INTRODUCTION
De
façon unanime, tout le monde s’accorde sur un certain nombre d’expressions qui
caractérisent à proprement l’homme, comme par exemple : « L’homme est un être rationnel »,
« l’homme est naturellement capable
de distinguer le vrai du faux, le mal du bien, le beau du laid », « l’homme est… ». Ces expressions
héritées et enracinées dans les grandes écoles de l’anthropologie philosophique
valent pour toutes les cultures humaines. Loin d’être simplement des dogmes, il
s’agit là des vérités apodictiques et assertoriques sur la nature de l’homme.
Preuve : l’expérience de la vie en société nous le prouve chaque jour que
l’homme, en dépit de ses inclinations, se conduit de manière rationnelle.
Mais,
paradoxalement, pendant que plusieurs anthropologues exaltent ainsi l’homme,
l’histoire humaine nous met en contact des expériences qui contredisent cette
nature tant louée. Le nazisme, le racisme,… Bref le MAL s’affirme. Serait-ce la
raison qui justifierait qu’il existe en l’homme des dualismes littéralemlt
opposés, renversant toutes les tentatives de définition de l’homme ? Il
est à la fois dans sa nature mâle et femelle (animus et anima quant à sa
manière de faire), à la fois sapiens et demens (rationnel et folie), à la fois
oeconomicus et ludens (champions de ses propres intérêts et capable de
désintéressement), à la fois prosaïque et poétique (il a les devoirs et la
liberté)… Bref, l’homme est à chaque fois tiraillé. Son être à lui-même semble
lui faire problème, car il est conflictuel de l’intérieur.
De
ce constat, nous croyons utile de questionner à nouveau frais ce paradoxe
humain : Pourquoi dans ce monde, certaines personnes constituent-elles des
véritables modèles en actes pendant qu’à certaines autres l’histoire et le
monde ne semblent pas leur pardonner les inconséquences de leurs actes ?
Le choix du bien pourrait-il constituer un privilège réservé à certains hommes
et refusé à d’autres ? Pourquoi l’homme, en dépit des potentialités
humaines (parce que nous partageons l’idée de l’universalité humaine de la
raison), peut-il agir mal et le regretter ?
Comme
cela apparaît dans cet ensemble des questionnements, nous accordons de l’importance au processus
qui conduit l’homme à opérer un choix. Bien mieux, nous entendons analyser ce qui influence l’homme à opérer un choix
pour une action à entreprendre. Ce processus, nous retrouvons dans l’étude de
la DELIBERATION. Cette petite recherche
contribuera certainement à créer en l’homme la responsabilité et
diminuer l’inauthenticité après les actes.
Nous
voudrions subdiviser ce travail en trois parties. La première cherchera à
définir, à travers l’exploration des thèses de Bernard LONERGAN et d’Aristote,
ce qui constitue les contours du problème de la délibération. La deuxième
partie, se donnera d’analyser ce qu’on appelle Jugement de valeurs, élément
très essentiel qui concourt à l’action. Et la dernière partie voudra expliquer
finalement ce qu’est le mal, en voulant savoir si c'est la liberté qui
l'engendre.
Première Partie : QU’EST-CE QUE LA
DELIBERATION ?
Bernard LONERGAN cherche à définir la
délibération en partant des considérations épistémologiques. Définir la
délibération est avant tout savoir comment nous formulons les jugements de
valeurs, c’est-à-dire comment nous parvenons à dire que ceci est bon et cela
est mauvais. La délibération prend sa base dans le processus de la formation
d’un jugement de valeur « qu’est-ce qui nous permet de dire que ceci est
bon ou mauvais ? » Bernard LONERGAN distingue trois aspects qui
entrent en jeu dans le processus de la délibération : l’aspect cognitif
(la raison), l’aspect affectif (le sentiment) et l’aspect volitionnel (la
volonté). Il s’agit ici de la même chose qu’Aristote affirme : « Or il y a dans l’âme trois facteurs
prédominants qui qui déterminent l’action et la vérité : sensation,
intellect et désir »[1]
A. L’ASPECT COGNITIF
D’après
cette perspective, la raison a une place de choix dans le processus de
délibération. Et il faut ici se rappeler de l’Ethique
à Nicomaque d’Aristote où celui nous fait part de la nature de la
délibération. Avec ARISTOTE, la délibération n’apparaît pas comme un souhait,
c’est un acte qui dépend du sujet. D’où il écrit : « … nous délibérons sur les choses qui
dépensent de nous et que nous pouvons réaliser… »[2]Ce
passage veut simplement renforcer l’idée selon laquelle la délibération est une
opération de l’intelligence qui atteste la possibilité ou l’impossibilité du
choix. Il continue plus loin : « …sont
possibles les choses qui peuvent être réalisées par nous… »[3]Et
pour renchérir, il conclut : « Nous
délibérons non pas sur les fins elles-mêmes, mais sur les moyens d’atteindre
les fins. »[4].
Voici de façon succincte la nature du délibérable. L’idée de la délibération
apparaît donc le plus claire. Elle est la phronesis (la sagacité). Et celle-ci
n’est rien d’autre que l’art de bien
faire les choses, au bon moment, pour une bonne cause et dans des bonnes
proportions. C’est la question de la vigilance intellectuelle et alors
commence à apparaître plus clairement la notion aristotélicienne de la vertu
comme juste milieu. Le trop et le moins ne conduisent toujours pas au bien.
Cet
aspect de traduit chez Bernard LONERGAN par ce qu’il appelle insight délibératif, la perspicacité
intellectuelle, discursive, rationnel. Ce n’est point l’intuition. Compris dans
ce sens, la délibération est une activité heuristique, c’est-à-dire la
recherche de la vérité.
B. L’ASPECT
AFFECTIF
Il
s’agit de trouver le rôle du sentiment dans le processus de la délibération. Il
faut se rendre à l’évidence que l’homme n’est pas seulement un être rationnel
tel que présenté plus haut, mais il est aussi un être sentimental. En effet,
l’homme n’agit pas toujours en fonction de la raison, mais il est aussi
foncièrement guidé par les passions, les feelings. Plus précisément, il est habité
par un sentiment très profond : l’amour. D’où, l’on pourrait, à la suite
de Max Scheler, définir l’homme comme un ens amans, un être amant (un cœur
amant, selon Jésus le Christ).
Dorénavant en matière de l’analyse de la délibération, le sentiment doit être
pris au sérieux et non pas relégué au dernier plan.
D’abord,
qu’est-ce que le sentiment ?
- Chez
ARISTOTE, il y a une indication sur l’idée du sentiment : le
sentiment n’est pas une « superstructure »
ajoutée à l’homme, mais il fait partie de la nature de l’homme. Son
rôle : les sentiments jouent un rôle important dans la recherche du
bonheur. Il sied pourtant de signaler le risque d’exagération, le risque de passion. En effet, lorsque l’on fait de l’amour une passion (et donc un amour
excessif), il peut l’homme déséquilibré. Démocrite quelque part dans ses Fragments : Désirer violemment une
chose, c’est rendre son âme aveugle pour le reste.
- David
HUME, lui, découvre dans les sentiments le fondement par excellence de la
réalisation du bien ou du mal. Car, estime-t-il, ce sont les sentiments qui
poussent l’homme à agir ou à ne pas agir. Pour lui, la raison doit être esclave
des sentiments. Point de vue que nous retrouvons également dans les systèmes
utilitariste, pragmatiste, intuitionniste, épicuriste, hédoniste,… où l’homme
apparaît comme étant fondamentalement sentiment, désir.
Bernard
LONERGAN veut trouver l’essence du sentiment. Il la découvre dans l’idée du
« désir de ». D’où le parallélisme qu’il établit entre sentiment et
désir. Dans cette optique, le sentiment est toujours et déjà là come intention.
Bien mieux, sentiment et intentionnalité (Husserl). Et dans le domaine moral,
le sentiment est l’équivalent du désir (vouloir) du bien. Et dans le domaine
épistémologique, c’est le désir de connaître la vérité. Ce désir est pur et
désintéressé. Mise en garde : il est important de ne pas confondre
sentiments et penchants (en Anglais biais). Les penchants, c’est l’ensemble des
inclinations qui nous donnent la tendance à agir toujours de la même manière.
Inconvénients : les penchants déforment, désorientent et bloquent la
réalisation du bien.
Bernard LONERGAN dresse une typologie des
penchants :
1.
Les
inclinations dramatiques : c’est l’ensemble des images
non voulues (surtout dans le domaine de la sexualité) qui envahissent l’esprit
et déforment le jugement. Ils plongent dans des émotions que nous n’arrivons
plus à contrôler (névrose) où on n’est plus soi-même.
2.
Les
inclinations individuelles : la tendance à l’égoïsme (le
souci excessif pour ses propres intérêts)
3.
Les
inclinations par rapport au groupe : une forte tendance à
s’identifier à un groupe, un parti politique, à une tribu, à une race,…
4.
Les
inclinations générales : c’est la tendance à mettre
l’accent sur les solutions pratiques avec grand avantage des résultats
pratiques, mais éphémères.
A
partir de cette distinction des penchants ou inclinations, distinction qui
permet de bien comprendre le risque de déformation du jugement dans le
processus délibératif, Bernard LONERGAN présente, à la suite de Max SCHELER[5], la typologie des
sentiments divisés en trois groupes.
- Les sentiments non intentionnels : ce
sont les états qui n’impliquent de valeur morale : la faim, la soif, la
fatigue, la colère, la peur… Ces sentiments sont provoqués par le désir de
satisfaction biologique qui crée la sensation du bien-être.
- Les sentiments intentionnels à
l’agréable et au désagréable :
ce
sont les sentiments liés aux sens, à la partie sensitive de l’homme. Autrement,
ce sont les sentiments ayant trait au désir charnel. Ils arrivent par stimulis
et sont passagers. Ces sentiments, nous les partageons avec les animaux.
- Les sentiments intentionnels aux valeurs : c’est
l’ensemble des sentiments (psychiques) d’approbation. Ces sentiments nous font
ressentir le besoin de faire le bien. LONERGAN appelle ces sentiments les impératifs sentimentaux, les préceptes
transcendantaux, et les voici :
1.
Sois
attentif : le sentiment d’être éveillé, de ne pas être
distrait, égoïste, être conscient de ce qui se passe autour de soi.
2.
Sois
intelligent : le désir des réponses aux questions
3.
Sois
raisonnable : ne pas être excessif, être réaliste, avoir
l’ouverture
4.
Sois
responsable : être heureux de s’assumer
5.
Sois
amoureux : au niveau de la relation
Ce
parcours dans l’étude des sentiments nous permet d’affirmer qu’ils jouent un
rôle très important dans le processus de la délibération. Le sentiment est un
désir pur, désintéressé ; il est peut être corrompu lorsque nous en
faisons un penchant. D’où la nécessité de l’éducation car tous les sentiments,
tels que nous venons de le voir, ne sont toujours pas bons.
C. L’ASPECT VOLITIONNEL
Dans
la volonté, on trouve un moment crucial ; le moment de la décision. Elle
nous pousse à dire oui ou non, à être d’accord ou à ne l’être pas. Mais
qu’est-ce que décider selon Bernard LONERGAN ?
Tout
d’abord, disons ce que décider n’est pas : la décision n’est pas un
jugement de valeur. La décision n’est pas une délibération. La décision n’est
pas non plus une exécution. Elle n’est nullement le désir, ni encore moins une
imagination. Positivement donc, la décision est le fait de dire oui ou non à
une action à entreprendre ; la décision est un acte de liberté ; la
décision implique la connaissance des faits (car il n’existe pas de décision sans
connaissance). Bref, l’essence de la décision est dans la liberté et la responsabilité.
D’où,
le mal peut donc être défini comme l’échec de la liberté à choisir le bien.
C’est le fait de dire oui à la place de non, de dire non à la place de oui. Le
bien, c’est la liberté qui opte de choisir les valeurs, le vrai… C’est le
résultat de la liberté à suivre les impératifs sentimentaux.
Deuxième
parie : LE JUGEMENT DE VALEURS
Nous
venons n’analyser les différents aspects qui impliquent une bonne délibération.
D’où nous avons cette définition : la délibération est un processus
holistique qui implique l’aspect cognitif, l’aspect affectif et l’aspect
volitionnel. Alors qu’est-ce qu’un jugement de valeurs ? Tout jugement qui
prend en compte toutes ces dimensions est digne d’être appelé jugement de valeurs. Et c’est seulement
de cette façon que l’on sera véritablement en mesure de faire le bien et
d’éviter le mal. Comment intégrer ces différents aspects qui semblent s’opposer
les uns aux autres ? En partant de la théorie aristotélicienne de
causalité[6], à savoir la cause matérielle, la cause
formelle, la cause efficiente et la cause finale. En morale, il y a en premier
l’existence du désir du bien, ensuite il y a la validation par la raison, et la
volonté s’y mêle suivie de l’exécution.
Mais
comment du jugement des valeurs, on peut passer à la réalisation du
bien ou du mal? Qu'est-ce que finalement la liberté veut dire dans le
processus qui mène à l'action ?
Troisième Partie
LES PARADOXES DE LA DELIBERATION
Socrate,
Platon et Aristote
Nous
voudrions chercher à répondre aux questions suivantes : la délibération
conduit-elle nécessairement au choix du bien? Pourquoi pas ? Pourquoi le
choix du mal ? Qu'implique vraiment la liberté en morale?
a.
Socrate
Les premiers philosophes avaient l’idée que la nature est une, et que
ses lois sont constantes, nul ne peut les changer. Voilà que Socrate dans le Phédon, cherchait lui aussi la véritable
cause, non ce sans quoi la cause ne serait pas cause. Mais comment ?
« Supposant toujours que la raison
me paraît être la meilleure, toutes les explications qui me paraissent
s’accorder avec elle, je les prends pour vraies, et celles qui ne lui sont pas
conformes, je les rejette comme fausses. »[7] Expliquer une chose est,
selon Socrate, en rendre la raison, la rapporter à la raison comme à sa source.
Or la raison ne se trouve point dans les moyens, mais dans la fin. La fin est
en effet la seule et la véritable cause ; elle ne peut se réaliser qu’en
étant présente à une intelligence qui pense, organise et ordonne les moyens. La
cause finale n’est qu’une cause pensée. Socrate distingue deux ordres :
l’ordre idéal et l’ordre réel. Dans le premier, l’acte est d’abord pensé, puis
les moyens. La fin y est la cause des moyens. Mais dans l’ordre réel, les
moyens se réalisent et l’acte en dernier. La fin est l’effet des moyens. La fin
est une vraie cause quand elle est pensée. Toutefois, il faut savoir que
l’ordre idéal est la cause de l’ordre réel. Quelle implication de tout ceci
pour la morale ? Et plus précisément, le paradoxe du mal ?
Les actes humains s’expliquent par la pensée
qui les règle, par le but qui les attire. Ceci implique que tout homme qui agit
avec intelligence doit rendre raison de ses actes selon le principe que la fin,
le but est la raison des actions. Plus loin, il affirme que les hommes
choisissent parmi les choses possibles, celles qui leur sont utiles. Mais par
le fait d’être doué de raison, l’homme doit agir en vue de l’utilité la plus
élevée (le degré le plus élevé de l’utile). Quelle conséquence de tout
ceci ?
Parce
que l’homme va au bien, le cherche et y aspire naturellement, la fin de ses
actes il ne la choisit pas ; il la reçoit toute faite. La fin est de la
nature des choses, les actes de l’homme devront donc aussi l’être. Paradoxe : si l’homme cherche naturellement le bien, ne jouit-il pas de la liberté
de choisir les voies et moyens qui l’y
conduisent ?
Pour
Socrate, la réponse est non. Toute
action doit s’expliquer par la pensée qui la règle et la dirige. Par le fait
que la fin est nécessairement imposée, tous les moyens le sont aussi. Et donc
la délibération n’a pas son sens pour Socrate, car on ne peut être indéterminé
en face du bien. Et donc, faire le mal en connaissant le bien, ce n’être ni
sage, ni raisonnable. On ne peut rendre raison de cet acte parce qu’on agit
contrairement à la raison. Il refuse alors que l’on connaisse le bien quand
fait le pire. D’où « nous faisons le
mal par ignorance ».
Socrate
a un principe inexorable: connaître la justice implique selon lui être juste.
Si le désordre existe dans le monde, estime-t-il, s’il y a encore tant de
méchants, c’est que le bien n’est pas encore connu. Il faut donc s’instruire
pour éviter le mal. Socrate considère la maîtrise de soi (affranchissement des
passions) comme la vertu excellente. Mais n’y a-t-il pas un principe qui doit y
conduire, ce qui serait la volonté?
b.
Platon
Dans
le monde intelligible, l’Idée du Bien est principe de toute action. Là,
l’hésitation n’est pas au pouvoir de l’homme car l’intelligence domine et
commande la volonté. Dans le monde sensible (de l’opinion), nous ne contemplons
pas les choses en elles-mêmes ; nous ne voyons que les images, les
fantômes, les apparences qui créent des doutes. Dans ce monde, « nous ne pouvons dire que nous savons, mais
il nous semble, il nous paraît.»[8] Les actes ne sont ni bons,
ni meilleurs, mais ils nous semblent bons, meilleurs. Dans le monde des apparences
souvent trompeuses, il arrive malheureusement que l’homme choisisse; il choisit
l’apparent du bon ou du meilleur. Quelle leçon morale tirer de cette théorie
des deux mondes ?
Platon
reconnaît trois parties de l’âme : la
raison (située dans la tête, son objet est le monde idéal, le Bien
suprême), le cœur (dans la poitrine,
il est le principe des affections désintéressées et des aspirations
supérieures) et l’appétit sensitif (dans
le bas-ventre, il est le principe des inclinations inférieures). La raison tend
invinciblement au vrai et au bien ; l’appétit sensitif vers le mal, le
faux. « De même entre le monde sensible et le monde intelligible se trouve le
monde de l’opinion, de même entre la
raison et l’appétit il y a le cœur. »[9] C’est dans cette région
moyenne (entre l’infaillibilité du bien et du mal) que Platon place le libre
arbitre (l’indétermination), la liberté, ce qui dépend de nous. Pour Platon,
posséder la liberté n’est pas une perfection, mais une imperfection ; ce
n’est point une puissance, mais une impuissance. La puissance de choisir est
d’après Platon le privilège d’une classe d’hommes intermédiaires entre les bons
et les méchants, entre les avants et les ignorants.
c. Aristote
Aristote
croit à l’indétermination des actes de l’homme, à un libre arbitre. Le pouvoir
de l’homme vient du choix qu’il a sur ses actions.
Premièrement,
il trouve en l’homme la spontanéité (ce qui s’oppose à la force). Mais ce n’est
pas le privilège de l’homme adulte qui possède un pouvoir sur ses actions, elle
appartient aux enfants et aux animaux. La spontanéité est l’absence de la
volonté ; pourtant la puissance de l’homme se rencontre dans la volonté.
Celle-ci a pour objet la fin. La volonté se définit selon lui comme l’appétit
de l’intelligence ; elle échappe en la puissance de l’homme.
Deuxièmement,
la seule chose qui est en la puissance de l’homme est le choix. Ce qui conduit
au choix est la délibération. Le choix est appétit qui vient après la
délibération et la réflexion, un appétit réfléchi. D’où il écrit quelque part
qu’on ne délibère que sur les choses possibles et contingentes : « Le passé ne peut jamais être l’objet de
choix(…) La délibération, en effet, porte non sur le passé, mais sur le futur et
le contingent. »[10] Possibles et contingentes
par rapport à nous. Pour les animaux, ils obéissent à une spontanéité qui
s’accomplit avec une nécessité d’un syllogisme : l’appétit est la majeure,
le sens est la mineure et l’action est la conclusion. L’appétit dit qu’il faut
boire ; les sens : voici la boisson ; aussitôt l’animal se met à
boire. Chez l’homme, la raison est au-dessus de la sensation. Il ya la
sensation, l’esprit (qui opère un choix : contingence) et la conclusion
participe à cette contingence.[11] Cette permet à Aristote
d’affirmer que l’homme est le principe de ses actes. Le vice dépend de nous
comme la vertu. Comme on peut le lire dans Ethique
à Nicomaque : « la vertu et le vice sont volontaires. » [12] Le choix constitue donc
la cause efficiente de l’acte. Comme l’action n’arrive pas toujours avec la
nécessité d’un syllogisme catégorique, il y l’incertitude dans l’avenir. Le
principe de certaines actions dans le futur se trouve dans la délibération.
CONCLUSION
Socrate,
Platon et Aristote croient tous à la tendance générale de l’homme au bien.
Cette tendance s’impose à nous, nous l’acceptons. Aristote donne à cette
tendance le nom de volonté. Aristote croit à la puissance de l’homme sur ses
actions, à un libre choix impossible à déterminer et à prévoir. La volonté, on
ne délibère point sur son existence ; nous l’acceptons. Ce quin’est pas
possible pour Socrate : le bien ne peut faire objet de choix, car on ne
peut être indéterminé face au bien. Et pour Platon, le libre choix est une
imperfection, car elle appartient aux hommes de classe intermédiaire entre les
savants et les ignorants. Pour Aristote, l’homme est souvent séduit par
l’attrait du plaisir, sollicité par les biens inférieurs. C’est notre libre
choix qui donne aux biens inférieurs la force de surpasser les biens
supérieurs. Il n’est plus question comme chez Socrate et Platon que nous
faisons le mal par ignorance, mais nous sommes nous-mêmes les auteurs du vice
comme de la vertu ; nous préférons les avantages du vice que ceux de la
vertu.
Ce
point de vue est également celui de Bernard LONERGAN lorsqu’il parlede la
méthode intentionnelle qui implique l'appropriation de soi. Le mal est l’échec
de la liberté à choisir le bien. Il n’y a pas là à s’étonner parce qu’il est
disciple avéré de Saint Thomas d’Aquin, disciple fidèle d’Aristote. La
délibération est un processus qui conduit au choix du bien ou du mal. L’homme
étant défini en tant qu’un tout, il est dangereux de le définir à partir d’une
seule capacité la raison. Il est aussi un être sentimental. D’où, selon Bernard
LONERGAN, le mal (le choix du bien apparent) peut l’emporter sur le bien
véritable. Le défi moral consiste justement à ce que l’homme choisisse le bien
quoique sollicité par les avantages du vice. Quant à la solution, Socrate,
Platon, Aristote et Bernard LONERGAN sont unanimes : l’éducation.
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
- MANWELO
Paulin, Notes du cours des Questions
approfondies de Morale en deuxième licence, Université de Kinshasa,
2016-2017, inédit
- ARISTOTE,
Ethique à Nicomaque, traduction de
TRICOt, Paris, Vrin, 2002
[1]
ARISTOTE, Ethique a Nicomaque, 1139a15
[2]
ARISTOTE, Idem, 1112a30.
[3]
ARISTOTE, Idem, 1112b25.
[4]
ARISTOTE, Idem, 1112b10
[5] Max
SCHELER qui a abondamment écrit sur le thème ayant trait aux sentiments
(sympathie, empathie, apathie…) a fini par définir l’homme comme étant
fondamentalement un être amant.
[6]
ARISTOTE, La Physique.
[7]
FONSEGRIVE George, Le libre arbitre, Paris,
Felix Alcan, 1887, p. 14.
[8] GONSEGRIVE George, Op. cit., p. 21.
[9] GONSEGRIVE Georges, Op. cit., p. 22.
[10] Ethique à Nicomaque, VI, 2, 1139b5.
[11] GONSEGRIVE Georges, op. cit., p. 28.
[12]
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, III,7,
1113b5.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire