vendredi 10 mai 2013

Un très bon roman: LE RETOUR DU PETIT PRINCE


 LE RETOUR

DU JEUNE

PRINCE

 

 

A.G. Rommers


                                         

 

 

 

Edition  Panetta

                                             PRÉFACE

 

Si Le Petit Prince est un livre universel, traduit en 180 langues de notre planète, cela se doit que son langage est aussi universel. A la fin de sa riche et courte vie, Antoine de Saint-Exupéry a voulu nous offrir un récit, une espèce de guide de vie pour la jeunesse à travers un voyage initiatique, un peu comme les contes de Voltaire du XVIIIe siècle ont aidé à faire fleurir les idées de liberté et de justice.

Le Petit Prince ne traite pas seulement de liberté et de justice, mais de la vie elle-même. Sur le sens qu’on doit donner à la vie, sur la responsabilité, l’amour, l’amitié. Il est le symbole des liens qui surgissent à chaque page, la relation entre les hommes qui peuplent la Terre, le lien avec la planète et avec tous les éléments. Saint-Exupéry nous parle aussi de la nécessité de conserver une âme d’enfant pour rester sensible à la poésie, à la beauté et à la pureté. Ce Petit Prince n’est rien d’autre que Saint-Exupéry lui-même. C’est son âme d’enfant qui grandit sans jamais devenir réellement adulte, vivant au ciel et dans les étoiles en recherche de la terre des hommes, des hommes responsables et uniques. En partant, il laissa un trésor et il nous demanda avec véhémence, au denier paragraphe de son livre : "Ne me laissez pas tellement triste. Écrivez-moi tout de suite, dites-moi que le Petit Prince est revenu…".

Alexandre Roemmers a conservé son âme d’enfant, et, encore jeune en Patagonie, ayant rencontré ce Petit Prince, il veut nous parler de lui. Dans son œuvre, il attire notre attention sur la poésie et l’essence de son message. Pourquoi en Patagonie, en Argentine, se demanderont les lecteurs? Mes nombreux voyages me permirent de découvrir comment  "Saint-Ex" est aimé et connu dans cette région. Dans chaque village où Aéropostal faisait escale, on m’a montré les hôtels où il vivait, les restaurants qu’il fréquentait, en m’indiquant sa table et ses plats préférés, parfois le visage d’une amie… et même un jour, l’endroit où il avait écrit Le Petit Prince…. Même si en réalité il l’écrivit douze ans ensuite à New-York.

Alexandre Roemmers nous offre sa compréhension du Petit Prince, car il put retenir les enseignements de ce livre, de tous les livres, au sujet du cheminement de la spiritualité. Ce livre est un vrai lien exupérien avec les autres.

Frédéric D’Agay

Ex président de la Fondation Antoine

de Saint-Exupéry et neveu de l’écrivain

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                          QUELQUES MOTS

COMME INTRODUCTION

 

Dans un monde dévasté par la guerre qui perdait vite l’innocence et la joie de vivre, un intrépide aviateur français, Antoine de Saint-Exupéry, écrivit un livre Le Petit Prince, qui n’aurait pas tardé à se convertir en symbole universel de ces valeurs perdues.

                La tristesse et la désillusion de Saint-Exupéry, face à une époque qui semblait oublier la simplicité du cœur et la spiritualité essentielle de l’homme, furent probablement, plus que toute rafale ennemie, les causes de sa subite disparition durant une mission de reconnaissance sur la Méditerranée.

                Comme beaucoup d’autres qui on lu Le Petit Prince, j’ai partagé la pureté de son message et je me suis attristé avec Saint-Exupéry quand cet enfant, qui était arrivé au plus profond de mon cœur, se vit obligé à retourner sur son astéroïde.

                Je compris, que quelque temps plus tard, que la haine, l’incompréhension, le manque de solidarité, la vision matérialiste de l’existence et tant d’autres menaces l’auraient empêché de venir sur notre planète.

                Plusieurs fois je me suis demandé, peut-être comme toi, que serait devenu cet enfant tellement spécial s’il avait continué à vivre parmi nous. Comment aurait été son adolescence? Comment aurait-il pu conserver intacte la fraîcheur de son cœur?

                Cela m’a demandé plusieurs années pour trouver des réponses à ces questions et il est possible que les réponses trouvées ne soient valides que pour moi. Mais aussi elles peuvent servir – et c’est ce que j’espère – pour ouvrir en partie le chemin à l’enfant que chacun de nous porte dans son cœur.

                Pour cela j’ose t’écrire, mon cher lecteur, au début d’un nouveau siècle et d’un nouveau millénaire, avec une vision plus positive de notre temps, pour que tu ne sois pas si triste.

                Je regrette de ne pas pouvoir satisfaire ta curiosité si tu attendais une photo; depuis plusieurs années je n’utilise pas de machine photographique ou de vidéos durant mes voyages, spécialement depuis que j’ai noté que mes amis se concentraient tellement dans les images, qu’ils ne prêtaient pas attention à mes récits. Cependant, j’ai voulu inclure quelques dessins, pour que tu ne considères pas ce récit trop sérieux. Après plusieurs essais qui n’auraient satisfait ni un adulte, ni un enfant, je me décidai de demander l’aide d’une bonne amie Laurie Hasting, pour récréer quelques uns des moments dont je me rappelle avec plus d’intensité. Ne permets pas que ces dessins affectent ton imagination car Laurie n’est pas allé en Patagonie et n’a pas connu le mystérieux jeune de ce récit, mais ils t’aideront peut-être   à voir à travers de mes mots comment le Petit Prince a pu voir le mouton à travers la boite…

                J’espère que tu excuses aussi, cher lecteur, l’insertion de pensées et de réflexions qui surgirent au moment des faits et dont j’ai voulu respecter l’existence en les transcrivant.

                Après avoir dit tout cela, je vais maintenant te raconter l’histoire telle qu’elle s’est déroulée.

                Si tu te sens seul, si ton cœur est pur, si tes yeux gardent encore l’étonnement d’un enfant, tu découvriras peut-être en lisant ces pages que les étoiles te sourient une autre fois et que tu peux les entendre comme si elles étaient cinq cents millions de grelots.

 

 

Chapitre 1

 

Je voyageais seul dans ma voiture sur une route solitaire de la Patagonie, terre qui doit son nom à une tribu d’indigènes qui, supposément, se distinguaient pour avoir les pieds disproportionnellement grands. Quand tout à coup je vis, sur le bord de la route, quelque chose d’étrange aspect. Instinctivement je ralentis la vitesse et avec surprise, je découvris qu’une mèche de cheveux blonds dépassant une mante bleue semblait recouvrir une personne. J’arrêtai la voiture et, en sortant, je restai totalement surpris. Là, à des centaines de kilomètres du plus proche village, au milieu d’une étendue où on ne pouvait voir ni une seule maison, ni un mur, ni un arbre, un jeune dormait paisiblement sans la moindre préoccupation sur son innocent visage.

                Ce que j’avais pris par erreur être une mante était en réalité une grande cape bleue avec des épaulettes, qui par moment laissait  son intérieur rouge foncé, d’où sortaient des pantalons blancs, comme ceux qu’utilisent les cavaliers, entrés dans deux éclatantes bottes de cuir noir.

                L’ensemble donnait au jeune un aspect de prince, qui est bizarre dans ce milieu désertique. Le foulard de couleur jaune qui flottait avec la brise du printemps se confondait parfois avec ses cheveux, ce qui lui donnait un air mélancolique et rêveur.

                Je restai là debout un moment, perplexe devant ce qui, pour moi, représentait un mystère inexplicable. C’était comme si même le vent qui descendait des montagnes en formant de grands tourbillons, le protégeait de sa poussière.

                Je compris tout de suite que je ne pouvais pas le laisser là endormi, dans une telle solitude, sans eau ni nourriture. Même si son aspect n’inspirait aucune crainte, je dus vaincre une certaine résistance pour m’approcher de cet inconnu. Avec une certaine difficulté, je le pris dans mes bras et le déposai sur le siège près de moi dans la voiture.

                Je fus tellement surpris par le fait qu’il ne s’était pas réveillé, que pour un moment je craignis qu’il puisse être mort. Mais un faible et pourtant constant pouls me révéla le contraire. En laissant tomber sa faible main sur le siège, je pensai que si je n’avais  pas été tellement influencé par les images d’êtres ailés, j’aurais cru me trouver en présence d’un ange descendu sur Terre. Ensuite je me rendis compte que le jeune garçon était épuisé jusqu’à la limite de ses forces.

                Quand je repris la route, je pensai un long moment comment les adultes, avec leurs avertissements pour nous protéger, nous éloignent des autres, au point que toucher quelqu’un ou le regarder dans les yeux produit une gênante appréhension.

- J’ai soif - dit soudainement le garçon, et sa voix me fit sursauter, parce que j’avais presque oublié sa présence. Même s’il l’avait dit à voix très basse, le son de sa voix possédait la transparence de l’eau qu’il demandait.

                Dans de longs voyages comme celui-ci, qui pouvaient durer trois jours, j’apportais toujours dans la voiture des boissons et quelques aliments, pour ne devoir m’arrêter que pour le carburant. Je lui donnai une bouteille, un verre en plastic, un sandwich de viande et de tomate enveloppé d’aluminium. Il mangea et but sans dire un mot. Durant ce temps, ma tête se remplissait de questions : «D’où viens-tu?», «Comment es-tu arrivé ici ?», «Qu’est-ce que tu faisais là, couché dans le caniveau?», «Ta famille?», «Où sont-ils?», et cetera, et cetera. De par ma nature anxieuse, pleine de curiosité et de désir d’aider, je me surprends encore aujourd’hui d’avoir été capable de rester en silence durant ces dix interminables minutes, en attendant que le jeune reprenne des forces. Lui, de son côté, but et mangea comme si c’était la chose la plus normale du monde qu’ayant été abandonné dans un milieu semi désertique, apparaisse quelqu’un pour lui offrir à boire et un sandwich de viande.

- Merci - dit-il en terminant, avant de s’appuyer à la fenêtre, comme si ce mot suffisait pour dissiper tous mes doutes.

                Après un moment, je me rendis compte que je ne lui avais même pas demandé où il allait. Comme je l’avais trouvé du côté droit de la route, j’avais supposé qu’il se dirigeait vers le sud, mais en réalité le plus probable était qu’il voulait arriver à la capitale, qui se trouvait vers le nord.

                Elle est curieuse la facilité avec laquelle nous assumons que les autres doivent aller dans la même direction que nous.

                Quand je le regardai de nouveau, il était trop tard. D’autres rêves l’avaient amené loin de là.

 

Chapitre II

 

Le réveiller? Non, nous devions continuer; le nord ou le sud n’avaient pas d’importance.

                J’accélérai. Cette fois-ci je ne perdrais plus de temps à me demander quelle direction prendre.

                Je ruminais ces pensées quand, après un bon moment, je senti tout d’un coup des yeux bleus qui m’observaient avec curiosité.

- Salut - dis-je tandis que je me retournais pour un instant vers ce mystérieux jeune.

                -Avec quel étrange appareil sommes-nous en train de voyager? –  demanda-t-il en promenant son regard à l’intérieur de l’auto – Où sont les ailes?

- Tu te réfères à la voiture?

- Voiture? Elle ne peut pas te soulever de terre?

- Non – répondis-je, avec mon orgueil un peu blessé.

- Et elle ne peut pas sortir de ces franges grises? Demanda-t-il en indiquant avec ses doigts le pare-brise, tandis que je faisais face à mes limitations.

- Cette frange s’appelle route – lui expliquai-je tandis que je pensais : "D’où est sorti ce jeune garçon? "

– Et si nous nous écartions d’elle à cette vitesse, nous nous tuerions.

- Elles sont toujours aussi tyranniques les routes? Qui les inventa?

- L’homme.

Je trouvais très compliqué de répondre à des questions tellement simples. Qui était ce jeune radiant d’innocence qui secouait comme un tremblement de terre le système de croyances dont j’avais hérité?

- D’où viens-tu? Comment es-tu arrivé ici? Lui demandai-je, en trouvant dans son regard quelque chose qui m’était étrangement familier.

- Il y a beaucoup de route sur la Terre? – demanda-t-il sans faire le moindre cas de mes paroles.

- Oui, innombrables.

- J’ai été dans un endroit où il n’y avait pas de routes – dit le mystérieux jeune.

- Mais là les gens se perdraient… - dis-je, tandis que grandissait ma curiosité pour savoir qui il était et d’où il venait.

- Quand il n’y a pas de route sur la Terre – continua-t-il, imperturbable – les gens ne pensent pas à chercher une orientation dans le ciel? – Et il regarda en haut à travers la fenêtre.

- La nuit – répondis-je – il est possible se guider sur les étoiles. Mais quand la lumière est très intense, on courrait le risque de devenir aveugle.

- Ah! – s’exclama le jeune –. Les aveugles voient ce que personne n’ose voir. Ils doivent être les hommes les plus courageux de cette planète.

                Je ne sus pas répondre et le silence s’empara de nous tandis que la voiture continuait s route sur la tyrannique frange grise.

Chapitre III

 

Après un temps, supposant qu’il n’avait pas répondu à cause de la timidité, je décidai insister :

-          Qu’est-ce qui t’es arrivé? Tu peux me le raconter. Si tu as besoin d’aide, je te la donnerai.

Cependant, le jeune resta silencieux.

- Tu peux avoir confiance en moi. Dis-moi comment tu t’appelles et quels sont tes problèmes – dis-je pour ne pas me sentir vaincu.

- Quel problème… répondit-il à la fin.

                J’essayai de faciliter les choses avec un sourire, pour qu’il se sente plus commode. Si tu es apparu couché sur la route, dans un endroit désert, il est évident que tu aies quelque problème.

                Après un moment de réflexion, il me surprit avec une question :

-          Qu’est-ce que c’est exactement un problème?

                Je souris, croyant qu’il l’avait dit avec ironie.

- Qu’est-ce que c’est un problème? – insista-t-il, et je me rendis compte qu’il attendait une réponse. Encore surpris par sa réaction, je pensai que je n’avais peut-être pas compris la question.

- Problem, problema… -dis-je en d’autres langues, même si le mot se prononce plus ou moins pareil dans toutes les langues.

-J’ai compris le mot – me dit-il – Mais est-ce que tu pourrais m’expliquer ce qu’il signifie?

                J’essayé en vain de me souvenir de la définition du dictionnaire, surpris par le fait que, dans un monde plein de problèmes, un adolescent n’aurait pas encore compris le concept. A la fin, voyant que je ne pouvais pas échapper de son regard pénétrant, j’essayé de construire moi-même une explication.

- Un problème c’est comme une porte dont tu n’as pas la clé.

- Et que fais-tu quand tu te trouves avec un problème? – voulut savoir le jeune, chaque fois plus intéressé par la conversation, même si sa vue restait perdue à distance.

- Bien, la première chose est de voir si le problème est réellement tien, s’il empêche ton propre chemin. Cela est d’importance vitale – lui expliquai-je – parce qu’il il a beaucoup de gens qui se mettent dans les affaires des autres même si on ne leur a pas demandé de l’aide. Ils perdent leur temps, épuisent leurs forces et ne laissent pas les autres trouver leurs propres solutions.

                Je notai  comment il approuvait face à cette évidente vérité, tellement difficile à accepter par beaucoup d’adultes.

-          Et si c’est ton problème? – continua-t-il, en se tournant ver moi.

-            Tu dois alors trouver la clé appropriée et ensuite l’introduire correctement dans la serrure.

-            Ça semble simple – conclut-il avec un geste éloquent.

-            Ne le croit pas – répondis-je – il y en a qui ne trouvent pas la clé, et non par manque d’imagination, mais parce qu’ils ne veulent pas essayer deux ou trois fois les clés qu’ils ont ou parfois ils n’essaient même pas. Ils veulent qu’on leur mette la clé dans la main ou, encore pire, que quelqu’un vienne leur ouvrir la porte.

-            Et est-ce que tous sont capables d’ouvrir la porte?

-            Si tu es convaincu que tu peux le faire, le plus probable est qui tu y arriveras. Mais si tu crois que tu ne peux pas, c’est presque sûr que tu n’y arriveras pas.

-            Et qu’est-ce qui arrive à ceux qui n’arrivent pas à ouvrir la porte? Continua à de mander le jeune.

-            Ils doivent essayer jusqu’à ce qu’ils y arrivent, sinon ils ne seront jamais ce qu’ils pourraient être.

Et alors comme pensant à haute voix, il ajouta :

-                     Ca ne sert à rien de s’énerver, de lutter contre la porte et nous faire du mal, en lui donnant la faute de tous nos maux. Nous ne devons pas non plus nous résigner à vivre de ce côté de la porte, en songeant à ce qu’il pourrait y avoir de l’autre côté.

-                     Et est-ce qu’il y a quelque chose qui justifie de ne pas ouvrir cette porte? – insista le garçon, comme s’il ne terminait pas d’accepter mon explication.

-                     Tout le contraire! – dis-je – L’homme a développé une énorme habileté pour se justifier. Il explique son incapacité à cause du manque d’affection, d’éducation, ou à cause des souffrances qu’il a dû supporter. Il peut arriver à se convaincre que c’est mieux de ne pas franchir le mur, car de l’autre côté il pourrait y avoir des dangers et des menaces. Ou il peut déclarer avec cynisme que ce qu’il pourrait y trouver ne l’intéresse pas… Mais ce ne sont que des manières de cacher la douleur de son échec. D’autant plus de temps qu’il restera à faire face à l’obstacle qui se trouve sur son chemin, d’autant plus croîtront les difficultés et plus il deviendra petit; ou pour le dire d’une autre manière, plus de temps tu traînes un problème avec toi, plus il devient lourd…

Je sentis que la résistance du jeune diminuait, mais son persistant regard de tristesse et la résignation de son visage m’animèrent à continuer :

-                     Tout cela conduit au malheur. Le cheminement de la croissance spirituelle et le bonheur exigent le courage de change et de croître. Nous devons être disposés à abandonner la commodité de notre position et faire face aux problèmes plusieurs fois, jusqu’à  avoir la  satisfaction de les résoudre pour pouvoir ouvrir cette porte et avancer.

-                     Et comment je ferai pour trouver la bonne clé? – continua-t-il à demander sans me donner le temps de trouver la bonne analogie entre le problème et la porte, qu’il n’était évidemment pas en condition d’apprécier.

En ce moment, je dus lever le pied de l’accélérateur un instant, car j’avais rejoint un camion  plein de bétail. En regardant l’indicateur du carburant, je pensai qu’il n’y avait peut-être pas assez pour arriver à la prochaine station service qui se trouvait assez loin. Contre mon désir, je me vis obligé à réduire la vitesse pour économiser. Je me consolai en pensant que le camion venant derrière moi pourrait me dépanner si nécessaire. Je le doublai donc  en saluant le conducteur d’un ample sourire. Il me répondit amicalement en klaxonnant légèrement. Encore aujourd’hui, en Patagonie, la rencontre d’un autre être humain est motif de joie, et ce type de salutation est devenu une sympathique coutume.

-                     Comment est-ce que je peux trouver la bonne clé? - insista le jeune, étranger à mes réflexions, lui qui ne renonçait jamais à une question une fois posée.

-                     Bien, exactement ainsi! – répondis-je, en essayant de cacher un faible ennui dû à la fatigue de la route - .  C’est-à-dire que si tu continues à demander les choses, tu finiras par trouver la réponse. Et si tu persévères à essayer toutes les clés que tu as, enfin tu pourras ouvrir la porte.

Et je pensais en moi-même : "Et si tu continues à répéter tes questions durant deux ou rois jours, tu finiras par me rendre complètement fou", ce qu’une petite voix dans mon intérieur traduisit : "complètement sage".


 

Chapitre IV

 

Comme je l’avais encouragé à continuer de demander, rien n’empêchait le garçon à continuer de le faire jusqu’à la fin. Comme la route était longue et monotone, je décidai donc que cette spéciale conversation pouvait se convertir en une source de diversion si, au lieu de considérer les questions comme un examen, je les transformais en un jeu de génie. Et curieusement, ce changement d’appréciation fit disparaître ma fatigue comme par art de magie, et je me trouvai attentif et prêt à profiter de mon imagination.

-                     Tu as dit – continua le compagnon – qu’il ne suffit pas d’avoir la clé, mais qu’il faut aussi trouver la bonne manière de l’utiliser. Comment est-ce que je trouverai cette manière?

-                     Oui, c’est ainsi – dis-je avec de nouvelles énergies, en renforçant mes paroles par des gestes. – La meilleure manière de résoudre le problème est de ne pas le considérer comme un problème, mais seulement comme une difficulté ou un défi. Logiquement, l’obstacle restera le même, mais vu maintenant de manière positive, il aiguise l’intelligence et fait place à de futures solutions. Tu dois rendre grâce à la Providence de trouver des difficultés de temps en temps.

-                     Remercier pour les difficultés? – demanda-t-il, incrédule.

-                     Oui, parce que cela te permet de croître et de progresse sur le chemin de la perfection. Comme le vent qui fortifie les racines pour que les arbres puissent mieux se soutenir. Si tu contemples les obstacles de ta vie de cette manière favorable, tu perdras moins de temps à te lamenter et tu auras une vie plus remplie.

Voyant que le jeune me prêtait attention, je continuai sans me détenir :

-                     Une autre chose que tu peux faire, quand la difficulté a été identifiée, c’est de la reconnaître, l’observer sous différents points de vue ou peut-être la répartir en difficultés plus simple.

Le jeune accepta en pensant et dit :

-          J’ai dû résoudre en parties une importante difficulté.

-          Laquelle? – demandais-je avec une évidente curiosité.

-                     Il m’aurait été impossible d’arriver sur Terre à mon premier essai… - Je dus faire un effort pour dissimuler ma surprise et le laisser continuer - . Pour cela j’ai été obligé de répartir la distance et faire sept escales en autant d’astéroïdes.

Je décidai que, même s’il semblait avoir perdu sa sagesse, mon compagnon possédait une prodigieuse imagination.

Après un silence durant lequel il semblait plongé dans ses souvenirs, il ajouta :

-                     Dans un voyage je rencontrai quelqu’un qui avait un problème pour lequel il n’y avait pas de solution.

-                     Ah, oui? – demandai-je distraitement.

-                     C’était un homme qui buvait pour oublier.

-                     Pour oublier quoi? – répondis-je automatiquement.

-                     Qu’il était plein de honte et de culpabilité.

-                     Pourquoi? – je voulus savoir.

-                     Parce qu’il buvait – répondit le jeune, en fermant le cercle qui le tenait perplexe.

-                     Le sentiment de culpabilité – dis-je – nous paralyse et nous empêche de résoudre beaucoup de problèmes. Assumer la responsabilité fera disparaître cette sensation et nous permettra d’accomplir des actions plus positives, comme compenser les torts causés, dans la mesure du possible. Ou, simplement, continuer de l’avant et ne pas répéter le comportement qui nous fait sentir coupables.

-                     Mais si tu as fait quelque chose de mal – demanda-t-il – comment peux-tu éviter la faute?

-                     La faute n’aida pas cet homme affecté à l’alcool. C’est une punition inutile qui lui enlève ses énergies et il y persévère parce qu’il ne s’aime plus. Tu ne lui as pas demandé pour quelle raison il commença à boire?

-                     Non… dit le jeune en hésitant - , et je sentis finalement que je pouvais sourire, sachant qu’il serait plus facile trouver la tombe d’un pharaon inconnu qu’une demande de ce garçon n’avait pas encore formulée.

-                     Solitude, manque d’amour, frustration pour quelque chose…  Je ne connais pas quelle aura été la cause, mais sans doute l’addiction à la boisson n’est rien d’autre qu’une conséquence. Tu as ici un émouvant exemple des effets destructifs que comporte le fait de ne pas surmonter les difficultés.

-                     Quel ingénu j’ai été de le juger comme je l’ai fait! – commenta le jeune repenti -. Mon affection aurait peut-être été la clé pour ouvrir la porte qu’il n’a jamais pu franchir.

-                     Nos vies seraient beaucoup plus positives – ajoutais-je – si nous nous arrêtions de nous juger nous-mêmes et les autres, si au lieu de nous lamenter pour toute sorte d’inconvénients et de nous torturer en nous demandant si nous nous méritons les difficultés ou si nous aurions pu les éviter, si nous appliquions notre capacité pour résoudre les problèmes et accepter ce qui ne peut pas changer. Comme dit un antique proverbe oriental : il

-                      vaut mieux allumer une allumette que de continuer à maudire l’obscurité.

Le garçon m’écoutait avec intérêt, je continuai à penser à haute voix.

-                     Parfois nous découvrons qu’en changeant de point de vue, l’obstacle disparaît, parce que souvent l’unique difficulté est au-dedans de nous et c’est notre manière inflexible et myope de voir les choses.

-                     La difficulté est au-dedans de nous? – répéta-t-il avec incrédulité tandis qu’il baissait la vue vers son nombril.

-                     La plupart des fois oui – répondis-je -. Mais aussi la solution. Le monde des idées  et les émotions entrainent derrière eux le monde matériel. De la manière dont tu imagines les choses, c’est probablement ainsi qu’elles se passeront. Jusqu’à un certain point, tu crées toi-même la réalité qui t’entoure, comme si tu étais un petit dieu de ton entourage.

-                     Comment cela est-il possible? La réalité sur cette planète n’est-elle pas une et égale pour tous les hommes? – demanda le jeune surpris.

-                     La réalité totale est peut-être unique en elle-même – dis-je – mais nous percevons seulement la partie que notre conscience enregistre selon la capacité de ses sens et son degré d’évolution. En filtrant la totale réalité peu d’idées, de connaissances et de personnes avec lesquelles nous sommes d’accord ou en désaccord, en vérité nous réfléchissons  de quelque manière notre propre image.

-                     Tu veux dire que les personnes n’arrivent jamais à connaître la réalité, mais seulement elles-mêmes à travers cette réalité.

-                     Cela devient assez évident quand tu observes les vastes limites de nos sens, démontrées par des machines capables de capter les ondes de fréquences tellement hautes ou tellement basses que nos oreilles ne peuvent pas les entendre, ou microscopes et télescopes qui multiplient notre capacité visuelle. Cependant nous ne comprenons pas toujours avec la même clarté que l’observation du notre propre milieu et des choses qui nous arrivent est une des meilleures méthodes pour nous connaître nous-mêmes, parce que tous ce qui nous affecte du monde qui nous entoure démontre que nous ne sommes pas harmonisés avec le principe  analogue en notre intérieur.

-                     Pourquoi dis-tu les choses de manière tellement compliquée? – dit-il.

-                     C’est comme si l’avarice d’une personne avare pouvait seulement affecter une autre personne avare aussi, parce qu’une personne généreuse la considérerait un simple fait, sans s’en préoccuper excessivement – dis-je en comprenant que mon compagnon de voyage commençait à comprendre -. De cette manière tous ceux qui luttent contre les voisins et parents méchants, contre l’injustice de leurs chefs, contre la société et contre beaucoup d’autres choses, qu’ils aient raison ou non, luttent en réalité contre eux-mêmes – terminai-je pour compléter mon idée.

-                     Contre qui pourraient-ils gagner dans une escrime devant un miroir? – demanda avec étonnement le jeune.

-                     Le problème de ces personnes est qu’elles ne comprennent pas que celui qui est en conflit avec son milieu est condamné à l’échec. La plus grande partie de la souffrance humaine dérive de la résistance aux circonstances qui nous entourent et des frictions entre les être humains et les lois du monde. L’homme sage est en harmonie avec tout ce qui existe. Il contemple la réalité et se rend compte que tout ce qui existe, que ça lui plaise ou non, est comme ce doit être. Il sait en plus qu’avant d’améliorer quelque chose dans le monde, il doit beaucoup à améliorer en lui-même.

-                     Est-ce que tout ce qui existe est bon par le seul fait d’exister? Pourquoi compliques-tu tellement les choses? S’il te plaît, donne-moi un exemple que je peux comprendre – demanda mon jeune compagnon.

-                     Quand tu pousse sur un mur avec force – dis-je – tu peux sentir que ce mur résiste avec la même force. Si tu augmente la pression, le mur aussi résistera avec plus de force. La solution est d’enlever les mains du mur et la résistance disparaîtra par elle-même. Celui qui reconnaît le droit du mur à exister n’a plus besoin de le pousser et ne se voit pas non plus affecté par son existence.

-                     Ça c’est très bien – approuva-t-il – mais si c’est vrai que nous connaissons seulement une partie de la réalité, chaque personne vit dans son propre monde et il y a autant de mondes que de personnes.

-                     Il te serait peut-être plus facile de l’imaginer comme les pièces d’un casse-tête qui, entre toutes, recréent une réalité plus grande que chacune d’elles séparément. Le plus merveilleux est que chaque personne est capable de changer et de transformer le monde selon ses propres perceptions, sans lutter et sans l’intervention de pouvoirs externes.

-                     Maintenant je comprends ce que tu veux dire. Si je vois une figure désagréable dans le miroir, la seule chose que je dois faire est de sourire.

-                     Exactement – dis-je – et de la même manière, si tu as un voisin agressif, essais toi d’être plus aimable. Si tu veux un bon fils, commence par être un bon père, ou vice-versa. Et la même chose s’applique aux époux,  aux épouses, aux chefs, aux employés… En réalité, il y a une seule manière de changer le monde, et c’est de changer soi-même.

 

 

Chapitre V

 

Durant un moment nous sommes restés tous les deux pensifs, en contemplant l’immensité du paysage patagonique. Un vent incessant caressait les cônes tronqués de montagnes, sans offrir plus que de brefs souffles sur la rase épaisseur. Au loin, sur un côté tapissé de végétation, la langue rouge des  baies s’ouvrait un chemin vers la vallée. J’eux une idée étrange et je l’exprimai à haute voix :

-                     Cet univers a peut-être été créé à l’image et la ressemblance d’un esprit supérieur, pour se connaître et faire sa propre expérience. La pensée ne sembla pas surprendre le garçon, qui demanda tout de suite :

-                     S.il en était ainsi, que devraient faire les habitants de cette planète? Sont-ils libres ou sont-ils soumis comme toi, à la route?

-                     D’après mon point de vue – répondis-je – vivre est apprendre. Tout ce qui arrive a une signification pour celui qui le vit. Plus se développe notre conscience, plus facilement nous comprenons la signification inhérentes aux choses qui nous arrivent. Parfois la douleur et la maladie que nous repoussons sont ce qui peut nous donner une plus grande richesse spirituelle. Pour cela, quelle que soit ton sort, tu devrais être reconnaissant envers la vie qui te donne cette opportunité d’avancer. Le destin trouve toujours la manière de nous faire apprendre ce à quoi nous résistons le plus, ce que nous voulons le moins accepter.

-                     Qu’est-ce que le destin? Il semble un maître très sévère… - dit le jeune.

-                     C’est le chemin de chaque personne…

-                     Est-il possible de le changer? – demanda-t-il plus confus.

-                     Oui – répondis-je laconiquement, tout en sachant que les bibliothèques de la Terre contiennent des milliers de volumes où on essaye en vain de trouver une réponse catégorique à cette question.

 

                Comme le jeune continua à me regarder perplexe, je décidai de recourir à une image.

-                     Pense que tu es un fleuve qui doit avancer inexorablement. Tu décides de sonder les montagnes pour trouver le passage qui t’offre le moins de résistance. Les difficultés sont comme les pierres que tu rencontres  sur le chemin. Si tu les traînes avec toi, elles finiront par former une digue qui arrêtera ta marche. Mais si tu passe par dessus une à une à mesure qu’elles apparaissent, ton courant sera constant et tes eaux cristallines, comme si la friction sur chaque pierre augmente sa pureté. Par moment tu peux te sentir coupable et indigne de cette transparence et donc tu chercheras la manière de salir tes eaux. Tu deviendras peut-être paresseux et tu resteras dans les plaines, jusqu’à perdre ton cours dans la vallée. Il se peut que tu deviennes trop intrépide et que tu tombes dans une descente abrupte en formant une cascade, ou que tu entres dans un torrent tortueux et que tu finisses par te perdre. Il se peut que ton âme s’endurcisse jusqu’à devenir de la glace, ou que tu laisses s’éteindre ta fraîche caresse dans les mirages du désert…

-                     Si j’étais un fleuve, je n’aimerais pas me congeler ni mourir dans le désert – confessa-t-il.

-                     Donc, cultive la pureté et tu seras transparent; imagine-toi généreux et tu fertiliseras ton milieu, renouvelle-toi et ta fraîcheur calmera la soif partout où tu passeras, aie confiance en tes idéaux et tu inspireras les autres, prend conscience de ton être et tu réveilleras les autres. Vis avec un but et tu réaliseras ton destin.

J’arrêtai de parler et, dans le silence, nos regards s’étendirent sur les plaines agrestes, montant lentement vers les fantasmes bleus de la cordillère.

 

Chapitre VI

 

Le jeune paraissait enchanté par l’image du fleuve et il resta tranquille dans ses propres pensées.

Vite je me rendis compte que depuis plusieurs heures je conduisais avec un inconnu au côté de moi (oui, un inconnu agréable, mais un inconnu enfin) sans savoir absolument rien de lui. Même si je désirais en savoir plus au sujet de ce jeune spécial, l’intuition me disait que les révélations viendraient par elles-mêmes et plus rapidement, si je n’essayais pas de les forcer. Parfois les personnes sont comme les huîtres : la seule chose que nous devons faire est attendre qu’elles nous présentent la perle qu’elles portent à l’intérieur.

Cependant, ni même un maître en art ésotérique de l’imprédictible aurait pu anticiper le demande qui arriva en ce moment à mes oreilles :

-          Est-ce que les moutons ont aussi des problèmes?

-          Que dis-tu?

-                     Est-ce que les moutons ont aussi des problèmes? – répéta placidement le jeune, comme si j’étais une de ces personnes à qui ont doit dire les choses deux fois pour qu’elles les comprennent.

Je rendis grâce à Dieu pour le peu de carburant qui me restait ce qui m’obligeait à réduire la vitesse, car une telle question aurait pu nous sortir du chemin. Il me suffit d’un regard pour me rendre compte qu’il l’avait demandé sérieusement. Déconcerté, je répondis en toute franchise :

-                     Sincèrement, je ne le sais pas. Je suppose que pour être sûr de cela tu devrais être un mouton, ne te semple-t-il pas?

A ma surprise, le jeune approuva et sembla rester totalement satisfait, sinon pour la logique de ma réponse, au moins pour partager son temps avec un adulte capable de reconnaître son ignorance. Donc il ajouta :

-                     Ce que tu veux dire c’est que pour connaître les problèmes d’une fleur tu devrais être une fleur, n’est-ce pas?

Mais moi je n’étais pas disposé à passé tout mon temps sur la défensive, espérant las suivante surprise de mon adversaire. C’était une splendide opportunité pour lancer une forte contrattaque.

-                     Tu te trompes, mon ami – répliquai-je, passant à l’offensive – Tu n’as pas besoin d’être une fleur pour comprendre que les fleurs ont des problèmes : elles sont trop belles et inoffensives. Certaines ont des épines pour se protéger de qui,  attiré par leur beauté désire les retirer de la plante et les mettre dans un pot.

Il me regarda avec horreur. Je crus qu’il allait s’évanouir, mais il se reprit et réussit à dire :

-                     Et les épines peuvent les protéger? – son regard suppliait une réponse affirmative, mai  s moi, enorgueilli par ma despotique surestimation de la vérité, je continuai implacable; après tout, ce n’était qu’un jeu.

-                     Non – répondis-je – Les épines n’arrivent à les protéger. C’est leur problème.

L’expression du visage me fit comprendre que, pour mon étrange compagnon, cela n’était aucun jeu. Plus tard je découvrirais avec tristesse que, pour lui, c’était une question de vie ou de mort en relation avec une amie très chère.

Parfois, sans nous en rendre compte, nous les adultes, nous jouons avec les très profonds sentiments des enfants et nous détruisons des choses qui ont beaucoup plus de valeur que n’importe quelles qu’ils peuvent arriver à rompre.

Ça ne servait à rien de dire que les fleurs avaient réussi à survivre durant des milliers d’année et que même leur nature était préparée pour les supporter. Ce n’était pas ça qui préoccupait le garçon. Ce qu’il voulait sauver c’était une fleur unique, et quand une fleur est unique, toutes les statistiques et les livres de jardinage du monde n’apportent pas de consolation. Comme s’il pensait à haute voix, il ajouta :

-                     Qui sait si elles renonçaient à leur beauté, si elles se cachaient, si elles n’auraient pas de problèmes… mais alors elles ne seraient plus des fleurs. – Et  il termina : Elles ont besoin de notre admiration pour être heureuses. La vanité, ça c’est leur problème.

En ce moment, revint à ses yeux l’expression de tristesse que j’avais vue auparavant, et qui avait disparue oubliée par sa curiosité.

-                     De toute manière, les problèmes des moutons et des fleurs ne me dérangent plus.

                Seulement plus tard j’aurais compris à quoi il se référait. Après une pause, il continua :

-                     Je cherche quelqu’un qu’il y a longtemps que je n’ai pas vu; il te ressemble un peu, mais il a une machine qui vole.

-          Un avion? – demandais-je un peu confondu.

-          Oui, ça, un avion.

-                     Et où vit-il? - Voulus-je savoir avec l’intention de l’aider car je savais qu’il y avait plusieurs aéroclubs de la zone que j’avais vu signalés sur la carte.

-                     Je ne sais pas – répondit-il avec tristesse. Et il continua à réfléchir; il ne savait pas que les personnes vivaient tellement éloignées l’une de l’autre.

En voyant la surprise de mon visage, il expliqua :

-          La Terre est très grande, tu sais? Et ma planète très petite.

-                     Que penses-tu faire pour le trouver? – demandais-je, tandis que j’activais la partie de mon cerveau où s’entreposent les nombreux romans de mystère lus durant mon adolescence. Mais sa réponse aurait déconcerté Hercules Poirot lui-même.

-                     Il m’a fait cadeau d’étoiles qui rient – dit-il sur un ton nostalgique. Pour un instant il fut pris d’émotion et j’observai l’humidité dans ses yeux.

Ce fut en ce moment, en essayant d’imagine la figure de l’aviateur à qui souriaient les étoiles, que je me rendis compte qui était mon compagnon. Je compris de qui il s’agissait. C’est clair! Le mouton, la fleur, la cape bleue… J’aurais dû l’avoir reconnu dès le début, mais j’étais trop absorbé dans ma propre et petite planète.

 

Chapitre VII

 

A ce même instant, comme si elle venait à notre secours au moment même où le moteur absorbait les derniers litres de la réserve, apparut devant nos yeux une station d’essence. Après avoir rempli le réservoir et vérifié les niveaux d’huile et d’eau, je dus insister pour que le Jeune Prince aille se rafraîchir aux toilettes. C’était comme s’il manquait de volonté de se  préoccuper de lui-même.

Après avoir repris la route, je lui demandai :

-                     C’est lui qui t’a fait cadeau du mouton, n’est-ce pas? – Nous savions tous les deux à qui je me référais, mais je ressentis la douleur de son expression quand il me répondit :

-                     Alors je croyais cela…

-                     Que veux-tu dire? – demandais-je, l’invitant à continuer. Son visage montra de la tristesse, de l’incrédulité, de la colère et encore de la tristesse, tout dans une rapide succession. Dans leur profondeur, ces yeux transparents semblaient flamber, peut-être d’espérance. Mon intuition me disait que cette espérance l’avait conduit jusqu’ici.

Quand finalement il parla, il le fit sur un ton éteint par la résignation.

-                     C’est une histoire triste. Je ne crois pas que ça t’intéresse – dit-il sans se demander en aucun moment comment j’avais connu l’existence du mouton.

-                     Certainement que ça m’intéresse! – répondis-je avec tellement d’emphase que je craignis devoir expliquer pourquoi m’intéressait à ce point l’existence d’un mouton que je n’avais jamais vu.

Je me sentis allégé en voyant que le Jeune Prince commençait son récit comme si mon opposant ne tenait pas compte qu’il aurait me mettre dans l’embarras.

 

Un matin, quand le Jeune Prince était occupé à sa tâche journalière de nettoyer et ordonner sa planète («C’est important de tenir sa planète bien propre, tu sais?», remarqua-t-il), une plante qu’il allait pour arracher, lui parla :

-          Si tu m’arraches, tu commettras une autre erreur.

-                     Que veux-tu dire par «autre erreur»? – demanda-t-il, doutant qu’il pouvait s’agir d’un piège.

-                     Je veux dire que tu te priverais d’une plante intelligente qui pourrait t’être très utile. En fin de compte, quel mal est-ce que je pourrais te faire, moi? Je suis entre tes mains. Tu peux m’arracher quand tu voudras, mais je crois que tu vas avoir besoin de moi. Tu seras mon maître et moi ta servante.

Sans n’avoir encore pris aucune décision, le Jeune Prince formula une nouvelle demande :

-          Que voulais-tu dire par «autre erreur»? Quelle fut la première?

-                     Une très simple, mon maître. Tu crois que dans ce carton il y a un mouton, n’est-ce pas?

-                     Mais certainement qu’il y a un mouton dans le carton! – s’exclama, indigné, le Jeune Prince -. C’est un précieux mouton blanc que m’a donné mon ami sur la Terre. Malheureusement, à cause de la douleur que lui causa mon départ, il oublia de me donner la muselière et la corde. Pour cela je ne peux pas l’amener se promener : il pourrait s’échapper et manger la fleur.

Quand il s’arrêta pour reprendre souffle et se préparait à arracher la plante, elle lui parla encore :

-                     Mon maître, si, au lieu de te laisser emporter par les émotions, tu me permets de m’expliquer, je crois que je pourrais t’éclaircir complètement de quoi il s’agit. – Ayant dit cela, la plante déplia une de ses feuilles sur laquelle, à la surprise du Jeune Prince, apparut une reproduction exacte d’un mouton près d’un enfant. Après l’avoir examinée un moment, il dut admettre qu’il n’avait jamais vu un dessin aussi précieux.

-                     Ce n’est pas un dessin, c’est une photographie – expliqua la plante avec un certain air triomphal, en notant que sa vie se prolongeait. Et ensuite elle continua - : C’est une image qui capte la réalité exactement comme elle est. Comme tu peux voir, un mouton dépasse la ceinture d’un enfant. Si tu me l’avais demandé, je t’aurais expliqué que les moutons, même à peine nés, sont plus gros que les vingt centimètres de ton carton.

Et alors, adoptant un ton de compassion, la plante lança son explication juste au cœur :

-                     Ça me fait de la peine, mon maître, de devoir te dire cela, mais comme servante je dois t’avertir contre ce mauvais ami qui a profité de ta confiance, parce que le carton, en réalité était vide.

En ce même moment, le monde du Jeune Prince disparut autour de lui. Ce fut le jour le plus triste de sa vie. Depuis lors il ne fut plus certain de rien et de personne. Et aucun coucher de soleil ne put le consoler…

 

Chapitre VIII

 

Je vis que les larmes couraient sur ses joues pendant qu’il parlait et je dus faire un effort pour garder ma vue sur la frange d’asphalte qui semblait d’un gris maintenant plus obscur, ver l’horizon. Le Jeune Prince continua sur le même ton de résignation :

-                     A partir de ce moment, la plante m’expliqua des choses que je n’avais pas comprises auparavant. Elle m’avertit sur les malicieuses manigances des fleurs et le comportement trompeur des hommes. Je fus introduit dans les sciences chimiques et physiques, enseigné sur les plus modernes statistiques et variations économiques. J’appris des dizaines de jeux virtuels sur une de ses feuilles brillante comme un écran multi couleur. Mais sans mon mouton, les jours devinrent plus longs et les crépuscules très tristes.

 

 

Une nuit, le Jeune Prince eut un rêve réel et émouvant. Il se trouvait près de son ami qui pilotait l’avion, parcourant de merveilleux paysages de la Terre. Il y avait de majestueuses montagnes séparées par d’enchanteresses vallées, où des fleuves cristallins reflétaient parfois l’ombre de l’avion. Il découvrit des prés fleuris comme des coussins brodés, protégés du vent par de denses forêts. Comme ils volaient à basse altitude, ils pouvaient voir les cerfs, les chevaux, les chèvres, les lièvres et les renards qui couraient avec liberté dans les champs et même les truites qui sautaient allègrement dans les ruisseaux. Le Jeune Prince n’avait aucune question à poser et son ami aucune explication à lui donner.

Ils se limitaient à observer les merveilles qu’ils avaient sous leurs yeux et à sourire, en se montrant l’un à l’autre, des choses dignes d’attention, pour rire encore. Jamais ils ne s’étaient sentis aussi heureux. Soudain, son ami commença à tourner et lui indiqua qu’ils allaient atterrir sur une colline couverte d’herbe. L’atterrissage fut parfait, comme si la Terre avait amolli sa surface pour leur offrir une affectueuse bienvenue. Dès qu’ils abandonnèrent l’avion, l’aviateur le conduisit de l’autre côté de la colline, où paissait tranquillement un grand troupeau de moutonnes blanches avec leur petits agneaux et lui dit :

-                     Ils sont tous pour toi. Je ne sais pas combien il y en a, il ne me sembla pas important de les compter. J’ai commencé à les élever le même jour que tu es parti, et le troupeau a grandi autant que mon sentiment envers toi dans mon cœur.

Quand le Jeune Prince, ému, s’approcha de son ami pour l’embrasser, il se réveilla seul sur son obscure et silencieuse planète. De douces larmes devinrent amères en tombant et il crut écouter une voix dans son intérieur qui lui disait :

-                     Cherche ton ami et laisse qu’il t’explique ses raisons, seulement ainsi tu verras de nouveau les étoiles…

Le jour suivant, très tôt, il alla réveiller la fleur, dont ces derniers jours il s’était éloigné un peu. Elle se trouvait pâle et fanée, comme si le manque d’attention du jeune l’avait consommée.

-                     Adieu, je m’en vais – annonça le Jeune Prince, mais la fleur ne répondit pas. Il la caressa en la couvrant de ses mains, mais elle ne bougea pas. Il n’y avait plus rien qui le retenait là.

De dangereuses pousses de baobab pointaient au bord du chemin et la terre avait commencé à vibrer, surement parce qu’il avait délaissé le nettoyage des volcans. Mais tout cela n’avait déjà plus d’importance. Il se préparait déjà à partir quand il rencontra la plante.

-          Où vas-tu si tôt? – demanda-t-elle.

Le Jeune Prince ne dit rien pour ne pas l’alarmer, mais ses yeux révélèrent ce que la plante voulait savoir.

-          Tu ne peux pas partir! Tu es mon maître! – s’exclama-t-elle.

-          Donc à partir de maintenant tu es libre – répondit-il.

-                     Tu ne peux pas me faire cela. Tu sais que déjà je ne peux pas vivre en liberté. J’ai besoin de quelqu’un à qui servir et tu as besoin de quelqu’un qui te serve – insista la plante.

-                     Si je ne pouvais pas vivre sans toi je serais ton esclave et toi ma maîtresse – observa le Jeune Prince.

-                     Je mourrai si tu me laisse ici. Il n’y a pas d’autre maître  qui peut arracher les plantes et bientôt elles couvriront toute la planète – implora-t-elle.

Le Jeune Prince douta un moment, mais il avait déjà pris sa décision. Il suivrait la voix de son rêve.

-                     Si tu veux venir avec moi, je devrai t’arracher du sol – dit-il à la plante, tandis qu’il la prenait fermement par la tige.

-                     Non, non! – cria-t-elle.

-                     Alors, adieu – dit-il comme salutation, et il partit.

-                     Ainsi commença mon voyage – continua le Jeune Prince, et je compris que le voyage avait été très long - . Finalement j’arrivai à la Terre, à cet endroit tellement solitaire. Les animaux et les fleurs ne me parlent plus comme quand j’étais un enfant. Je n’ai pas trouvé aucun être humain qui puisse m’orienter. Épuisé et sans savoir où aller, je tombai fatigué à l’endroit où tu m’as trouvé….

Il garda le silence et je compris que tôt ou tard nous devons tous entreprendre un difficile voyage vers le fond de nous-mêmes. Aucune autre conquête ne pourrait nous offrir une plus grande récompense.

 

Chapitre IX

 

-                     Comme tu peux voir, c’est une histoire très triste et je ne crois pas que tu peux faire grand-chose pour m’aider – termina le Jeune Prince.  J’étais tellement absorbé par son récit que, quand il termina, j’eus la sensation que la voiture avait été guidée par un pilote automatique.

-                     Réellement, c’est une histoire triste – dis-je – Mais tu te trompe en disant que je ne peux pas t’aider. Il y a plusieurs choses que tu pourrais faire!

Le Jeune Prince adopta immédiatement une position défensive.

-                     Mais est-ce que tu ne comprends pas? J’ai perdu un ami qui faisait sourire les étoiles, le mouton, qui m’accompagnait le soir et j’ai perdu aussi la fleur qui me réjouissait la vie par ses jeux et sa beauté. Tu ne comprends pas que je ne verrai plus la plante qui était ma protectrice et conseillère, ni ma petite planète, qui explosera peut-être à cause de l’éruption des volcans? Et tu crois que tu peux m’aider? – demanda-t-il, sur un ton de méfiance. Le soudain éclat de passion avait transmis un peu plus de couleur à ses joues.

-                     En effet – répondis-je avec sécurité – Je peux t’aider à récupérer tout ce que tu as perdu et plus encore. Parce qu’après tout, ce que tu as perdu c’est la joie, ton propre bonheur… Mais je pourrai seulement le faire si tu me le permets et si tu es disposé à t’aider toi-même.

Il me lança un regard de doute, mais il ne répondit pas; alors je continuai :

-                     C’est la première difficulté importante que tu rencontres dans ta vie et tu dois la résoudre. Et la vérité est que, même maintenant si tu te sens accablé par elle, ce n’est pas la fin du monde. Tu as en ta faveur le désir de surmonter cette situation, ce qui, de toute manière, est quelque chose qui exige autant ta nature spirituelle que ton instinct animal.

-                     Comment peux-tu être tellement certain que j’ai les forces nécessaires pour résoudre le problème, quand moi-même je ne les ressens pas?

-                     Bonne observation – dis-je, tandis que je me félicitais d’avoir pu capter son attention – Je te dirai pourquoi je suis tellement sûr. En premier lieu tu as eu le courage d’abandonner l’apparente sécurité de ta planète pour sortir sur l’univers à la recherche de la solution, en deuxième lieu,  même si tu te sentais au bout de tes forces, tu as réussi à te placer de manière que quelqu’un pourrait t’aider. Si tu t’étais laissé tomber au milieu de la route ou dans un champ, tu serais probablement mort. En troisième lieu, durant notre première conversation nous avons parlé  de problèmes et de difficultés, ce qui signifie que tu es en train de chercher des informations utiles pour sortir de la stagnation où tu te trouves.

En voyant que j’attirais son attention et sa confiance, je continuai :

-                     Avant nous avons parlé de la manière de résoudre les problèmes, Si tu veux, nous pourrions voir ta propre difficulté. Je dis difficulté parce que je sais que tu peux la surmonter et, même si tu ne le crois pas, la clé pour la résoudre est en toi.

Sa réaction fut immédiate.

-                     Comment peux-tu dire cela? Ma vie était paisible et heureuse jusqu’à ce que je découvre la tromperie de mon ami. C’est cela et rien d’autre la cause de tous mes problèmes – répliqua le Jeune Prince indigné.

-                     Tu mets le problème en dehors de toi et tu accuses un autre de ta situation, ce qui est une excellente manière de ne pas le résoudre – dis-je avec calme, tandis que ses yeux semblaient me brûler par son regard. Et avant qu’il ne puisse poursuivre, je continuai ma réflexion :

-                     Ensuite, mon cher ami, je te montrerai que le supposé mensonge n’était pas ce que tu crois ou, au moins, il n’avait pas l’intention négative que tu lui attribues. Mais supposons pour le moment que ton ami t’eût trompé. Cela justifierait que, désillusionné et même triste, tu sois fâché contre lui. Mais cela ne justifierait pas le fait que tu aies laissé de jouir de la beauté de ta fleur, de la poésie des couchers de soleil ou de la musique des étoiles.

J’avais récupéré l’attention de mon interlocuteur, et je poursuivi avec plus de tranquillité :

-                     Le supposé mensonge de ton ami  a tenu un effet dévastateur sur ta vie parce qu’elle avait une base trop fragile. Probablement que le mouton déjà ne pouvait plus te réjouir et la fleur, tellement centrée sur elle-même n’était déjà plus capable de t’offrir de consolation. Il est évident que tes tâches quotidiennes ne comblaient pas ton esprit et que tu ne cultivais pas un art ou un métier qui te servait de refuge temporel. Possiblement toute ta réalité serait devenue insipide et la seule chose qui aurait soutenu la placidité de tes jours aurait été la nostalgie de ton ami absent. Pour cela tu crois que quand cet unique soutien disparaîtra, tout le reste s’effondrera. En réalité, ton monde est déjà vide, comme la fleur qui s’était fanée avant que tu partes. Le supposé mensonge de ton ami ne fut rien d’autre que l’occasion, mais d’aucune manière la cause de ta situation actuelle. Dès que tu accepteras cela, plus rapidement tu pourras avancer vers sa solution.

Je sentis que dans son intérieur, commençait une bataille entre la justification et l’acceptation et je me dépêchai à compléter une autre observation qui paraissait évidente :

-                     Si tu avais été plus assuré, si tu avais tenu plus de confiance dans tes sentiments, la plante n’aurait pas pu te mettre si facilement dans la fissure qui s’était ouverte dans ton cœur et n’aurait pas eu une si pernicieuse influence sur ta vie.

Le Jeune Prince se disposa à protester, possiblement en défense de la plante, mais avec l’air qui restait dans mes poumons je continuai sans m’arrêter :

-                     Pourquoi souvent pensons-nous que celui qui nous vient avec un mensonge est meilleur que celui qui nous a donné une illusion?

La perplexité momentanée provoquée par ma question me dona la pause dont j’avais besoin pour continuer :

-                     Méfie-toi de ceux qui détruisent tes rêves, parce que généralement ils n’ont rien de bon avec quoi les remplacer! – E t je me demandai s’Il n’y avait pas quelque chose de sage dans l’ancienne coutume d’exécuter le messager de mauvaises nouvelles. Avec les années j’ai découvert que dans la plupart des cas, les nouvelles n’étaient pas correctes, ou le but du messager n’était pas ce qu’il assurait, ou, s’il n’y avait rien que je pouvais faire, j’aurais préféré les connaître le plus tard possible.

Je continuai donc - : Tôt ou tard les rêves laissent d’être des rêves. Même du rêve de la vie nous nous réveillons avec la mort, ou vice-versa. En toute sécurité je te dis que ton ami t’a fait cadeau du plus beau mouton du monde, celui qui tu imaginais dans ta fantaisie, le seul que tu pouvais garder et qui pouvait t’accompagner sur ta petite planète. Est-ce que tu n’as pas joui de sa compagnie durant les couchers de soleil? Est-ce que tu n’es pas resté à ses côtés durant les nuits pour qu’il ne se sente pas seul et en même temps pour que tu ne te sentes pas si seul? N’as-tu pas pensé qu’il t’appartenait parce que tu l’avais apprivoisé et que tu lui appartenais? Il n’y a pas de doute qu’il fût plus réel et plus vivant que celui que tu as vu sur la photographie, parce que celui-là était seulement un mouton, tandis que celui qui était dans le carton était ton mouton.

En ce moment je compris pourquoi, quand je voyage, je n’apporte pas avec moi de photo de mes êtres chers : car l’image que je porte d’eux dans mon cœur est plus vivante.

Donc je m’arrêtai, parce qu’en regardant un moment mon jeune compagnon, je me rendis compte qu’il avait les yeux plein de larmes, comme s’il avait senti le désir de pleurer durant longtemps.

-                     Merci – dit le Jeune Prince et tandis qu’il  mimait une embrassade, il appuya sa tête sur mon épaule, et, peu à peu, il s’endormit.

 

Chapitre X

 

Peu de temps après, à la tombée de la nuit, nous nous trouvions proche de la localité où j’avais prévu passer la nuit. La route était aussi déserte que durant le jour, mais maintenant on pouvait voir quelque indice de présence humaine : peupliers blancs au bord de la route ou protégeant quelques jardins du vent, quelques masures isolées et quelques enclos pour garder qui sait combien de moutons.

Différemment des brèves tombées de la nuit sur l’astéroïde du Jeune Prince, les crépuscules de la Patagonie sont longues et silencieuses et dans leurs parcours la moitié du ciel se teint avec une ample gamme de tonalités roses, lilas, mauves. Ce soir là, le coucher de soleil était d’une magnificence que je sentis la nécessité de réveiller le Jeune Prince pour qu’il puisse le voir.

-          Regarde quelle beauté! – lui dis-je en lui montrant l’horizon, et en faisant cela je quittai un moment les yeux du chemin.

-                     Attention! – m’avertit le jeune, mais il était trop tard. Il se produisit un fort choc contre la partie de devant, la voiture donna un coup et, en freinant, je pus voir dans le rétroviseur un animal blanc étendu sur la route, probablement un mouton. J’arrêtai  le véhicule, je sortis et me dirigeai vers le devant pour voir le dommage causé. Le Jeune Prince me regarda comme s’il ne comprenait pas ce que je faisais et il prit la direction contraire. En me rendant compte qu’il se disposait à aider l’animal frappé, je lui dis :

-                     N’essaie pas. Après un coup comme celui-ci, il doit être mort. Nous ne pouvons rien faire.

Mais le jeune, qui était parti en courant vers l’amas blanc, me cria :

-                     Aujourd’hui tu m’as enseigné qu’il y a toujours quelque chose que nous pouvons faire, même si nous ne le croyons pas nous-mêmes!

Ses paroles résonnaient dans mes oreilles tandis que je m’inclinais et vérifiais que l’unique dommage apparent était une bosse. Le Jeune Prince m’avais au moins fait sentir, pour un moment, que mon cœur était plus dur que cette pièce de métal, qui, malgré sa froideur, avait au moins eu la clémence de céder et de plier. 

Avec un peu de honte pour avoir été repris par le jeune, je marchai vers lui. En m’approchant, je vis qu’il avait placé sur son ventre la tête d’un énorme chien blanc qu’il embrassait et caressait. La scène était d’une grande tendresse, malgré les gémissements de l’animal en train de mourir.

Je levai les yeux et je vis un homme corpulent, venant d’une maison proche, qui s’approchait, avec un visage assombri et un aspect menaçant. Je déduisis qu’il était le propriétaire du chien. Je pensai qu’il serait prudent de m’éloigner pour éviter une discussion inutile et je dis à mon jeune ami qu’il était mieux de partir. Mais il ne bougea pas et il continua de caresser l’animal terrorisé, qu’on voyait agonissant. L’homme s’approchait de nous et moi, détectant un possible danger, je pensai que le mieux fût de lui offrir quelque compensation. Quand il arriva à nous, je sortis mon portefeuille et prononçai quelques mots d’excuse. Mais lui, d’un geste de répugnance, me fit signe de ne pas bouger et nous restâmes les trois en silence durant quelques douloureuses minutes. Encore aujourd’hui, l’image de ce chien reste gravée dans ma mémoire. Mon nouvel ami avait raison. Oui, c’est clair, nous pouvions faire quelque chose. Tandis que le Jeune Prince le regardait amoureusement dans les yeux, le colossal chien blanc commença à perdre la peur, parce que déjà il ne se sentait pas seul. J’eus la sensation qu’aussi cet homme rustique se rendait compte du changement. A la fin, le regard presque humain du chien semblait vouloir remercier. D’abord il ferma l’œil gauche et ensuite le droit. Et enfin tout son corps sursauta, une seule fois, et il resta immobile.

Le Jeune Prince continua à le caresser quelques minutes encore. Quand ce fut clair que la vie l’avait abandonné, il se retourna pour la première fois vers l’homme, avec les yeux plein de larmes. Celui-ci, avec une tendresse inespéré, passa une main tannée sur les cheveux dorés et, après l’avoir poussé avec délicatesse, prit le chien morts dans ses bras.

-          Accompagne-moi, dit-il en s’adressant au jeune. Comme je partais avec eux, il me retint, en me disant;

-          Non, vous non. Seulement lui.

Et ensuite pour me tranquilliser, il ajouta.

-  Ne vous préoccupez pas, c’est qu’il s’agit de choses qui n’ont pas de prix.

 

Chapitre XI

 

 

C’est impossible  de décrire les émotions qui m’assaillirent en ce moment. Je me sentis offensé et incompris, car ma réaction avait été l’habituelle dans la société insensible où nous vivons. En plus, la majorité des personnes ne se seraient même pas arrêtées. Et même si elles l’auraient fait, en plus d’offrir des excuses et une compensation économique comme dans mon cas, elles auraient accusé le propriétaire de l’animal de l’avoir laissé sortir et mettre les automobilistes en danger d’accident. J’étais aussi préoccupé pour ce qui pouvait arriver au jeune, comme si être en compagnie d’un autre être humain était plus dangereux que de le laisser abandonné au bord de la route, où je l’avais trouvé ce même jour.  Je pensai que souvent nous agissons sous l’influence de la peur et la méfiance, au lieu de nous laisser guider par un amour que souvent nous réprimons. L’humanité est condamnée (ou bénite) par le fait que tous les être humain sont unis entre eux. Tant qu’un seul d’eux souffre, personne ne pourra être complètement heureux. Rien dans le monde ne nous est étranger, ni sa douleur ni sa joie, parce qu’il ne laisse pas d’être un monde souffrant même s’il y a du plaisir, et il ne laisse pas non plus d’être plaisant même s’il y a de la douleur. D’autant plus nous connaissons la souffrance, plus nous profitons ensuite du bonheur. Pour cela nous ne devons pas cacher nos sentiments. Nous ne vivons jamais comme étrangers!

                Tandis que le soleil descendait majestueusement dans l’obscurité, un nouveau jour commençais à se réveiller dans mon cœur. Soudain je vis que le Jeune Prince revenait seul, marchant comme s’il portait quelque chose dans ses bras. En s’approchant de moi, je vis que c’étais un précieux petit chien blanc. Je ne pouvais pas le croire : l’homme à qui nous venions d’enlever un aimé nous offrait une nouvelle vie en cadeau.

                C’était un miracle d’amour et la première leçon que je recevais du Jeune Prince. J’avais partagé mon expérience avec lui au moyen des paroles et lui, comme un vrai maître, me montrait la sagesse en silence. Jamais comme en cet instant je vis avec autant de clarté, qu’une centaine de livres sur l’art d’aimer n’ajoute rien à un simple baiser, ni une centaine de discours sur l’amour, à un seul geste d’amitié.

-          C’est un chiot de Kuvasz – dit-il – Tu le savais?

-                     Oui – répondis-je – Ils viennent du Tibet, et aujourd’hui on peut aussi les trouver dans certaines régions d’Europe Orientale.

-                     L’homme a pensé que j’en prendrais bien soin – m’expliqua-t-il en continuant d’observer et de caresser son nouveau compagnon - Je vais l’appeler Alas, en souvenir de mon ami aviateur, parce qu’il est aussi blanc et doux que les nuages.

Sa voix avait acquise une douceur que je n’avais pas remarquée jusqu’alors chez lui. Ainsi, nous sommes remontés tous les trois dans la voiture et nous avons continué notre marche réconfortés, vers le petit hôtel où nous passerions la nuit. A partir de ce moment, le Jeune Prince récupéra sa joie naturelle avec une incroyable rapidité.

Après le souper, nous avons obtenu la permission de tenir Alas dans notre habitation. Le chiot se tranquillisa seulement quand mon jeune compagnon le prit avec lui dans son lit et l’embrassa sur sa poitrine. Après peu de temps, les deux s’endormirent. Un léger sourire apparut sur le visage du Jeune Prince et je sus qu’à partir du moment où il prendrait le vol dans ses rêves, Alas irait avec lui.

 

Chapitre XII

 

Le matin suivant nous reprirent tôt la route, étonnés par l’immensité qui s’ouvrait devant nous. Malgré son aridité, le paysage ne manquait pas d’attraction, peut-être parce que nous avions dans notre intérieur le désir de l’admirer. Le Jeune Prince caressait distraitement Alas, couché sur ses genoux. Je vis que quelque chose le préoccupait, mais je respectai son silence. Après un bon moment, enfin il dit :

-          Je ne veux pas être une personne sérieuse.

-          C’est bien – répondis-je.

-          Mais je dois grandir.

-          Oui, c’est vrai

-                     Dans ce cas, comment est-ce que je peux grandir sans devenir une personne sérieuse? – demanda le Jeune Prince, révélant l’idée qui le préoccupait.

-                     C’est une autre bonne question – répondis-je – Tellement bonne, qu’en effet, je ne lui ai jamais trouvé de réponse adéquate. Quand nous sommes jeune nous entrons dans le monde, un monde très différent de celui que nous avons connu quand nous étions avec nos parents, au moins nous qui avons eu la chance d’entendre des contes de fées avec des pouvoirs magiques et des histoires de princes et de princesses dans des châteaux enchantés. Et   ainsi, nous nous trouvons avec l’égoïsme, l’incompréhension, l’agressivité et la tromperie. Nous essayons de nous défendre et de préserver notre innocence, mais l’injustice, la violence, la superficialité et le manque d’amour nous tourmente. Et alors notre esprit, au lieu de propager lumière et bonheur dans son alentour, commence à trembler face à l’avance douloureuse mais implacable de la réalité. Quelques-uns arrivent à abandonner le trésor de leurs rêves et affirment leur vie dans l’illusoire sécurité de la pensée rationnelle. Elles deviennent des personnes sérieuses qui adorent les chiffres et les routines, parce qu’ils leur procurent une apparente sécurité. Cependant,  comme la sécurité ne devient jamais complète, ils n’arrivent jamais à être heureux. Ils commencent à accumuler des choses, mais il leur manque toujours quelque chose. L’«avoir» ne les rends pas heureux, parce qu’il les éloigne de l’«être». Ils se centrent tellement sur les moyens qu’ils négligent la fin.

-                     Et alors, pourquoi, s’ils ne les rendent pas heureux, les adultes consacrent-ils la plus grande partie de leur vie à obtenir toujours plus de choses? – demanda en toute logique le Jeune Prince,

-                     Penser que le bonheur dépend d’accumuler des choses est un auto-mensonge tranquillisant. Comme l’important devient avoir ou ne pas avoir, la recherche s’oriente vers quelque chose qui est en dehors de nous, ce qui évite d’avoir à regarder notre intérieur. Suivant ce raisonnement, nous pouvons être heureux sans changer, seulement en acquérant ceci ou cela.

-                     Et les gens ne se rendent pas compte de cela? – demanda le Jeune Prince qui avait de la difficulté à croire que l’humanité pouvait être tellement aveugle dans ce sens.

-                     Ce qui arrive, mon jeune ami, c’est que notre société a tellement multiplié  les choses qui peuvent être acquises que les gens ne se rendent pas compte qu’ils ont pris le mauvais chemin tant qu’ils ne possèdent pas la dernière. Et tu sais comment ils s’accrochent à toutes les possibilités, si minimes soient-elles, pour ne pas admettre qu’ils se sont trompés et qu’ils doivent changer. Le problème est que quand ils sont arrivés  enfin à obtenir cette dernière chose, ils ont perdu certaines des premières. Ils sont comme ces jongleurs qui font des jeux avec sept chapeaux à la fois sans qu’un seul ne tombe. Et ils le font seulement avec sept! En plus les gens savent ce qu’ils veulent seulement quand ils sont à la veille de l’obtenir. Donc ce qui était leur objectif final ne l’est pas en réalité et ainsi ils gaspillent leur vie dans une recherche inutile, sautant d’une chose à l’autre comme si ces objets étaient la pierre d’un fleuve qu’ils n’arriveraient jamais à traverser. En général ceux qui veulent avoir toujours plus se trouvent enfermés dans le futur. Ils ne vivent jamais le présent et n’en profitent pas, parce que leur attention est centrée sur quelque chose qui doit venir.

-                     Et que pourraient-ils faire au lieu de cela? – demanda mon jeune ami tandis qu’il flattait Alas, qui dormait sur se genoux.

-                     Simplement se plonger dans la réalité de l’être et se laisser porter par elle. Se concentrer à vivre, à ressentir et à aimer chaque moment et ne pas avoir tant d’obsession pour l’objectif final du voyage. En fin de compte, le sens de la vie est précisément cela : faire des expériences, ressentir. Quand on rencontre des obstacles, ils pourraient se transformer et adopter de nouvelles formes qui les réaffirment dans leur essence, comme un fleuve qui change toujours la direction de son cours et la largeur de son lit. Le plus important est d’être pleinement attentif et conscient, avec les sens éveillés, avec toute notre intacte capacité d’aimer, afin que, hic et nunc, nous puissions vivre, profiter et créer, sans être resté enfermés dans le passé ou dans le futur.

-                     Alors nous devons renoncer aux souvenirs? – intervint soudain le Jeune Prince, je suppose parce que le souvenir de la fleur et celui de son ami étaient très importants pour lui.

-                     Non, tous les bons souvenirs et les expériences gratifiantes que tu portes en toi peuvent t’offrir la consolation dans les moments difficiles ou quand tu te sens seul. Ce que tu dois éviter est de t’accrocher à ce passé, qui est assuré, parce que tu pourrais rester attrapé par lui, et te nier à vivre les expériences du présent. Le passé est assuré parce qu’il est fermé, mort. Malgré cela, certains préfèrent la tranquillité et la sécurité de la mort au lieu de l’incertitude de la vie, avec ses différentes possibilités de souffrance et de joie.

Après un moment j’ajoutai :

-                     Une autre manière que les souvenirs ont de conspirer contre  ton bonheur présent est que tu essais de ressentir les mêmes choses que tu ressentais dans le passé. Cela n’arrivera jamais. Ainsi comme l’eau d’un fleuve n’est jamais la même, les situations de la vie ne se répètent jamais exactement non plus. Cependant. Il est extraordinaire de voir la quantité de gens qui restent attrapés en essayant de revivre les mêmes expériences. Cela les empêche de profiter de nouvelles expériences autant ou plus plaisantes que les antérieures. En cela, l’homme ressemble à cet animal qui revient plusieurs fois à l’endroit où il a une fois trouvé de la nourriture, jusqu’à mourir de faim, simplement pour ne pas chercher un peu plus loin.

Durant un long moment, nous sommes restés tous deux avec nos pensées sans que rien ne nous distraie, car ce paysage avait la vertu de garder un respectueux second plan.

Quand finalement le Jeune Prince parla, il me prit par surprise.

-          Merci – dit-il.

-          Pourquoi me remercies-tu – demandais-je.

-          Pour me sauver du malheur – répondit-il.

-          Que veux-tu dire?

-                     Bien, j’ai réfléchi à ce que tu as dit et je découvris qu’il y avait une pensée profondément enracinées dans mon esprit : que je ne serais pas vraiment heureux jusqu’à trouver un autre ami comme mon regretté aviateur. Cependant cette pensée contient les trois obstacles pour le bonheur que tu as cités auparavant. D’abord, la nécessité de «quelqu’un comme lui» qui m’empêcherait de trouver d’autres personnes différentes, mais peut-être également nobles et intéressantes. Ensuite, la question de la «sécurité», parce que je ne serais jamais totalement sûr d’avoir trouvé quelqu’un qui lui soit identique. Puis, la «recherche», qui ferait que je me centre sur un succès futur, en quelqu’un qui pourrait arriver à connaître, sans évaluer ceux qui sont avec moi.

-                     Je vois que tu m’as compris à la perfection – répondis-je avec le même orgueil que ressentent les maîtres face à leur meilleur élève.

-                     On ne peut jamais être trop attentif – dit le Jeune Prince

-                     Non, jamais – répétais-je, et nous avons souris tous les deux. En silence, je perçus qu’il y avait quelque chose dans son expression qui le retenait à sa tristesse du passé, mais je décidai d’attendre pour demander.

Tandis que la voiture continuait de dévorer avec calme la route comme si c’était un interminable vermicelle gris, je sentis que mon anxiété pour arriver diminuait, je commençais à goûter chaque moment de ce voyage.

 

Chapitre XIII

 

Comme c’était presque l’heure de manger et craignant qu’Alas pouvait laisser un cadeau princier sur la cape de mon ami, je décidai d’arrêter dans un restaurant qui apparut soudain sur le bord de la route où quelques voitures étaient stationnées. En entrant, je notai qu’à une table où mangeait une famille, cinq paires d’yeux enfantins regardaient avec surprise l’allure du Jeune Prince. Rapidement je me dirigeai à une table située à l’autre extrême de la salle, mais cela ne suffit pas pour contenir le vacarme, tellement grand comme si un des trois Rois Mages était entré sans son chameau.

Je me rendis aussitôt compte que la réaction des enfants dérangeait mon ami, qui s’assit le dos vers eux. Les efforts du père pour les tranquilliser, en agitant la patte de poulet qu’il tenait à la main, ne servirent pas à grand-chose, car lui aussi essayait de résoudre le mystère de notre pittoresque apparence. La mère, assise le dos à nous, continua à manger sans la moindre préoccupation comme si une surdité sélective lui permettait de s’isoler de temps à autre du scandale de ces créatures endiablées. Mes commentaires durant le repas visèrent à renforcer l’auto estime de mon ami, un peu affecté par la réaction provoquée par quelque chose de tellement banal comme l’habillement. Je lui parlai de l’importance des différences et de la variété qui constituent l’unique manière d’enrichir un groupe.

-                     Si on ne pouvait pas distinguer les fleurs par leur parfum, leur forme ou leur couleur, on n s’arrêterait jamais pour en contempler une en particulier. Les différences sont les premières choses qui nous attirent et, en admirant une fleur, nous la rendons unique.

Intérieurement, je regrettais que ces choses qui nous attirent et nous complètent servent parfois pour nous séparer et nous diviser. Tandis que nous commencions un succulent plat de patates et de salade, je commentai que beaucoup de génies de l’humanité avaient souffert du refus de leurs contemporains, même si sans cet antagonisme l’humanité n’aurait pas évolué. Je critiquai la médiocrité de ceux qui, en voyant que s’allume une flamme de créativité, courent pour l’éteindre comme une équipe de pompiers, au lieu de permettre qu’elle ait de l’air pour engendrer un feu transformateur.

-                     Mon cher ami – dis-je, en mettant une main sur son épaule – tu dois pardonner que la première réaction des gens soit de se fixer sur ton aspect extérieur. Mais si tu es sûr de toi et si tu te confies dans les valeurs qui te guident, finalement ils t’accepteront, même si ce n’est que pour parler dans leur cercle d’amis qu’ils connaissent à une personne aussi spéciale que toi.

Puis, me penchant sur ma chaise, j’ajoutai :

-                     C’est clair qu’il y a aussi une manière plus simple et facile de se mettre en relation avec les personnes…

-                     Et quelle est cette manière? – voulut savoir le Jeune Prince, déjà curieux.

-                     Faire justement le contraire. Au lieu d’attirer son attention par l’aspect extérieur et essayer de te faire connaître comment tu es à l’intérieur, tu peux capter en te confondant avec eux, imiter leur apparence et ensuite te distinguer comme quelqu’un d’unique et spécial par tes propres valeurs – lui expliquais-je.

-                     Que ferais-tu, toi? – me demanda-t-il en me regardant fixement. Je  pensai un moment avant de répondre.

-                     Dans un premier cas, beaucoup de gens s’approcheront de toi ou garderont leurs distances et ils élaboreront des préjudices  positifs ou négatifs sans t’avoir trop connu, en se basant uniquement sur ton apparence. Le bon côté est que tu attireras l’attention de beaucoup de gens et le mauvais côté est que certains s’éloigneront de toi pour toujours. Dans le second cas, par contre,, tu n’attireras pas l’attention et beaucoup de gens ne se rendront pas compte de ton existence, ou ils le feront longtemps après. Si je devais décider, je prendrais le second chemin, plus discret et plus lent, mais plus profond. Mais dans tous les cas, l’important est que tu ne laisses pas d’être toi-même pour t’adapter aux goûts des autres.

-                     Tu n’es pas préoccupé que ton message soit perdu et que beaucoup de gens n’aient même pas su que tu es passé dans ce monde? – demanda le garçon.

Je me rendis compte qu’il essayait de dissimuler la peur de ne jamais trouver la personne qu’il cherchait. Je me souviens avoir répondu que je crois seulement à la grandeur d’une personne si elle est acceptée comme telle par les gens qui la connaissent. Parce que si tu arrives à transmettre vraiment quelque chose d’important, même si uniquement au petit groupe qui t’entoure, tu peux être sûr que cette lumière fera son chemin à travers un horizon de ténèbres, comme une  étoile éloignée traverse des milliers d’années d’obscurité pour arriver jusqu’à nous.

-                     Pour ce qui est des personnes – ajoutais-je avec emphase  en le regardant dans les yeux – je suis convaincu que nous trouverons toujours sur notre chemin celle qui nous est destinée. C’est à nous de la reconnaître et de la distinguer des autres.

C’est ainsi que le Jeune Prince décida de changer ses vêtements et quand nous sommes sortis d’un petit magasin du village, il portait des vêtements juvéniles, des chaussures sportives et une casquette vers l’arrière d’où sortaient des mèches dorées de ses merveilleux cheveux. Personne n’aurait pu le distinguer des centaines de mille garçons de son âge.

-                     En fin de compte, tu es né prince – dis-je avec un sourire, en essayant de le faire sentir spécial dans sa première arrivée dans notre monde de misères et de merveilles, mais il me répondit :

-                     Nous sommes tous né princes, certains ne le savent pas et d’autres l’oublient… Mon royaume existe seulement au dedans de moi, et il se mit à courir en frappant du pied un ballon venant d’un groupe d’enfants jouant dans la rue, tandis qu’Alas le suivait en essayant de lui mordre les talons.

 

                Et ici, mon cher lecteur, je dois te demander à toi et aux amis du Jeune Prince de pardonner mon intervention, parce qu’à partir de maintenant il sera impossible de le reconnaître à première vue. Même si je sais, cependant, que vous n’aurez pas de difficulté à l’identifier si vous gardez bien ouverts les yeux du cœur.

 

Chapitre XIV

 

Quand nous étions de nouveau sur la route, le Jeune Prince se retourna vers moi et me dit :

-                     Raconte-moi, s’il te plaît, comment tu as fait pour ne pas devenir une personne sérieuse.

Il semblait que l’idée de grandir qui impliquait quelque transformation en ce sens, le préoccupait beaucoup.

-                     J’avais commencé à te commenter – lui dis-je – que certains personnes abandonnent leurs rêves et idéaux pour commencer à acquérir toujours plus, comme si le pouvoir et les possessions leur donnait sécurité. Parfois la recherche de réussite et la reconnaissance est une fuite vers l’avant, parce qu’elles n’ont pas eu le courage d’être elles-mêmes, d’affronter la critique et la désapprobation pour assumer leur vrai être et suivre leur authentique vocation. Parfois ce sont des personnes obsédées par le contrôle, qui manipulent la réalité et commandent par rapport à elles-mêmes. Elles jugent les autres personnes et les classifient en les plaçant dans de petites niches physiques et mentales d’où difficilement elles pourront sortir. De cette manière, elles paralysent l’illimitée richesse transformatrice de l’univers et de l’amour humain. Si les parents mettaient autant d’engagement pour instruire leurs enfants dans l’amour, comme ils le mettent pour exiger l’ordre et la discipline, la planète serait un endroit beaucoup plus agréable pour vivre.

-                     Tu veux dire qu’autant de discipline n’est pas bonne? – demanda le Jeune Prince.

-                     Ce que normalement nous voulons dire par discipline, c’est imposer notre sens de l’ordre, humain et limité, à celui de la nature, qui est divin et donc supérieur. L’homme doit faire bien attention à ordonner la nature pour son propre bénéfice, car le résultat obtenu est normalement contraire à celui qui est désiré : un désordre naturel qui se retourne contre lui. La contamination de la planète, l’extinction des végétales et animales et l’épuisement des ressources naturelles et beaucoup d’autres cas sont des exemples négatifs de la discipline et de l’ordre humain.

-                     Je comprends ce que tu dis – accepta le Jeune Prince avec un air réfléchi –. Dans mon voyage antérieur j’ai connu un homme qui prétendait contrôler les étoiles. Il passait des jours à les compter et à les additionner, et ensuite il écrivait le résultat sur un petit papier et il le gardait dans un tiroir. Il pensait que de cette manière, il les possédait.

-                     Je vois que tu as noté comment les gens sérieux aiment les numéros. Ils ne sont jamais satisfaits tant qu’ils ne connaissent pas la hauteur exacte d’une montagne, le nombre de victimes d’un accident ou l’argent gagné durant un an…, seulement pour te donner quelques exemples. En réalité nous ne possédons absolument rien hors de nous-mêmes.

-                     J’ai entendu dire que sur cette planète on identifie les gens en leur donnant un numéro – dit-il avec appréhension.

Son commentaire me fit penser aux numéros de passeport, numéros d’assurance sociale, numéros de téléphones, numéros de cartes de crédit…

-                     Il en est ainsi. Il y a tellement de gens sur la Terre qu’il ne semble pas y avoir d’autre moyen pour nous identifier. Ça ne suffit pas avec les numéros… - dis-je avec un peu de tristesse.

-                     Laisse-moi voir où tu as tes numéros – dit le Jeune Prince avec curiosité, espérant que je lui montre quelque partie de mon corps.

-                     Non, nous ne les avons pas gravés nulle part – répondis-je avec un sourire tandis que je lui montrais quelques documents de ma serviette. Mon expression changea en me rappelant certains exemples aberrants de ce que je venais de nier, des situations que j’aurais eus du mal à lui expliquer.

-                     Il se peut que dans un futur rapproché – dis-je en pensant à haute voix – notre code génétique pourra nous identifier avec une clé unique et personnelle. Je demande à Dieu que le résultat ne soit pas de restreindre la liberté de chaque être humain.

-                     Que veux-tu dire? – demanda le jeune en notant la préoccupation de ma voix.

-                     Je veux dire que l’homme a été créé par Dieu comme un être spirituel, avec une étincelle de libre arbitre, conscient de lui-même et cette capacité d’imaginer et de penser que nous appelons l’âme. Pour cela, nous les être humains, nous ne pouvons pas donner le meilleur de nous-mêmes comme l’amour ou la créativité, si nous ne sommes pas libres.

-                     Dieu? Qui est Dieu? Avant tu as parlé de lui comme s’il était la cause de beaucoup de choses qui arrivent ici, ou comme s’il était capable de les résoudre.

-                     Qui est-Il? Je ne sais même pas si nous devons demander «Qui est-il?» ou «Qu’est-ce qu’il est?»

-                     Mais tu parles de lui…

-                     Oui, oui – dis-je – Comment je ne vais pas parler de Lui…? – Je respirai profondément et j’attendis quelques minutes tandis que le Jeune Prince me regardait avec étonnement – Si tu savais qui est Dieu, tu saurais tout. On a dit qu’il est celui qui est, son propre  début et sa propre fin, et donc le principe et la fin de tout ce qui existe. Les uns l’ont imaginé comme une renaissance éternelle, une incessante succession d’effets et de causes. D’autres le définissent, conforme à nos idées de la perfection, come le bien ou la beauté; d’autres encore le baptisent comme le verbe, le créateur, la vérité et la sagesse suprême.

-                     On dirait – répondit mon compagnon de voyage – que les hommes ignorent plus qu’ils ne savent de Dieu.

-                     Moi aussi je pense cela, comme l’intelligence humaine étant limitée, elle est incapable d’apprendre une idée infinie. Ce qui me fait plus honte c’est, qu’encore aujourd’hui, les gens, dans leur ignorance, continuent à se tuer pour les différentes réponses que cette question peut offrir. – Cela sembla surprendre le Jeune Prince, et je le tranquillisai donc par un sourire – Reste tranquille, je ne suis pas tellement primitif!

-                     Et est-ce qu’il y a d’autres questions pour lesquelles les gens luttent? – me demanda-t-il, désirant savoir ce qui l’attendait sur notre intolérante et violente planète.

-                     Oui, beaucoup, mais aucune a autant exacerbé la haine comme la question sur le divin, ce qui démontre le peu de développement de la propre conscience. Même si dernièrement il est arrivé quelque chose d’encore pire : les gens ne se questionnent plus au sujet de Dieu dans le silence de leur esprit, comme si déjà il ne leur importait plus de savoir pourquoi ils vivent.

-                     Et toi, que crois-tu? – me demanda-t-il dans l’espoir que je puisse lui donner un peu de lumière sur un sujet qui semblait tellement embrouillé et confus.

-                     Je préfère ressentir Dieu au-dedans de moi comme une nécessité de m’unir à toutes les créatures vivantes, comme une énergie amoureuse qui nous alimente tous, et l’univers entier. – Ces mots semblèrent le tranquilliser et il resta un moment en silence, pensif.

-                     Je suppose que les animaux non plus ne puissent donner le meilleur d’eux-mêmes si nous les enfermons dans un cage – nota le Jeune Prince, en se rappelant, peut-être, du mouton enfermé dans le carton, tandis qu’il passait ses doigts su la tête de Alas endormi.

-                     Il y a des gens qui enferment leurs enfants oud ‘autres personnes dans des cages avec des barreaux d’exigences, d’attentes et de peurs – pensais-je – sans se rendre compte que tout ce qu’on impose comme obligation provoque nécessairement résistance. Dans ce sens, tout ce qui conduit à l’immobilité et au manque de spontanéité va contre la rénovation qui caractérise la vie. Après tout, il est facile de prouver qu’il n’y a rien de plus ordonnée et sécuritaire qu’un cimetière.

-                     Donc, l’ordre n’est pas nécessaire? – demanda le Jeune Prince, doutant encore de la question.

-                     Il existe un ordre externe dont nous avons besoin pour nous sentir commodes, à un différent degré pour chacun de nous. Mais l’ordre qui est réellement important est celui de l’esprit, qui doit être orienté vers Dieu, vu que nous venons de Lui et allons vers Lui. Cependant il ne s’agit pas d’un ordre fixe, mais de constante évolution et croissance de notre être spirituel.

-                     Comment sais-tu tant de choses? – demandât-il, surpris de ma capacité de trouver des réponses à ses questions.

-                     Grâce à mon expérience et à mon intuition – répondis-je.

-                     Et comment sais-tu que tu as raison?

-                     Grâce à mon expérience et à mon intuition – répondis-je encore.

-                     Et tu ne te trompes jamais? – me demanda-il avec admiration.

-                     C’est clair que je me trompe, et alors j’ajoute cette erreur à mon expérience. Tu verras, je ne peux pas dire que ce que je crois soit une vérité absolue, mais seulement que c’est une connaissance qui m’a été utile dans la vie. Tu devrais faire la même chose. Ne crois rien de ce que je te dis. Prend-le simplement et vois si cela peut te servir.

-                     Et où est-ce que je peux trouver cette expérience? – voulut savoir le Jeune Prince.

-                     Dans la vie – répondis-je – Mon expérience est formée par tout le temps que j’ai eu pour commettre des erreurs et par ma capacité de les corriger. Si tu es intelligent, tu arriveras à faire entrer dans ton expérience les erreurs commis par d’autres, sans besoin de les répéter. Les livres, les maîtres et les histoires des autres personnes peuvent ouvrir des chemins, mais enfin c’est toi qui dois  décider quelles connaissances tu dois accepter.

En voyant son expression je me rendis compte que tout cela était vague pour lui. Il n’y a pas de doute que les jeunes apprennent beaucoup plus de nos exemples que de nos paroles.

En cet endroit, la route avançait parallèle à une rivière qui serpentait au fond d’un profond ravin. Des deux côtés, les élévations des Andes montraient d’étranges et irrégulières formations rocheuses. L’une d’elles attira notre attention : c’était une pierre fine qui s’élevait vers le ciel à partit du sommet d’une colline. Un panneau indiquait son nom : « Le doigt de Dieu».

Je souris en pensant comment les gens de l’endroit avaient vite fait de lui donner un nom sacré avant que les voyageurs découvrent une autre similitude.

Pour moi, il m’était plus facile d’imaginer, comme l’avait fait Michel Ange dans la Chapelle Sixtine, que le doigt de Dieu venait vers les hommes et non le contraire. En ce moment, l’exemple dont j’avais besoin vint à mon esprit.

-                     L’expérience – dis-je, et mon ami se tourna vers moi – est comme une carte géographique. Malheureusement pour ce qui est du futur, la carte est incomplète. Pour cela, tous les jours tu dois confirmer les suppositions qui se sont avérées exactes et annuler les autres.

-                     Et l’intuition? – demanda l’infatigable Jeune Prince. Il était évident que, dans cette voiture, personne ne me féliciterait pour l’efficacité de mes exemples.

-                     L’intuition est la première perception que tu as sur une personne ou une situation. Généralement elle est correcte. Malheureusement, notre société a survalorisé la connaissance déductive rationnelle, qui est plus lente et, même si elle peut être utile en science, il n’est pas facile de l’appliquer aux événements humains. Par contre, la connaissance intuitive est instantanée et intégrale.

-                     Je crois que ma fleur était intuitive – dit-il – parce qu’elle savait les choses avant que je les lui dise. C’est peut-être pour cela que les hommes et les fleurs ne s’entendent pas entre eux.

 

Chapitre XV

 

 

J’étais totalement immergé dans le plaisir de conduire sur cette sinueuse route qui maintenant suivait le bord d’un lac entre une forêt de sapins. A chaque changement de vitesse, le vibrant son du moteur montait comme un ébranlement dans ma colonne vertébrale. En ce moment tellement spécial pour un amant des voitures et la vitesse, la subite interférence du jeune tomba sur moi comme de la neige au printemps.

-                     Tu me parlais des gens sérieux – me rappela-t-il – Que sais-tu de plus à leur sujet?

-                     Certaines choses – dis-je résigné, en pensant qu’il était inutile de lui expliquer qu’il venait d’interrompre une incomparable symphonie mécanique.

-                     Après tout, moi-même je me suis presque converti en un distingué membre de cette espèce.

-                     Et qu’est-ce qui t’en a empêché? –voulu savoir le Jeune Prince, qui allait toujours au centre de la question.

-                     En me fixant sur les gens sérieux qui m’entouraient, toutes des personnes respectables et qui avaient du succès, je me rendis compte qu’aucune d’entre elles n’était réellement heureuse,

-                     Tu ne me diras pas que l’ordre et la discipline les rendaient malheureux, n’est-ce pas? – Insista-t-il, un peu surpris.

-                     Non, - répondis-je – Ce qui arrive c’est que les gens sérieux, ceux qui aiment l’ordre, en majorité ils détestent les surprises et tout ce qui échappe à leur contrôle. Mais plus de contrôle ils exercent, moins ils en profitent. Ils aiment vivre dans un monde qui tourne dans une orbite exacte et précise, un monde sans magie et sans surprise. Les changements, si petits soient-il, les irritent ou les préoccupent et notre instable réalité cache d’incomptable opportunités pour les deux choses.

-                     Ce que tu dis me rappelle un allumeur de réverbère qui ne pouvait pas dévier de sa routine – expliqua le Jeune Prince – Quand  sa planète commença à tourner plus vite, son travail devint infernal.

-                     Bien, le passage de ces gens dans la vie est aussi brillant et fugace que leur annotation chronologique, même s’ils ont accumulé de nombreuses médailles et diplômes. Personne n’ose ajouter une note au pied qui dise : «Et malgré tout cela, il ne fut pas heureux». Le ciel écrit sur leur tombe avec des étoiles fugaces l’épitaphe qu’ils méritent.

-                     Personne ne devrait être fier d’être une étoile fugace – dit-il.

-                     Non, en effet – j’ajoutai - : Ce sont de petites flammes qui s’éteignent rapidement, comme les lucioles dans la nuit des temps.

-                     Et ensuite il y a ces autres personnes – continuant ma réflexion – qui, quand elles font face à la réalité, incapables de renoncer à leurs idéaux (comme personnes sérieuses qu’elles sont), essaient tellement de les protéger qu’elles se construisent un mur autour d’elles, qui sert seulement pour asphyxier leur propre esprit. Parfois ce mur est tellement bien construit qu’elles ne peuvent pas trouver une fissure pour y entrer de nouveau. Ainsi elles restent à l’extérieur, comme des marionnettes sans fils qui les bougent, comme des fantômes qui ne savent pas qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont. Leur monde erre sans but et, avec le temps, devient aussi froid qu’une comète errante.

-                     Je ne veux pas être une comète errante – dit le Jeune Prince, avant de demander : Qu’est-ce qu’un fantôme?

-                     Un fantôme est une image sans contenu, une ombre, une apparence sans soutien. – Et j’ajoutai - : Il y a des gens qui croient que les fantômes n’existent pas. Moi, au contraire, je crois qu’il y en a et qu’ils sont nombreux, partout où que tu ailles. Pour moi, les fantômes sont les personnes qui n’ont pas de cœur.

-                     Je ne veux pas être un fantôme moi non plus – réfléchit le Jeune Prince, toujours plus conscient de la difficulté de ce que signifie grandir.

-                     Dans ce cas, ne trahis pas tes désirs et ne les enterre pas en toi jusqu’à ce qu’ils meurent par inanition. Apprends à combiner ce qui est réel avec ce que tu désires. Donne le meilleur de toi dans tout ce que tu fais, de manière que reflète ton esprit, et offre le meilleur de toi à chaque personne, pour qu’elle reflète ton amour. Tu verras que le monde se convertira en un de ces miroirs qui augmentent, qui reflètent et te renvoient en plus grand tout ce que tu as donné gratuitement. Parce que l’unique manière de t’entourer de sourires, c’est de sourire et l’unique manière de t’entourer d’amour est de le donner aux autres. Il arrive un moment où tu te trouves, durant ton enfance, dans un monde centré sur toi, et, quand arrive ta maturité, dans un monde ouvert aux autres. C’est alors que tu dois te dépouiller de tes caprices, tes rigidités, et tes égoïsmes, pour grandir dans la conviction avec laquelle tu vas défendre les principes les plus nobles. Aime-toi toi-même et ainsi tu pourras aimer les autres. Aime tes rêves, pour pouvoir construire avec eux un monde chaud et beau, plein de sourires et d’embrassades. Ce sera un monde où tu désireras vivre, et qui tournera dans une orbite de plusieurs couleurs. Si tu crois vraiment en lui, tu le construiras peu à peu avec chaque geste quotidien, ce monde deviendra possible pour toi. Et il sera la récompense que tu mérites, parce que je n’ai jamais vu personne jouir  d’un bonheur non mérité. Seulement les personnes qui aiment vraiment sont comme des étoiles, et leur lumière continue à briller sur nous après qu’ils sont partis.

Je notai l’émotion et la ferveur qu’il y avait dans sa voix quand il dit :

-                     Quand je mourrai je veux être une étoile. Enseigne-moi à vivre pour que je puisse être une étoile. – Et en embrassant son chien, il appuya la tête sur la fenêtre.

-                     Je ne pourrais pas t’enseigner des formules précises – répondis-je avec tendresse – je ne suis pas maître en étoiles. Seulement ce que je peux t’offrir ce sont les choses que j’ai apprises dans ma vie, une poignée de vérités qui, comme toutes les vérités, peuvent seulement se transmettre à traves l’amour. Toi, comme nous tous, tu as en toi la capacité d’aimer et c’est tout ce dont tu as besoin. Quand tu auras de doutes, cherche au-dedans de toi, et si tu as la patience suffisante, tu trouveras toujours la réponse.

Mais déjà il ne m’écoutait pas… Il avait peut-être découvert que dans le pays de rêves nous pouvons tous être des princes et des étoiles.

 

Chapitre XVI

 

 

Cette nuit nous avons dormi dans une  belle auberge au bord d’un lac, entourée d’un bois de grande dimension. C’était une construction en bois et en pierres, et qui possédait d’agréables cheminées où crépitait le feu. Les murs de chaque habitation étaient revêtus de papier peint dont les motifs et les couleurs étaient inspirés selon le nom. La nôtre s’appelait «La prairie» : elle était de couleur vert-clair et les motifs étaient des plantes et des fleurs sauvages. Les normes de la maison voulurent que Alas dorme seul cette nuit dans le hangar. De toute manière je pensai qu’il ne serait pas facile pour mon ami de se séparer physiquement et émotionnellement de son chiot.

Je ne dus pas me surprendre quand, allant souper, je vis au réfectoire la même bruyante famille que nous avions rencontrée au dîner, car dans cette zone, les hôtels ne sont pas nombreux. Comme il est naturel, notre entrée provoqua la même confusion que quelques heures auparavant, ce qui démontrait la vérité du slogan : «Fais ce que tu veux, tu n’arriveras jamais à conformer les autres». Cependant, au cours du repas, peut-être à cause de la fatigue des enfants et des adultes, l’atmosphère à leur table devint tellement désagréable que nous nous sentîmes très incommodes à cause de l’agressivité et la violence à peine contenue. Le plus petit pleurait inconsolablement. Un autre était en punition et il ne devait pas souper. Un troisième fut obligé de terminer un poisson qui, évidemment, ne lui plaisait pas. Les autres avaient les yeux rivés sur leurs plats, sans oser ne rien commenter sur la situation de leurs frères. Tout cela affecta profondément mon jeune ami, peu habitué à des luttes familiales, jusqu’au point qu’il sembla perdre l’envie de manger. Il réalisa donc le deuxième miracle d’amour de notre voyage : il se leva de table, alla chercher Alas, et, le tenant dans ses bras comme un petit bébé blanc, il l’offrit aux enfants en cadeau. Eux, les yeux rayonnants de joie, tendirent les bras pour le caresser.

Le geste et l’attitude du Jeune Pince furent tellement émotionnants que les parents restèrent muets. Quand enfin ils purent réagir et essayèrent de refuser le don (assurément avec toutes sortes de raisons sensées), Alas faisait déjà partie de leur vies. Difficilement ils me regardèrent, comme si moi, supposément le père, je devais autoriser le don. Quand je bougeai affirmativement la tête en souriant, leur sort fut scellé. Le jour suivant ils seraient huit en route.

A partir de ce moment le bonheur revint dans la salle à dîner et mon jeune ami put jouir de son repas, fréquemment interrompu par les salutations et les rires des enfants et les jappements de joie de Alas qui maintenant avait cinq maîtres disposés à jouer avec lui et à satisfaire jusqu’a  la dernières de ses nécessités.

-                     C’est merveilleux que tu ais pu faire cela, spécialement avec ces enfants qui avaient ri de toi ce matin – dis-je pour voir sa réaction. Mais il répondit :

-                     Tu m’as fait voir que je les avais provoqués par mon insolite apparence et c’est normal que les enfants réagissent de manière spontanée. En plus, je ne pouvais pas continuer à supporter la tension et je sentis le besoin de faire quelque chose pour l’alléger. Alas était à mes côtés, me donnant plus de bonheur que j’avais besoin. C’est bien qu’il réjouisse maintenant d’autres cœurs.

                Avec cette réconfortante expérience prenait fin la deuxième journée de notre voyage. Une fois de plus, je sentis que le Jeune Prince avait dépassé par un seul geste toutes mes généreuses explications.

 

Chapitre XVII

 

 

Après un repos réparateur, je me réveillai un peu plus tard qu’à l’ordinaire. Je regardai vers le lit de mon compagnon, mais il n’était pas là. En ouvrant les rideaux, je le vis debout et seul au bord du lac, aussi immobile que les eaux. Les premiers rayons de soleil dessoudaient les derniers restes d’une bruine, comme coton de sucre qui se fond dans la bouche d’un enfant. Tout le paysage irradiait une sensation d’immense paix. Après le déjeuner nous reprenions la route. Avant de partir nous nous rendîmes compte que la voiture de la famille bruyante était déjà partie. Après un quart d’heure sur une route de terre, à l’ombre des cèdres, des sapins, des araucarias, nous étions près du bord du bois. A l’improviste, le Jeune Prince cria :

-          Arrête, s’il te plait!

-          Qu’est-ce qu’il y a?

-                     Arrête la voiture, s’il te plait! – répéta-t-il avec évidente inquiétude, Dès que je le fis, il sortit et il entra dans le bois une vingtaine de mètres sans dire un mot.

«Ah, c’est de cela don il s’agissait…», me dis-je avec un soupir de soulagement, surpris que les nécessités personnelles  obligeait mon ami de manière aussi brusques.

Mais je découvris alors avec peine que ce n’était pas cela qui avait causé sa réaction. À différence du premier jour quand il venait vers moi avec des yeux lumineux, maintenant son regard reflétait la douleur de la déception, tandis qu’il s’approchait en soutenant Alas blotti dans ses bras.

Il ne pouvait pas croire que quelqu’un était capable d’abandonner une si tendre créature.

Alas gémissait et tremblait, dominé par la peur, il léchait désespérément  les mains et la figure du Jeune Prince, La joie qu’il avait ressentie à nous revoir était plus qu’évidente.

-                     Ce n’est pas possible que ce soit les enfants – dis-je en essayant de deviner les sentiments de mon ami face à une telle cruauté. – Je ne comprends pas pourquoi ils ne l’ont pas laissé à l’auberge pour qu’ils nous le rendent. Avec une note de remerciement ou d’excuse cela aurait été suffisant – dis-je tandis qu’il restait silencieux.

Tant d’émotions avaient laissé le chiot sans forces et, quand nous repartirent il resta endormi sur les genoux du jeune, qui continua à le flatter longuement.

Une fois de plus, la route abandonna la vallée et entra dans un paysage inhospitalier dont la vaste solitude invitait plus à la réflexion qu’à la conversation.

Aucun des deux n’osa rompre le silence comme s’il n’y avait pas de mots appropriés pour de telles circonstances. Finalement je dis :

-          Réjouissons-nous qu’Alas soit vivant. Pardonnons et continuons.

Le Jeune Prince continua en silence, comme s’il ne m’avait pas entendu. Son expression était mélancolique et réservée. Après un long moment il parla :

-                     Moi aussi j’ai abandonné une fleur et je ne peux pas me pardonner d’avoir laissé qu’elle se fane. Et je me sens coupable d’avoir douté des bonnes intentions de mon ami. Même si la plante a en cela une part de la faute.

Alors je compris qu’est-ce qui le tenait attaché à son passé et assombrissait son brillant sourire.

-                     C’est la difficulté qui t’empêche d’aller de l’avant – dis-je, complètement convaincu de mon diagnostique. – Écoute bien parce que je vais te confesser le secret du bonheur.

-                     Tu connais ce secret? – demanda le Jeune Prince en ouvrant les yeux, incapable de croire que la réponse que l’humanité avait cherchée durant des siècles lui serait révélée là, en ce moment.

-                     Bien, oui, je crois cela – répondis-je, en sachant que dans une situation comme celle-là il était mieux de me montrer assuré que de feindre la modestie – Même si je n’ai pas déchiffré aucun manuscrit antique ni entré dans la chambre défendue d’une mystérieuse pyramide, je suis convaincu de cette vérité, comme toutes les grandes vérités, est évidente en elle-même et simple.

-                     Donc, dis-le-moi, s’il te plaît – supplia le Jeune Prince.

-                     Tu seras heureux si tu aimes et pardonnes, parce que toi aussi tu seras aimé et pardonné. Tu ne peux pas pardonner sans aimer, parce que ton pardon ne dépassera jamais la mesure de ton amour. Et enfin, il est impossible d’aimer et de pardonner aux autres sans t’aimer et te pardonner d’abord à toi-même.

-                     Comment quelqu’un peut-il s’aimer lui-même, en connaissant ses propres imperfections? – objecta-y-il.

-                     De la même manière que tu aimes les autres dont tu connais aussi les imperfections. Ceux qui attendent l’arrivée d’un être parfait pour l’aimer vont de désillusions en désillusions et ils finissent par ne pas aimer personne. Donc pour t’aimer et te pardonner toi-même, il suffit que tu ressentes le désir de te dépasser et que tu acceptes que tu as toujours fait le mieux que tu pouvais.

-                     Et comment est-ce que je peux savoir que j’aime vraiment sans avoir fait avant l’expérience de l’amour? – demanda le Jeune Prince en toute logique.

-                     Ton amour est vrai quand tu mets le bonheur de l’autre avant le tien. L’amour vrai est libre et ne connait pas de limites. Il ne cherche pas à satisfaire ses propres nécessités, mais il se concentre dans le bien de la personne aimée.

-                     Je ne comprends pas comment je pourrais donner cet amour sans l’avoir d’abord reçu – insista le Jeune Prince.

-                     Ce que tu dis est très vrai. Parfois les humains nous avons la chance de recevoir l’amour inconditionnel de nos parents. D’autres, au moyen de la méditation, nous pouvons arriver à nous rendre compte que nous possédons une âme immortelle et pressentir l’amour de notre Créateur. Il y a des gens qui, après avoir lu les Évangiles, sente que Jésus aimait toute la race humaine avec perfection absolue, jusqu’au point d’offrir sa vie pour nous libérer de la peur de la mort et nous enseigner ainsi que nous sommes tous des êtres spirituels soumis à une expérience humaine. D’autres découvrent, à travers les paroles de maîtres illuminés, une compassion absolue envers toutes les créatures vivantes. Si tu la recherches avec sincérité, tu finiras par trouver une raison pour t’aimer et tu découvriras que tu es une créature unique et merveilleuse.

Je parlais avec grande conviction, mettant toute l’énergie possible dans mes mots, conscient qu’il n’existe pas de conquête plus complexe, ni en même temps plus sublime, que de soigner un cœur blessé. Il m’écoutait dans un profond et respectueux silence.

-                     Nous devons apprendre des enfants – continuais-je. – Ils sont rapides à pardonner; sinon la vie serait une succession de haines et de vengeances interminables. En plus, de quelles choses tellement terribles peux-tu de culpabiliser? De douter? Même les personnes avec une foi très solide ont eu des doutes. Accepte tes erreurs et aie confiance en la miséricorde de Dieu, parce que Lui t’a déjà pardonné. Et si tu doutes de l’existence de Dieu, demande-toi ce que tu gagnes à ne pas te pardonner. En plus, tu as suivi ta voix intérieure tel que tu devais, à la recherche de ton ami aviateur, pour lui demandé pourquoi il t’avait donné un carton qui ne pouvait pas contenir un mouton.

Il resta silencieux. Il était immobile, avec les yeux absents. Et il avait cessé de flatter Alas.

-          Je ne crois pas que tu doives te juger avec trop de sévérité pour avoir abandonné ta fleur. Les fleurs se fanent à la fin de l’été et renaissent au printemps.  D’une manière subtile, elle te poussait peut-être loin d’elle pour que tu ne puisses pas voir comment elle se fanait et que ses pétales tombaient.

        Je sentis sur moi la force de l’attention du Jeune Prince, comme si sa vie elle-même dépendait de chacune de mes paroles.

-                     Tu as abandonné ton petit monde, oui, mais pour en explorer un plus grand; toute élection implique un renoncement. Tous les changements signifient laisser en arrière quelque chose de nous-mêmes : c’est la seule manière de grandir et d’avancer. Non sans douleur, mais sachant que l’expérience nous enrichira. Peu à peu, nous nous débarrassons de l’accessoire et nous conservons uniquement l’essentiel, comme pèlerins qui en cheminement vers le sanctuaire, prennent conscience du poids de ce qui n’est pas essentiel.

Les mots venaient à ma bouche sans aucun effort, guidés par une connaissance qui semblait étrangère à ma volonté.

-                     Pour ce qui est de la plante, n’oublie pas que tu allais l’arracher. Tes préjudices te firent croire que toutes les plantes sont mauvaises parce qu’elles envahissent les espaces des hommes et des fleurs. Mais, est-ce que tu peux affirmer que cette plante était mauvaise en soi? Certainement pas, parce qu’elle ne faisait qu’accomplir en cela ce pourquoi elle avait été créée, être une plante. Comment peux-tu accuser une créature de recourir à quelque moyen pour survivre quand son existence même est en danger?

Cette fois le garçon me regarda avec surprise, mais ses lèvres restèrent fermées.

-                     Je ne crois pas que les choses soient bonnes ou mauvaises, sauf en relation avec nos nécessités ou avec l’usage que nous faisons d’elles. Mais si je devais, je dirais que, comme elles existent, elles doivent être bonnes. Dans le plan universel de la création, il est possible que beaucoup de choses qui arrivent aient un sens que nous ne comprenons pas encore. Est-ce que les plantes existeraient pour que nous devions les arracher et ainsi ne pas devenir paresseux? Est-ce que la douleur existerait dans le monde pour que nous puissions aimer et valorise le bonheur? Est-ce que la haine existerait pour que nous puissions faire l’expérience de la chance spirituelle du pardon? La vérité est que, sans difficultés, il serait impossible de s’améliorer comme être humains et découvrir notre vraie réalité. C’est dans les moments les plus critiques que nous manifestons à la lumière le meilleur de nous-mêmes.

Je respirai profondément et nous avons continué notre voyage matinal en silence. Il faut beaucoup de temps pour que surgisse en nous avec force la nécessité et le désir de pardonner.

Il est paradoxal que certaines personnes croient qu’en pardonnant aux autres, elles leur font un bénéfice, quand en réalité celui qui bénéficie plus du pardon est celui qui l’accorde. Les sentiments négatifs retournent toujours contre la personne qui les cultive, de manière qu’en ne pardonnant pas, en ayant de l’envie, en haïssant, c’est à nous-mêmes que nous faisons plus de mal.

Soudain, une phrase de Buda passa dans mon esprit comme un lièvre qui croise la route : «Celui qui me fera du mal recevra en échange la protection qui vient de mon amour et plus grande sera sa méchanceté, plus grands seront les bien qu’il recevra de moi».

 

Chapitre XVIII

 

 

A midi nous sommes arrivés à une ville reconnue pour un important hôtel et centre de conventions.

Ils l’avaient construit pour développer le tourisme dans la zone et faire connaître les attractions locales par des réunions d’entreprises et artistiques. Nous nous étions arrêtés là pour dîner, et quand nous allions ver la salle à dîner, nous avons vu à travers les portes ouvertes que le grand salon de conventions était plein de gens. Je regardai sans intérêt vers le salon, et je découvris avec surprise que  l’orateur était le père de famille que nous avions rencontré le jour avant. Il était en train de terminer un discours où il se présentait comme candidat, même s’il nous fut impossible de savoir pour quelle place ou fonction. Ses paroles nous frappèrent quand nous l’avons entendu dire :

-          … Vous pouvez avoir confiance en moi. Je ne vous décevrez pas.

Alors ses yeux se rencontrèrent avec le regard clair et pénétrant de mon ami le Jeune Prince.

J’eus le désir irrésistible de le démasquer en public, de dire à tout le monde que ce matin même il nous avait déçu en abandonnant un chiot sans défense.

Je vis avec répugnance que le visage de l’homme ne démontrait ni culpabilité ni honte, possiblement parce que ces émotions requièrent un grain d’humanité.

Cependant dans l’expression du Jeune Prince il n’y avait pas le moindre signe de rancœur ou de dureté, seulement une grande luminosité tellement intense qu’aucune ombre n’aurait pu éclipser.

Nous avons décidé d’entrer rapidement dans la salle à dîner, car les applaudissements pouvaient réveiller l’appétit du public.

Nous commencions à manger quand l’homme entra et, en nous voyant, il se dirigea directement vers notre table. Surpris que L’individu avait le front de venir à nous, je sentis que j’étais tendu.

Cependant, il semblait tranquille et relaxé. Il sourît et en arrivant il mit la main sur l’épaule du Jeune Prince et dit :

-                     Ce fut un merveilleux geste que tu as fait hier. Et je comprends parfaitement que tu te repentais de ta décision précipitée. C’est un chien très spécial, même si je dois te dire que les enfants ont eu une grande déception ce matin quand ils ne l’ont plus retrouvé.

-                     Je ne comprends pas – dis-je, en lançant un coup d’œil rapide au Jeune Prince, qui était assis immobile et impassible – Comment vous ne l’avez pas trouvé?

Mais le père, ne faisant pas de cas de mon interruption, continua :

-                     Si au moins vous auriez laissé une note disant, je ne sais, que vous aimiez beaucoup le chiot, c’aurait été plus facile d’expliquer aux enfants que...

-                     Écoutez, s’il vous plait – dis-je, cette fois sur un ton plus énergique, incapable de comprendre pourquoi il se montrait compréhensif et aimable, quand ce papier aurait dû nous correspondre. – Mon jeune ami ne s’est repenti de rien. Ce matin, sur la route, nous avons trouvé le chiot dans la forêt et nous avons supposé que…

-                     Que nous l’avions abandonné? – termina le père la phrase que je n’avais pas osé terminer – Abandonner ce précieux et petit chiot? Mais comment pouvez-vous penser une telle barbarie? – manifesta son désaccord l’homme avec indignation.

Après un incommode silence où je ne sus que dire, le type continua :

-                     Il se peut que vous m’ayez vu adopter une attitude sévère avec mes enfants, mais je ne suis pas une personne insensible et j’ai toujours essayé de ne pas être injuste. Je crois simplement qu’un peu de discipline est préférable à l’absence de limites.

Après avoir pensé un moment, il ajouta :

-                     Je ne comprends pas ce qui peut s’être passé, seulement que le chiot ait ouvert la porte du hangar durant la nuit et soit sorti dans la forêt. – Il se retourna vers le Jeune Prince et ajouta - : Les Kuvasz sont une race inquiète, tu le savais? C’est une chance que tu l’aies retrouvé.

J’avais perdu la parole, incapable de parler, comme un enfant surpris dans un mauvais coup.

-          Bien, je vous laisse. Bonne route – dit l’homme.

Tandis qu’il s’éloignait, la voix du Jeune Prince l’arrêta.

-          Où est-ce que je peux trouver les enfants? – demanda-t-il.

-                     Aux chambres 310 et 311. Ils seront heureux de te voir – dit l’homme en retournant la tête, et ensuite il continua vers une grande table où il était attendu pour une espèce de fête par rapport à sa candidature.

Même si je ne connaissais le Jeune Prince que depuis peu de temps, je pouvais m’imaginer ce qui allait se passer : la noblesse de son cœur était encore plus grande que l’affection qu’il ressentait pour Alas.

Quelques minutes après, la porte de la chambre 31 s’ouvrait et les cris des enfants se mêlèrent aux jappements d’enthousiasme du chiot : il avait retrouvé ses cinq bruyants amis.

 

 

 

                Ensuite, en conduisant, je me promis que la prochaine fois que j’aurais des doutes, j’essaierais de penser le mieux des gens et non le contraire. Je me suis rendu compte que ce n’est pas important combien de fois tu as été déçu, parce que comme j’ai décidé que la prochaine personne que je rencontrerai sera digne de mon amour et de ma confiance, je suis une personne plus heureuse et le monde me semble un meilleur endroit.

                Mes attentes positives par rapport aux gens et aux circonstances m’attirèrent des gens et des circonstances favorables. C’est comme si la réalité voulait nous faire plaisir, que nous espérions le meilleur ou le pire. Pour cela il est peut-être vrai l’adage qui dit : «Si penses que tu vas triompher comme si tu crois qu’un échec t’attend, tu ne te tromperas pas».

                En regardant discrètement le Jeune Prince, je vis que son expression était sereine. Je me rendis compte que durant toute la matinée, je ne lui avais pas entendu dire un seul commentaire négatif au sujet de cette famille.

                Moi, en supposant que ce n’était pas la faute des enfants, j’avais condamné le père dès le premier moment. Et ce qui est pire : en le voyant dans la salle je me rendis compte, que malgré toutes mes idées sur le pardon, je ne lui avais pas pardonné.

                Pour un instant, je compris que le garçon avait supposé la vérité dès le début et n’avait rien fait pour me libérer de mon erreur, mais je n’y pensai pas. En ce moment, les lèvres du Jeune Prince s’ouvrirent dans un lumineux et pacifique sourire…

                Peu de temps après, après avoir traversé la vallée, nous avons repris la route qui nous conduirait à la ville. Là j’étais attendu par des amis pour être le parrain de leur premier fils.

                Durant ce troisième jour, le Jeune Prince parla très peu. Il m’écoutait et retournait à ses pensées, comme si, pressentant la fin du voyage, il voulait absorber toutes mes expériences.

-          Parle-moi du bonheur et de l’amour – me demanda-t-il soudain.

-                     Toute une question! – dis-je avec un soupir. – Sur ce thème je pourrais parler plus que Sherezade dans Les mille et une nuits. Je vais essayer de te donner quelques idées de ce que serait la vie avec, ou sans, amour et bonheur, pour qu’ensuite tu puisses chercher ton propre chemin. L’expérience m’a enseigné qu’il n’y a pas de bonheur sans amour, compris comme une constante passion pour la vie et un permanent étonnement face à tout ce que nous percevons à travers nos sens, comme couleurs, mouvements, sons, odeurs ou formes.

-                     Tu veux dire – demanda-t-il – que nous devons mettre notre amour dans tout ce que nous faisons?

-                     Exactement. Et le faire passionnément, que ce soit dans le travail, dans l’art, dans l’amitié, dans les sports, dans l’aide aux autres ou dans l’amour. Le bonheur est aussi un équilibre qui exige la satisfaction de multiples nécessités humaines, à partir de celles de base, comme le manger, l’habitation, la proximité avec nos semblables et la stimulation, jusqu’aux plus élevées, comme la recherche de transcendance, l’amour, l’altruisme et la recherche du sens de sa propre vie, en passant par d’autres, comme la créativité, la reconnaissance, la productivité et le changement. Seulement notre intelligence peut satisfaire ces nécessités de manière harmonieuse selon notre personnalité et le programme de notre vie.

-                     Et comment est-ce que je peux savoir que je l’ai acquis? – demanda le Jeune Prince.

-                     Le bonheur – lui expliquai-je – plus que l’objectif final où arriver, comme s’il s’agissait de la dernière station d’un train, est en réalité la manière de voyager, c'est-à-dire de vivre.

-                     Un train…? – commença à dire le garçon.

-                     Ce n’est pas un sentiment passif – dis-je sans faire attention à son interruption. – Au contraire, il faut de l’attention et un effort quotidien pour l’obtenir.

-                     Pourquoi commences-tu toujours en disant ce que les choses ne sont pas? Tu économiserais la moitié du temps si tu ne faisais pas ainsi. – Et avant que j’eus le temps de faire quelque observation sur la bipolarité de notre univers, il insista : - C’est quoi un train?

-                     Un groupe de wagons tirés par une locomotive sur deux rails, que nous appelons voies – répondis-je de manière brève, en faisant un effort pour ne pas dire ce que ce n’est pas.

-                     C’est difficile de sortir de la route – observa le Jeune Prince. – Ce doit être impossible de le faire des voies.

Mon silence confirma son intuition.

-                     Sur cette planète il semble qu’il n’y a pas trop de marge pour la liberté – observa-t-il enfin.

Il semblait absurde de commencer une discussion sur la question du libre arbitre, et je continuai donc sur le thème précédent :

-                     Pour vivre heureux il faut défendre la liberté, mais aussi la vie, l’éthique, l’auto-estime, la loyauté et la paix. C’est un devoir de tous les êtres humains pour mieux vivre, et c’est aussi l’attitude la plus honnête pour nous-mêmes et le service des autres.

-          Que veux-tu dire par «vivre mieux»? demanda-t-il.

-                     Vivre mieux c’est retirer avec plénitude tout ce que nous offre la vie et attirer ce qui nous enrichit à partir des points de vue émotionnel, matériel et spirituel.

Je dus faire un effort pour m’arrêter là et ne pas lui expliquer que le contraire de vivre mieux est "survivre", qui implique de vivre avec le minimum possible. Il m’avait blessé dans mon orgueil et je ne voulais pas lui expliquer plus que le nécessaire, même si cela signifiait ne pas m’exprimer avec clarté suffisante.

-                     Il semble que tu doives avoir beaucoup de choses pour être heureux – dit-il.

-                     En réalité non, - dis-je rapidement. – Le bonheur dérive de l’être et non de l’avoir; c’est l’art d’admettre et d’apprécier tout ce que l’on possède déjà et non d’essayer d’obtenir ce que l’on n’a pas. Souvent, ce qui nous manque peut être source de bonheur, parce que cela permet que d’autres nous complètent. Si nous étions parfaits et que nous possédions tout, comment serait notre relation avec les autres? Quelqu’un a dit une fois que ce n’est pas notre force qui nous garde à l’abri durant la nuit, mais notre tendresse, qui fait que les autres veulent nous protéger. Le chemin le plus certain et direct pour le bonheur est de rendre heureuses les personnes qui nous entourent.

Après un moment durant lequel nous nous sommes regardés en silence, et en voyant que mon jeune ami m’écoutait avec attention, je continuai :

-                     Pour ce qui est de l’amour, je crois que la plus grande vérité qui s’est dite est qu’on apprend à aimer en aimant. Nous avons tous la capacité d’offrir de l’amour, même si ce n’est que par un sourire, qui enrichit autant celui qui le donne que celui qui le reçoit.

-                     Je crois que notre planète serait très agréable si ses habitants se saluaient avec un sourire quand ils se rencontrent – dit le Jeune Prince.

-                     L’amour vrai – continuais-je – se concentre sur ce qui est bon pour l’autre personne et s’oublie elle-même. Pour cet amour, capable de tout accepter et de tout pardonner, il n’y a rien d’impossible. Si nous traitons les autres comme ce qu’ils sont, ils seront toujours les mêmes, mais si nous les traitons comme ce qu’ils pourraient être, ils arriveront à leur plénitude. Celui-là est un amour altruiste, qui perfectionne tout ce qu’il trouve sur son chemin et ne laisse rien indifférent.

-                     Même avec beaucoup d’amour, tu ne peux pas tout résoudre – répondit mon ami, peut-être encore pris de nostalgie pour sa fleur, sur un astéroïde perdu dans l’espace, avec deux volcans à la veille de faire éruption.

-                     Mais tu peux toujours faire quelque chose, ne l’oublie pas – répondis-je. – Aimer, c’est ne pas renoncer à faire ce qui est possible. Et si c’est tout ce qui te reste, tu découvriras que l’amour est plus que suffisant.

-                     Ce doit être très triste de ne pas être aimé – observa-t-il.

-                     Plus triste est de pas être capable d’aimer – dis-je, avant d’ajouter : - Certains considèrent le mal comme une puissante force qui s’oppose à l’amour. Je crois que la plus grande tragédie dont on peut souffrir est de ne plus aimer. Le manque d’amour est l’enfer.

-                     Et que se passe-t-il si tu commets une erreur et tu fracasses dans l’amour?

-                     Je ne vois pas les erreurs comme des fracas, car nous apprenons à travers eux. L’unique vraie erreur est de ne pas essayer une autre fois, de manière différente et créative, parce que si tu te limites à répéter ce que tu as déjà fait, tu retrouveras seulement ce que tu avais obtenu. Donc on ne peut pas fracasser dans l’amour, la seule erreur est de ne pas aimer.

-                     Et comment est-ce que je peux savoir qui mérite mon aide et mon amour? – demanda le Jeune Prince.

-                     Souvent nous gardons notre aide pour l’offrir seulement à ceux qui la mérite.

 

 

C’est une grand erreur, parce qu’il ne nous revient pas de juger les mérites des autres, ce qui d’ailleurs est très compliqué, nous n’avons qu’à aimer. C’est la même chose qu’avec le pardon, celui qui aime le plus est celui qui s’enrichit le plus. Après tout, si Dieu aime également tous les êtres humains, pourquoi devons-nous exclure les uns et préférer les autres? Tu as de la peine pour ceux qui profitent de ta bonté. Et, enfin, si tu utilises ta vie pour découvrir le meilleur des gens, tu finiras par trouver le meilleur de toi-même.

-                     Et la peur de la mort – demanda-t-il tout à coup – m’empêche-t-elle d’être heureux?

-                     Beaucoup de gens se préoccupent pour la fin de leur vie. Ils devraient plutôt se préoccuper pour lui donner un réel commencement et s’assurer qu’elle donne des fruits. Je crois que les âmes ne se perdent pas et que nous arriverons tous finalement à notre destin, mais si alors nous sommes jugés, je suis convaincu que la demande sera : «Combien as-tu aimé?». On ne nous demandera pas «Combien as-tu gagné?», mais plutôt «Combien as-tu donné aux autres?». La grandeur apparente n’importera pas, si elle n’a pas été au service des autres.

Après une brève pause, et avec une émotion à dure peine contrôlée, l’ajoutai :

-                     Sais-tu une chose? L’amour est plus puissant même que la mort. Mon frère aimait les ailes. Ses ailes étaient de différentes couleurs. Ils disent qu’il est mort, mais il est toujours vivant dans nos cœurs. Depuis ce jour je crois que les seuls qui sont réellement morts sont ceux qui n’ont jamais aimé et ceux qui déjà ne veulent pas aimer.

-                      

Chapitre XIX

 

Nous étions arrivés à la périphérie de la ville où mes amis m’attendaient. Mais personne n’attendait le Jeune Prince, qui n’était même pas sur sa propre planète. L’idée m’attrista et je l’invitai à venir avec moi.

-                     La vie a été généreuse avec moi – dis-je – et j’aimerais t’aider si tu en as besoin.

-          Merci – répondit-il – mais tu as déjà fait beaucoup…

                Au même moment, déjà près du centre ville, un feu de circulation nous arrêta. Un vagabond s’approcha de la voiture et tendis la main vers nous. Quand le garçon baissa la fenêtre, il nous arriva une forte odeur d’alcool.

-          As-tu de l’argent ?– demanda mon jeune ami.

-          Je crois qu’il ne me reste pas de change – répondis-je.

-          Donc alors donne-moi ce que tu as – insista-t-il.

-                     Es-tu certains? – dis-je avec un ton de doute tandis que j’essayais de sortir le portefeuille, qui était coincé dans la poche arrière de mon pantalon. – Il va tout le dépenser en boisson.

En ce moment le feu de circulation devint vert et le véhicule qui venait derrière nous nous fit signe d’avancer, tandis que le vagabond restait incliné à la fenêtre.

-                     Avance au côté et laisse-le passer – me demanda mon ami et je vis qu’il était impossible de le contrarier – Tu viens de me dire que nous devions donner sans regarder à qui. Bien, ici il y a quelqu’un qui nous demande de l’aider.

-                     Je ne crois pas que dans ce cas, l’argent résolve ses problèmes – dis-je, même si normalement j’essais d’aider sans penser à cela.

-                     Le vin l’aidera peut-être à les porter –répliqua-t-il. – A moins que tu veuille entendre son histoire, connaître comment tu peux l’aider vraiment… Tu sais? – ajouta-t-il, comme illuminé par une nouvelle pensée – Je crois que c’est une grande idée. Je vais passer la nuit ici. Je peux peut-être faire quelque chose pour lui, et sinon, un peu d’attention et de compagnie lui feront certainement du bien…

-                     Mais tu ne peux pas rester ici, ainsi, dans la rue, sans savoir qui est cet homme.

Le Jeune Prince interrompit mes objections.

-                     N’oublie pas qu’il y a trois jours, moi aussi j’étais au bord d’une route et tu m’as aidé. Quelle est la différence? Notre aspect? Tu as dit toi-même que nous ne devons pas nous laisser guider par les apparences. Tu as déjà fait ta bonne action, maintenant laisse que je puisse faire la mienne. Va avec tes amis qui t’attendent, moi je peux être plus utile ici.

Et alors il ajouta, comme s’il venait de penser à quelque chose :

-          Viens demain matin, j’aimerais te saluer.

Et disant cela il descendit de la voiture et alla s’asseoir avec le vagabond. Voyant que j’étais indécis si partir ou non, résistant à l’idée de le laisser là, il me fit signe de partir.

Je ne pouvais pas arrêter de penser au Jeune Prince et aux circonstances dans lesquelles nous nous étions séparés. Les probabilités qu’il pourrait avoir une conversation rationnelle avec le vagabond étaient minimes, parce quand quelqu’un décide de prendre un chemin d’autodestruction, c’est très compliqué de l’en dissuader. Il y avait même la possibilité que l’homme réagisse avec violence à quelque essai de l’aider. Cependant mon ami était capable de rendre l’impossible facile, si est-ce qu’il y avait quelque chose d’impossible pour ce cœur pur et ce sourire transparent. Mais assis là au coin de la rue, avec sa casquette vers l’arrière, il avait le même aspect de n’importe quel garçon sans foyer.

Durant la fête, tandis que je partageais la joie de mes amis, l’image du Jeune Prince se dessina dans ma tête comme une épine qui ne cause plus de douleur. Cependant, en allant dormir je ne pus faire à moins de comparer mon lit mou et chaud avec le froid et dur trottoir. Durant un instant j’eus la tentation d’aller le chercher et je sortis même de la maison, mais quelque chose me dit que je ne devais pas désobéir à son ordre. J’ouvris la fenêtre. C’était une agréable nuit de printemps, même si la brise était un peu fraîche. La faible lumière de la lune palissait à peine l’étoile du matin. En levant les yeux, je restai bouche ouverte devant le ciel plein d’étoiles de la Patagonie. Même ceux qui le connaissent se surprendront encore si seulement ils s’arrêtent et lèvent les yeux…

 

Chapitre XX

 

Comme j’avais laissé la fenêtre ouverte pour me sentir plus près de mon jeune ami, les premières lumières de l’aube me réveillèrent. Je me vêtis rapidement et, sans déjeuner, je me rendis à l’endroit où nous nous étions laissés.

                L’inquiétude que je ressentais dans la bouche de l’estomac disparut en le voyant parler avec le vagabond, comme s’ils étaient de vieux amis.

-                     Bonjour – dit-il, tandis qu’il s’approchait pour me saluer, aussi frais que s’il avait dormi sur un lit de roses.

-                     Bonjour – répondis-je, et pris par une certaine curiosité, je demandai : - Bien, raconte-moi, quelle est son histoire?

-                     Il s’agit d’une bonne personne, un universitaire de bonne position économique. Durant un test de routine, ils lui diagnostiquèrent une maladie terminale : il lui restait à peine deux ou trois mois de vie. Il sortit de l’examen complètement désespéré et, pour enlever la souffrance à sa famille, il décida de mettre fin à sa vie. Heureusement il n’eut pas le courage ou plutôt la lâcheté de le faire, ainsi il commença à marcher, prit le premier train qu’il trouva et il voyagea jusqu’ici, où décida de renoncer à tout.

Un sourire se dessina sur le visage du Jeune Prince en voyant ma surprise, preuve palpable qu’une fois de plus, j’avais mal jugé une personne et sa situation.

Mais il continua alors avec le récit, sans démontrer que, de nouveau, il m’avait surpris en faute.

-                     Je pris toute la nuit pour le convaincre qu’il doit retourner à la maison et laisser que sa famille l’entoure de son amour et de ses soins, ce qui est peut-être une manière de remettre une partie de ce qu’ils ont reçu de lui. L’amour, même s’il n’est pas éternel, peut être infini quand il s’offre.

-                     En effet – dis-je, ému par cette histoire. – J’ai entendu dire plusieurs fois que ces derniers moments de la vie peuvent être les plus intenses que toutes les années antérieures. Je crois que le temps n’est pas nécessairement linéal. Quelle merveille si nous pouvions vivre chaque jour comme si c’était le dernier! Combien de choses ferions-nous et combien nous refuserions de faire! Et en plus, je suis convaincu que la mort vient à nous d’elle-même quand nous avons appris tout ce que nous sommes venus apprendre en ce monde. – Finalement je demandai à mon ami - : Et que vas-tu faire maintenant?

-                     L’accompagner de retour à la maison et rester avec lui et avec sa famille tout le temps qu’ils auront besoin. En plus, il ne faut jamais écarter la possibilité d’un miracle – ajouta-t-il en souriant. Et avec un clin d’œil, il ajouta - : Les diagnostiques se trompent parfois, tu sais?

Après cela, il m’embrassa. Je ressentis un courant électrique recourir mon corps, comme si chacun de mes nerfs, mes artères net mes cellules se chargeaient d’une énergie renouvelée. J’eus la sensation d’être pour un moment suspendu dans l’espace. Quand il se sépara de moi, j’admis, encore ému et lui faisant aussi un clin d’œil :

-                     C’est certain, nous ne devons jamais douter de la possibilité d’un miracle.

Le vagabond semblait lui aussi plein d’une nouvelle vitalité et son visage sale et triste semblait avoir repris une expression et bonté et presque prophétique.

Tandis qu’ils s’éloignaient, il me sembla qu’ils portaient avec eux une nouvelle lumière dans les rues de la ville encore endormie.

Soudain je commençai à le voir d’une manière différente. Je senti que c’était le Jeune Prince qui m’avait guidé par ses questions, de celles dont je connaissais déjà les réponses. C’était moi, celui qui devait se laisser accabler par les problèmes. Moi, celui qui ne devait pas se convertir en un fantasme ni en une personne sérieuse. Moi, celui qui devait sentir plus d’affection pour un animal que pour une machine, celui qui ne devait pas m’attacher au passé ni au futur, pour vivre dans le présent, celui qui devait oublier «l’avoir» pour me concentrer sur «l’être». Celui qui devait laisser de m’engager dans les moyens, pour m’orienter vers les finalités. Celui qui devait croître dans l’amour pour être heureux.

Mon ami s’était limité à me laisser découvrir le meilleur de lui pour que je puisse trouver le meilleur en moi.

C’avait été un miracle qui m’avait intègrement transformé en trois jours. Un de ces prodiges qui arrivent sans que personne ne les voit, parce que les miracles de l’amour sont aussi immenses que simples.

Des larmes de bonheur m’assombrirent la vue. Et alors c’est moi qui dû dire «Merci», malgré que déjà il se trouvait trop loin pour m’entendre. Cependant, à ce moment précis, il se retourna et souri. Même à cette distance, l’éclair de cette lumière tellement blanche m’aveugla et je sus que tout  l’univers souriait avec lui.

 

 

ÉPILOGUE

 

C’était l’histoire de mon voyage, cher lecteur, et pour cela je me hâte de l’écrire, pour que tu ne te sentes pas triste.

                Je crois que tu seras d’accord avec moi que la vie est maintenant plus belle et que nous ne devrions pas être tellement préoccupés, car le Jeune Prince est revenu, et cette fois pour rester avec nous.

                Je ne l’ai pas revu depuis lors. Mais chaque fois que je souris et que j’ai l’occasion de me montrer aimable avec une autre personne, ou de faire quelque chose pour elle, je sens comme si une vague se mettait en mouvement. Et si cette personne que j’ai aidé tend la main et sourie à une autre, nous devenons une marée qui arrivera partout. Pour cela, quand je me souviens ou pense au Jeune Prince, je commence une de ces vagues avec la certitude qu’elle arrivera jusqu’à lui. Et de la même manière, depuis le matin où je l’ai vu pour la dernière fois, si je suis triste et que quelqu’un me sourie, je sais que très proche ou très loin de là le Jeune Prince a sourit.

                Parfois, en passant dans un parc et voyant un groupe d’enfants qui jouent, je me découvre à essayer de le trouver parmi eux. Mais alors je me souviens de mes propres mots : «Tu ne dois pas te fermer aux autres pour chercher ton ami». Et je comprends que je ne dois pas continuer à le chercher, car je peux le découvrir dans les autres avec les yeux du cœur.

                Dans ma vie il y eut de longues nuits durant lesquelles je cherchais un ami de ville en ville et de frontière en frontière, jusqu’à ce matin où je le trouvai souriant dans mon cœur…

                C’était une belle nuit de printemps, même si l’air était un peu frais. La pâle lumière de la lune éclipsait à peine l’étoile du matin… !C’est alors que je compris que je devais lever les yeux au ciel!

                Soudain arriva quelque chose d’étonnant. Les étoiles semblèrent me sourire d’en haut et comme la brise se levait, elles sonnèrent comme cinq cent millions de grelots.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce livre est dédié :

 

                D’abord à Noëlla, comme sens qu’elle doit accorder à  la vie, in memoriam de l’anniversaire de naissance.

                À Linda (en tant que (future) juriste aux procès de la vie), qu’elle tranche la justice en  portant en elle « le Petit Prince. »

                A Guillaume, Crispie, Stéphane, Germain,…  soyez comme ce petit vaillant avec innocence de visage et de  cœur.

 

                A Jésus, le Christ, la lumière qui nous guide sur le chemin.

 

                A Antoine de Saint-Exupéry, pour m’avoir donné la force nécessaire de transmettre l’innocence et la pureté du cœur qu’il nous recommandât de conserver.

 

                A mes frères, mes chers frères et sœurs, amis de la famille Ephata et tous les lecteurs, parce qu’en le partageant avec eux mon bonheur se multiplie.

                A nos maîtres difficultés que nous rencontrons  dans le chemin, parce que en modelant et calmant nos caractères.

                Au  Jeune Prince (qui est présent en chacun de nous)  pour nous avoir donné une autre opportunité de le retrouver et  de nous rendre si heureux.

 

 « Ne soyons jamais des bâtisseurs de mûrs entre les personnes, plutôt des bâtisseurs de ponts entre les hommes. »

 

  Traduit du portugais en français par

·         Le P. Clovis

·         Jean-Louis.

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