nous débarrassons de l’accessoire et nous conservons uniquement
l’essentiel, comme pèlerins qui en cheminement vers le sanctuaire, prennent
conscience du poids de ce qui n’est pas essentiel.
Les mots venaient à ma bouche sans
aucun effort, guidés par une connaissance qui semblait étrangère à ma volonté.
-
Pour
ce qui est de la plante, n’oublie pas que tu allais l’arracher. Tes préjudices
te firent croire que toutes les plantes sont mauvaises parce qu’elles
envahissent les espaces des hommes et des fleurs. Mais, est-ce que tu peux
affirmer que cette plante était mauvaise en soi? Certainement pas, parce
qu’elle ne faisait qu’accomplir en cela ce pourquoi elle avait été créée, être
une plante. Comment peux-tu accuser une créature de recourir à quelque moyen
pour survivre quand son existence même est en danger?
Cette fois le garçon me regarda avec
surprise, mais ses lèvres restèrent fermées.
-
Je
ne crois pas que les choses soient bonnes ou mauvaises, sauf en relation avec
nos nécessités ou avec l’usage que nous faisons d’elles. Mais si je devais, je
dirais que, comme elles existent, elles doivent être bonnes. Dans le plan
universel de la création, il est possible que beaucoup de choses qui arrivent
aient un sens que nous ne comprenons pas encore. Est-ce que les plantes
existeraient pour que nous devions les arracher et ainsi ne pas devenir
paresseux? Est-ce que la douleur existerait dans le monde pour que nous
puissions aimer et valorise le bonheur? Est-ce que la haine existerait pour que
nous puissions faire l’expérience de la chance spirituelle du pardon? La vérité
est que, sans difficultés, il serait impossible de s’améliorer comme être
humains et découvrir notre vraie réalité. C’est dans les moments les plus
critiques que nous manifestons à la lumière le meilleur de nous-mêmes.
Je respirai profondément et nous avons continué
notre voyage matinal en silence. Il faut beaucoup de temps pour que surgisse en
nous avec force la nécessité et le désir de pardonner.
Il est paradoxal que certaines personnes
croient qu’en pardonnant aux autres, elles leur font un bénéfice, quand en
réalité celui qui bénéficie plus du pardon est celui qui l’accorde. Les
sentiments négatifs retournent toujours contre la personne qui les cultive, de
manière qu’en ne pardonnant pas, en ayant de l’envie, en haïssant, c’est à
nous-mêmes que nous faisons plus de mal.
Soudain, une phrase de Buda passa dans mon
esprit comme un lièvre qui croise la route : «Celui qui me fera du mal
recevra en échange la protection qui vient de mon amour et plus grande sera sa
méchanceté, plus grands seront les bien qu’il recevra de moi».
Chapitre
XVIII
A midi nous sommes arrivés à une ville reconnue pour
un important hôtel et centre de conventions.
Ils l’avaient construit pour développer le
tourisme dans la zone et faire connaître les attractions locales par des
réunions d’entreprises et artistiques. Nous nous étions arrêtés là pour dîner,
et quand nous allions ver la salle à dîner, nous avons vu à travers les portes
ouvertes que le grand salon de conventions était plein de gens. Je regardai
sans intérêt vers le salon, et je découvris avec surprise que l’orateur était le père de famille que nous
avions rencontré le jour avant. Il était en train de terminer un discours où il
se présentait comme candidat, même s’il nous fut impossible de savoir pour
quelle place ou fonction. Ses paroles nous frappèrent quand nous l’avons
entendu dire :
-
…
Vous pouvez avoir confiance en moi. Je ne vous décevrez pas.
Alors ses yeux se rencontrèrent avec le regard clair et pénétrant de mon
ami le Jeune Prince.
J’eus le désir irrésistible de le démasquer en public, de dire à tout le
monde que ce matin même il nous avait déçu en abandonnant un chiot sans
défense.
Je vis avec répugnance que le visage de l’homme ne démontrait ni
culpabilité ni honte, possiblement parce que ces émotions requièrent un grain
d’humanité.
Cependant dans l’expression du Jeune Prince il n’y avait pas le moindre
signe de rancœur ou de dureté, seulement une grande luminosité tellement
intense qu’aucune ombre n’aurait pu éclipser.
Nous avons décidé d’entrer rapidement dans la salle à dîner, car les
applaudissements pouvaient réveiller l’appétit du public.
Nous commencions à manger quand l’homme entra et, en nous voyant, il se
dirigea directement vers notre table. Surpris que L’individu avait le front de
venir à nous, je sentis que j’étais tendu.
Cependant, il semblait tranquille et relaxé. Il sourît et en arrivant il
mit la main sur l’épaule du Jeune Prince et dit :
-
Ce
fut un merveilleux geste que tu as fait hier. Et je comprends parfaitement que
tu te repentais de ta décision précipitée. C’est un chien très spécial, même si
je dois te dire que les enfants ont eu une grande déception ce matin quand ils
ne l’ont plus retrouvé.
-
Je
ne comprends pas – dis-je, en lançant un coup d’œil rapide au Jeune Prince, qui
était assis immobile et impassible – Comment vous ne l’avez pas trouvé?
Mais le père, ne faisant pas de cas de mon interruption, continua :
-
Si
au moins vous auriez laissé une note disant, je ne sais, que vous aimiez
beaucoup le chiot, c’aurait été plus facile d’expliquer aux enfants que...
-
Écoutez,
s’il vous plait – dis-je, cette fois sur un ton plus énergique, incapable de
comprendre pourquoi il se montrait compréhensif et aimable, quand ce papier
aurait dû nous correspondre. – Mon jeune ami ne s’est repenti de rien. Ce
matin, sur la route, nous avons trouvé le chiot dans la forêt et nous avons
supposé que…
-
Que
nous l’avions abandonné? – termina le père la phrase que je n’avais pas osé
terminer – Abandonner ce précieux et petit chiot? Mais comment pouvez-vous
penser une telle barbarie? – manifesta son désaccord l’homme avec indignation.
Après un incommode silence où je ne sus que dire, le type
continua :
-
Il
se peut que vous m’ayez vu adopter une attitude sévère avec mes enfants, mais
je ne suis pas une personne insensible et j’ai toujours essayé de ne pas être
injuste. Je crois simplement qu’un peu de discipline est préférable à l’absence
de limites.
Après avoir pensé un moment, il ajouta :
-
Je
ne comprends pas ce qui peut s’être passé, seulement que le chiot ait ouvert la
porte du hangar durant la nuit et soit sorti dans la forêt. – Il se retourna
vers le Jeune Prince et ajouta - : Les Kuvasz sont une race inquiète,
tu le savais? C’est une chance que tu l’aies retrouvé.
J’avais perdu la parole, incapable
de parler, comme un enfant surpris dans un mauvais coup.
-
Bien,
je vous laisse. Bonne route – dit l’homme.
Tandis qu’il s’éloignait, la voix du
Jeune Prince l’arrêta.
-
Où
est-ce que je peux trouver les enfants? – demanda-t-il.
-
Aux
chambres 310 et 311. Ils seront heureux de te voir – dit l’homme en retournant
la tête, et ensuite il continua vers une grande table où il était attendu pour
une espèce de fête par rapport à sa candidature.
Même si je ne connaissais le Jeune
Prince que depuis peu de temps, je pouvais m’imaginer ce qui allait se
passer : la noblesse de son cœur était encore plus grande que l’affection
qu’il ressentait pour Alas.
Quelques minutes après, la porte de
la chambre 31 s’ouvrait et les cris des enfants se mêlèrent aux jappements
d’enthousiasme du chiot : il avait retrouvé ses cinq bruyants amis.
Ensuite, en conduisant, je me
promis que la prochaine fois que j’aurais des doutes, j’essaierais de penser le
mieux des gens et non le contraire. Je me suis rendu compte que ce n’est pas
important combien de fois tu as été déçu, parce que comme j’ai décidé que la
prochaine personne que je rencontrerai sera digne de mon amour et de ma
confiance, je suis une personne plus heureuse et le monde me semble un meilleur
endroit.
Mes attentes positives par
rapport aux gens et aux circonstances m’attirèrent des gens et des
circonstances favorables. C’est comme si la réalité voulait nous faire plaisir,
que nous espérions le meilleur ou le pire. Pour cela il est peut-être vrai
l’adage qui dit : «Si penses que tu vas triompher comme si tu crois qu’un
échec t’attend, tu ne te tromperas pas».
En regardant discrètement le
Jeune Prince, je vis que son expression était sereine. Je me rendis compte que
durant toute la matinée, je ne lui avais pas entendu dire un seul commentaire
négatif au sujet de cette famille.
Moi, en supposant que ce n’était
pas la faute des enfants, j’avais condamné le père dès le premier moment. Et ce
qui est pire : en le voyant dans la salle je me rendis compte, que malgré
toutes mes idées sur le pardon, je ne lui avais pas pardonné.
Pour un instant, je compris que
le garçon avait supposé la vérité dès le début et n’avait rien fait pour me
libérer de mon erreur, mais je n’y pensai pas. En ce moment, les lèvres du
Jeune Prince s’ouvrirent dans un lumineux et pacifique sourire…
Peu de temps après, après avoir
traversé la vallée, nous avons repris la route qui nous conduirait à la ville.
Là j’étais attendu par des amis pour être le parrain de leur premier fils.
Durant ce troisième jour, le
Jeune Prince parla très peu. Il m’écoutait et retournait à ses pensées, comme
si, pressentant la fin du voyage, il voulait absorber toutes mes expériences.
-
Parle-moi
du bonheur et de l’amour – me demanda-t-il soudain.
-
Toute
une question! – dis-je avec un soupir. – Sur ce thème je pourrais parler plus
que Sherezade dans Les mille et une
nuits. Je vais essayer de te donner quelques idées de ce que serait la vie
avec, ou sans, amour et bonheur, pour qu’ensuite tu puisses chercher ton propre
chemin. L’expérience m’a enseigné qu’il n’y a pas de bonheur sans amour,
compris comme une constante passion pour la vie et un permanent étonnement face
à tout ce que nous percevons à travers nos sens, comme couleurs, mouvements,
sons, odeurs ou formes.
-
Tu
veux dire – demanda-t-il – que nous devons mettre notre amour dans tout ce que
nous faisons?
-
Exactement.
Et le faire passionnément, que ce soit dans le travail, dans l’art, dans
l’amitié, dans les sports, dans l’aide aux autres ou dans l’amour. Le bonheur
est aussi un équilibre qui exige la satisfaction de multiples nécessités
humaines, à partir de celles de base, comme le manger, l’habitation, la
proximité avec nos semblables et la stimulation, jusqu’aux plus élevées, comme
la recherche de transcendance, l’amour, l’altruisme et la recherche du sens de
sa propre vie, en passant par d’autres, comme la créativité, la reconnaissance,
la productivité et le changement. Seulement notre intelligence peut satisfaire
ces nécessités de manière harmonieuse selon notre personnalité et le programme
de notre vie.
-
Et
comment est-ce que je peux savoir que je l’ai acquis? – demanda le Jeune
Prince.
-
Le
bonheur – lui expliquai-je – plus que l’objectif final où arriver, comme s’il
s’agissait de la dernière station d’un train, est en réalité la manière de
voyager, c'est-à-dire de vivre.
-
Un
train…? – commença à dire le garçon.
-
Ce
n’est pas un sentiment passif – dis-je sans faire attention à son interruption.
– Au contraire, il faut de l’attention et un effort quotidien pour l’obtenir.
-
Pourquoi
commences-tu toujours en disant ce que les choses ne sont pas? Tu économiserais
la moitié du temps si tu ne faisais pas ainsi. – Et avant que j’eus le temps de
faire quelque observation sur la bipolarité de notre univers, il insista :
- C’est quoi un train?
-
Un
groupe de wagons tirés par une locomotive sur deux rails, que nous appelons
voies – répondis-je de manière brève, en faisant un effort pour ne pas dire ce
que ce n’est pas.
-
C’est
difficile de sortir de la route – observa le Jeune Prince. – Ce doit être
impossible de le faire des voies.
Mon silence confirma son intuition.
-
Sur
cette planète il semble qu’il n’y a pas trop de marge pour la liberté –
observa-t-il enfin.
Il semblait absurde de commencer une
discussion sur la question du libre arbitre, et je continuai donc sur le thème
précédent :
-
Pour
vivre heureux il faut défendre la liberté, mais aussi la vie, l’éthique,
l’auto-estime, la loyauté et la paix. C’est un devoir de tous les êtres humains
pour mieux vivre, et c’est aussi l’attitude la plus honnête pour nous-mêmes et le
service des autres.
-
Que
veux-tu dire par «vivre mieux»? demanda-t-il.
-
Vivre
mieux c’est retirer avec plénitude tout ce que nous offre la vie et attirer ce
qui nous enrichit à partir des points de vue émotionnel, matériel et spirituel.
Je dus faire un effort pour m’arrêter là et ne
pas lui expliquer que le contraire de vivre mieux est "survivre", qui
implique de vivre avec le minimum possible. Il m’avait blessé dans mon orgueil
et je ne voulais pas lui expliquer plus que le nécessaire, même si cela
signifiait ne pas m’exprimer avec clarté suffisante.
-
Il
semble que tu doives avoir beaucoup de choses pour être heureux – dit-il.
-
En
réalité non, - dis-je rapidement. – Le bonheur dérive de l’être et non de
l’avoir; c’est l’art d’admettre et d’apprécier tout ce que l’on possède déjà et
non d’essayer d’obtenir ce que l’on n’a pas. Souvent, ce qui nous manque peut
être source de bonheur, parce que cela permet que d’autres nous complètent. Si
nous étions parfaits et que nous possédions tout, comment serait notre relation
avec les autres? Quelqu’un a dit une fois que ce n’est pas notre force qui nous
garde à l’abri durant la nuit, mais notre tendresse, qui fait que les autres
veulent nous protéger. Le chemin le plus certain et direct pour le bonheur est
de rendre heureuses les personnes qui nous entourent.
Après un moment durant lequel nous
nous sommes regardés en silence, et en voyant que mon jeune ami m’écoutait avec
attention, je continuai :
-
Pour
ce qui est de l’amour, je crois que la plus grande vérité qui s’est dite est
qu’on apprend à aimer en aimant. Nous avons tous la capacité d’offrir de
l’amour, même si ce n’est que par un sourire, qui enrichit autant celui qui le
donne que celui qui le reçoit.
-
Je
crois que notre planète serait très agréable si ses habitants se saluaient avec
un sourire quand ils se rencontrent – dit le Jeune Prince.
-
L’amour
vrai – continuais-je – se concentre sur ce qui est bon pour l’autre personne et
s’oublie elle-même. Pour cet amour, capable de tout accepter et de tout
pardonner, il n’y a rien d’impossible. Si nous traitons les autres comme ce
qu’ils sont, ils seront toujours les mêmes, mais si nous les traitons comme ce
qu’ils pourraient être, ils arriveront à leur plénitude. Celui-là est un amour
altruiste, qui perfectionne tout ce qu’il trouve sur son chemin et ne laisse
rien indifférent.
-
Même
avec beaucoup d’amour, tu ne peux pas tout résoudre – répondit mon ami,
peut-être encore pris de nostalgie pour sa fleur, sur un astéroïde perdu dans
l’espace, avec deux volcans à la veille de faire éruption.
-
Mais
tu peux toujours faire quelque chose, ne l’oublie pas – répondis-je. – Aimer, c’est
ne pas renoncer à faire ce qui est possible. Et si c’est tout ce qui te reste,
tu découvriras que l’amour est plus que suffisant.
-
Ce
doit être très triste de ne pas être aimé – observa-t-il.
-
Plus
triste est de pas être capable d’aimer – dis-je, avant d’ajouter : -
Certains considèrent le mal comme une puissante force qui s’oppose à l’amour.
Je crois que la plus grande tragédie dont on peut souffrir est de ne plus
aimer. Le manque d’amour est l’enfer.
-
Et
que se passe-t-il si tu commets une erreur et tu fracasses dans l’amour?
-
Je
ne vois pas les erreurs comme des fracas, car nous apprenons à travers eux.
L’unique vraie erreur est de ne pas essayer une autre fois, de manière
différente et créative, parce que si tu te limites à répéter ce que tu as déjà
fait, tu retrouveras seulement ce que tu avais obtenu. Donc on ne peut pas
fracasser dans l’amour, la seule erreur est de ne pas aimer.
-
Et
comment est-ce que je peux savoir qui mérite mon aide et mon amour? – demanda
le Jeune Prince.
-
Souvent
nous gardons notre aide pour l’offrir seulement à ceux qui la mérite.
C’est
une grand erreur, parce qu’il ne nous revient pas de juger les mérites des
autres, ce qui d’ailleurs est très compliqué, nous n’avons qu’à aimer. C’est la
même chose qu’avec le pardon, celui qui aime le plus est celui qui s’enrichit
le plus. Après tout, si Dieu aime également tous les êtres humains, pourquoi
devons-nous exclure les uns et préférer les autres? Tu as de la peine pour ceux
qui profitent de ta bonté. Et, enfin, si tu utilises ta vie pour découvrir le
meilleur des gens, tu finiras par trouver le meilleur de toi-même.
-
Et
la peur de la mort – demanda-t-il tout à coup – m’empêche-t-elle d’être
heureux?
-
Beaucoup
de gens se préoccupent pour la fin de leur vie. Ils devraient plutôt se
préoccuper pour lui donner un réel commencement et s’assurer qu’elle donne des
fruits. Je crois que les âmes ne se perdent pas et que nous arriverons tous
finalement à notre destin, mais si alors nous sommes jugés, je suis convaincu
que la demande sera : «Combien as-tu aimé?». On ne nous demandera pas
«Combien as-tu gagné?», mais plutôt «Combien as-tu donné aux autres?». La
grandeur apparente n’importera pas, si elle n’a pas été au service des autres.
Après une brève pause, et avec une émotion à dure peine contrôlée,
l’ajoutai :
-
Sais-tu
une chose? L’amour est plus puissant même que la mort. Mon frère aimait les
ailes. Ses ailes étaient de différentes couleurs. Ils disent qu’il est mort,
mais il est toujours vivant dans nos cœurs. Depuis ce jour je crois que les
seuls qui sont réellement morts sont ceux qui n’ont jamais aimé et ceux qui
déjà ne veulent pas aimer.
-
Chapitre XIX
Nous étions arrivés à la périphérie de la ville où mes amis m’attendaient. Mais personne
n’attendait le Jeune Prince, qui n’était même pas sur sa propre planète. L’idée
m’attrista et je l’invitai à venir avec moi.
-
La
vie a été généreuse avec moi – dis-je – et j’aimerais t’aider si tu en as
besoin.
-
Merci
– répondit-il – mais tu as déjà fait beaucoup…
Au même moment, déjà près du
centre ville, un feu de circulation nous arrêta. Un vagabond s’approcha de la
voiture et tendis la main vers nous. Quand le garçon baissa la fenêtre, il nous
arriva une forte odeur d’alcool.
-
As-tu
de l’argent ?– demanda mon jeune ami.
-
Je
crois qu’il ne me reste pas de change – répondis-je.
-
Donc
alors donne-moi ce que tu as – insista-t-il.
-
Es-tu
certains? – dis-je avec un ton de doute tandis que j’essayais de sortir le
portefeuille, qui était coincé dans la poche arrière de mon pantalon. – Il va
tout le dépenser en boisson.
En ce moment le feu de circulation
devint vert et le véhicule qui venait derrière nous nous fit signe d’avancer,
tandis que le vagabond restait incliné à la fenêtre.
-
Avance
au côté et laisse-le passer – me demanda mon ami et je vis qu’il était
impossible de le contrarier – Tu viens de me dire que nous devions donner sans
regarder à qui. Bien, ici il y a quelqu’un qui nous demande de l’aider.
-
Je
ne crois pas que dans ce cas, l’argent résolve ses problèmes – dis-je, même si
normalement j’essais d’aider sans penser à cela.
-
Le
vin l’aidera peut-être à les porter –répliqua-t-il. – A moins que tu veuille
entendre son histoire, connaître comment tu peux l’aider vraiment… Tu sais? –
ajouta-t-il, comme illuminé par une nouvelle pensée – Je crois que c’est une
grande idée. Je vais passer la nuit ici. Je peux peut-être faire quelque chose
pour lui, et sinon, un peu d’attention et de compagnie lui feront certainement
du bien…
-
Mais
tu ne peux pas rester ici, ainsi, dans la rue, sans savoir qui est cet homme.
Le Jeune Prince interrompit mes objections.
-
N’oublie
pas qu’il y a trois jours, moi aussi j’étais au bord d’une route et tu m’as
aidé. Quelle est la différence? Notre aspect? Tu as dit toi-même que nous ne
devons pas nous laisser guider par les apparences. Tu as déjà fait ta bonne
action, maintenant laisse que je puisse faire la mienne. Va avec tes amis qui
t’attendent, moi je peux être plus utile ici.
Et alors il ajouta, comme s’il venait de penser à quelque chose :
-
Viens
demain matin, j’aimerais te saluer.
Et disant cela il descendit de la voiture et alla s’asseoir avec le
vagabond. Voyant que j’étais indécis si partir ou non, résistant à l’idée de le
laisser là, il me fit signe de partir.
Je ne pouvais pas arrêter de penser au Jeune Prince et aux circonstances
dans lesquelles nous nous étions séparés. Les probabilités qu’il pourrait avoir
une conversation rationnelle avec le vagabond étaient minimes, parce quand
quelqu’un décide de prendre un chemin d’autodestruction, c’est très compliqué
de l’en dissuader. Il y avait même la possibilité que l’homme réagisse avec
violence à quelque essai de l’aider. Cependant mon ami était capable de rendre
l’impossible facile, si est-ce qu’il y avait quelque chose d’impossible pour ce
cœur pur et ce sourire transparent. Mais assis là au coin de la rue, avec sa
casquette vers l’arrière, il avait le même aspect de n’importe quel garçon sans
foyer.
Durant la fête, tandis que je partageais la joie de mes amis, l’image du
Jeune Prince se dessina dans ma tête comme une épine qui ne cause plus de
douleur. Cependant, en allant dormir je ne pus faire à moins de comparer mon
lit mou et chaud avec le froid et dur trottoir. Durant un instant j’eus la
tentation d’aller le chercher et je sortis même de la maison, mais quelque
chose me dit que je ne devais pas désobéir à son ordre. J’ouvris la fenêtre.
C’était une agréable nuit de printemps, même si la brise était un peu fraîche. La
faible lumière de la lune palissait à peine l’étoile du matin. En levant les
yeux, je restai bouche ouverte devant le ciel plein d’étoiles de la Patagonie.
Même ceux qui le connaissent se surprendront encore si seulement ils s’arrêtent
et lèvent les yeux…
Chapitre XX
Comme j’avais laissé la fenêtre ouverte pour me sentir plus près de mon jeune ami,
les premières lumières de l’aube me réveillèrent. Je me vêtis rapidement et,
sans déjeuner, je me rendis à l’endroit où nous nous étions laissés.
L’inquiétude que je ressentais
dans la bouche de l’estomac disparut en le voyant parler avec le vagabond,
comme s’ils étaient de vieux amis.
-
Bonjour
– dit-il, tandis qu’il s’approchait pour me saluer, aussi frais que s’il avait
dormi sur un lit de roses.
-
Bonjour
– répondis-je, et pris par une certaine curiosité, je demandai : - Bien,
raconte-moi, quelle est son histoire?
-
Il
s’agit d’une bonne personne, un universitaire de bonne position économique.
Durant un test de routine, ils lui diagnostiquèrent une maladie terminale :
il lui restait à peine deux ou trois mois de vie. Il sortit de l’examen
complètement désespéré et, pour enlever la souffrance à sa famille, il décida
de mettre fin à sa vie. Heureusement il n’eut pas le courage ou plutôt la
lâcheté de le faire, ainsi il commença à marcher, prit le premier train qu’il
trouva et il voyagea jusqu’ici, où décida de renoncer à tout.
Un sourire se dessina sur le visage
du Jeune Prince en voyant ma surprise, preuve palpable qu’une fois de plus,
j’avais mal jugé une personne et sa situation.
Mais il continua alors avec le
récit, sans démontrer que, de nouveau, il m’avait surpris en faute.
-
Je
pris toute la nuit pour le convaincre qu’il doit retourner à la maison et
laisser que sa famille l’entoure de son amour et de ses soins, ce qui est
peut-être une manière de remettre une partie de ce qu’ils ont reçu de lui.
L’amour, même s’il n’est pas éternel, peut être infini quand il s’offre.
-
En
effet – dis-je, ému par cette histoire. – J’ai entendu dire plusieurs fois que
ces derniers moments de la vie peuvent être les plus intenses que toutes les
années antérieures. Je crois que le temps n’est pas nécessairement linéal.
Quelle merveille si nous pouvions vivre chaque jour comme si c’était le
dernier! Combien de choses ferions-nous et combien nous refuserions de faire!
Et en plus, je suis convaincu que la mort vient à nous d’elle-même quand nous
avons appris tout ce que nous sommes venus apprendre en ce monde. – Finalement
je demandai à mon ami - : Et que vas-tu faire maintenant?
-
L’accompagner
de retour à la maison et rester avec lui et avec sa famille tout le temps
qu’ils auront besoin. En plus, il ne faut jamais écarter la possibilité d’un
miracle – ajouta-t-il en souriant. Et avec un clin d’œil, il ajouta - :
Les diagnostiques se trompent parfois, tu sais?
Après cela, il m’embrassa. Je
ressentis un courant électrique recourir mon corps, comme si chacun de mes
nerfs, mes artères net mes cellules se chargeaient d’une énergie renouvelée.
J’eus la sensation d’être pour un moment suspendu dans l’espace. Quand il se
sépara de moi, j’admis, encore ému et lui faisant aussi un clin d’œil :
-
C’est
certain, nous ne devons jamais douter de la possibilité d’un miracle.
Le vagabond semblait lui aussi plein
d’une nouvelle vitalité et son visage sale et triste semblait avoir repris une
expression et bonté et presque prophétique.
Tandis qu’ils s’éloignaient, il me
sembla qu’ils portaient avec eux une nouvelle lumière dans les rues de la ville
encore endormie.
Soudain je commençai à le voir d’une
manière différente. Je senti que c’était le Jeune Prince qui m’avait guidé par
ses questions, de celles dont je connaissais déjà les réponses. C’était moi,
celui qui devait se laisser accabler par les problèmes. Moi, celui qui ne
devait pas se convertir en un fantasme ni en une personne sérieuse. Moi, celui
qui devait sentir plus d’affection pour un animal que pour une machine, celui
qui ne devait pas m’attacher au passé ni au futur, pour vivre dans le présent,
celui qui devait oublier «l’avoir» pour me concentrer sur «l’être». Celui qui
devait laisser de m’engager dans les moyens, pour m’orienter vers les
finalités. Celui qui devait croître dans l’amour pour être heureux.
Mon ami s’était limité à me laisser
découvrir le meilleur de lui pour que je puisse trouver le meilleur en moi.
C’avait été un miracle qui m’avait
intègrement transformé en trois jours. Un de ces prodiges qui arrivent sans que
personne ne les voit, parce que les miracles de l’amour sont aussi immenses que
simples.
Des larmes de bonheur m’assombrirent
la vue. Et alors c’est moi qui dû dire «Merci», malgré que déjà il se trouvait
trop loin pour m’entendre. Cependant, à ce moment précis, il se retourna et
souri. Même à cette distance, l’éclair de cette lumière tellement blanche
m’aveugla et je sus que tout l’univers
souriait avec lui.
ÉPILOGUE
C’était
l’histoire de mon voyage, cher lecteur, et pour cela je me hâte de l’écrire,
pour que tu ne te sentes pas triste.
Je crois que tu seras d’accord
avec moi que la vie est maintenant plus belle et que nous ne devrions pas être
tellement préoccupés, car le Jeune Prince est revenu, et cette fois pour rester
avec nous.
Je ne l’ai pas revu depuis lors.
Mais chaque fois que je souris et que j’ai l’occasion de me montrer aimable
avec une autre personne, ou de faire quelque chose pour elle, je sens comme si
une vague se mettait en mouvement. Et si cette personne que j’ai aidé tend la
main et sourie à une autre, nous devenons une marée qui arrivera partout. Pour
cela, quand je me souviens ou pense au Jeune Prince, je commence une de ces
vagues avec la certitude qu’elle arrivera jusqu’à lui. Et de la même manière,
depuis le matin où je l’ai vu pour la dernière fois, si je suis triste et que
quelqu’un me sourie, je sais que très proche ou très loin de là le Jeune Prince
a sourit.
Parfois, en passant dans un parc
et voyant un groupe d’enfants qui jouent, je me découvre à essayer de le
trouver parmi eux. Mais alors je me souviens de mes propres mots : «Tu ne
dois pas te fermer aux autres pour chercher ton ami». Et je comprends que je ne
dois pas continuer à le chercher, car je peux le découvrir dans les autres avec
les yeux du cœur.
Dans ma vie il y eut de longues
nuits durant lesquelles je cherchais un ami de ville en ville et de frontière
en frontière, jusqu’à ce matin où je le trouvai souriant dans mon cœur…
C’était une belle nuit de
printemps, même si l’air était un peu frais. La pâle lumière de la lune
éclipsait à peine l’étoile du matin… !C’est alors que je compris que je devais
lever les yeux au ciel!
Soudain arriva quelque chose
d’étonnant. Les étoiles semblèrent me sourire d’en haut et comme la brise se
levait, elles sonnèrent comme cinq cent millions de grelots.
Ce livre est dédié :
D’abord à Noëlla, comme sens qu’elle
doit accorder à la vie, in memoriam de
l’anniversaire de naissance.
À Linda (en tant que (future)
juriste aux procès de la vie), qu’elle
tranche la justice en portant en elle « le Petit Prince. »
A Guillaume, Crispie, Stéphane,
Germain,… soyez comme ce petit vaillant
avec innocence de visage et de cœur.
A Jésus, le Christ, la lumière
qui nous guide sur le chemin.
A Antoine de Saint-Exupéry, pour m’avoir
donné la force nécessaire de transmettre l’innocence et la pureté du cœur qu’il
nous recommandât de conserver.
A mes frères, mes chers frères
et sœurs, amis de la famille Ephata et tous les lecteurs, parce qu’en le
partageant avec eux mon bonheur se multiplie.
A nos maîtres difficultés que nous
rencontrons dans le chemin, parce que en
modelant et calmant nos caractères.
Au Jeune Prince (qui est présent en chacun de
nous) pour nous avoir donné une autre
opportunité de le retrouver et de nous
rendre si heureux.
« Ne
soyons jamais des bâtisseurs de mûrs entre les personnes, plutôt des bâtisseurs
de ponts entre les hommes. »
Traduit du portugais en français par
·
Le
P. Clovis
·
Jean-Louis.
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